Tribune

Par
Dr François Blanchecotte
Président national du Syndicat des biologistes (SDBIO)
Grâce au développement de technologies innovantes et, à terme, de l’apport de l’intelligence artificielle (IA), médecins et pharmaciens biologistes vont pouvoir proposer à chacun de leurs patients une médecine préventive et un diagnostic d’une pertinence et d’une efficacité bien plus élevées et personnalisées qu’auparavant.
Prévention, pertinence, exploitation des données de santé et IA sont des éléments profondément liés, susceptibles d’optimiser les dépenses de santé.
La prévention : un exercice collectif
Investir dans la prévention, dès le plus jeune âge, est l’affaire de tous, des professionnels de santé comme des pouvoirs publics et c’est la clé pour assurer l’avenir du financement de notre système de santé, sa pérennité et son équilibre financier. La mise en place d’une prévention efficace nécessite une approche coordonnée et un financement efficient. Il est important de s’inspirer de modèles comme les dotations populationnelles, mesurant le besoin de santé de proximité, en fonction de différents critères démographiques. Il faut par ailleurs absolument veiller à ce que la limitation des ressources financières et l’apport du numérique ne viennent pas aggraver les inégalités d’accès aux soins : il est crucial de maintenir des ressources humaines pour « aller vers » les patients éloignés du système de santé en impliquant et valorisant les professionnels de santé, comme les infirmières libérales et les laboratoires qui aujourd’hui encore peuvent se faire le relais d’une offre de prévention et de dépistage ciblé au niveau des territoires ruraux ou des populations fragiles.
Actuellement, une méconnaissance des lieux, des compétences et des horaires de soins existe entre les différentes professions. La cartographie réalisée lors de la crise Covid a permis d’améliorer cet aspect, mais reste inaboutie et insuffisamment exploitée.
L’échange entre professionnels de santé est également essentiel pour le suivi des patients, en particulier lorsqu’il s’agit de coordonner les actions avec le secteur médico-social. Les ESCAP (Équipes de soins coordonnées avec le patient) devraient permettre une meilleure collaboration entre les professionnels de santé.
La biologie médicale peut jouer un rôle clé dans la prévention
En médecine, la difficulté réside à repérer précocement les patients en bonne santé apparente qui vont gagner à bénéficier d’une intervention précoce permettant de leur éviter des complications, coûteuses individuellement en termes d’espérance de vie et collectivement à l’échelle des dépenses de santé afférentes.
• Maladies cardiovasculaires : systématiser le recours aux scores prédictifs d’évènements cardiovasculaires (comme le SCORE2) pour repérer les patients à risque.
• Maladie rénale chronique (MRC) : la détermination du RAC (ratio albuminurie/créatininurie) et le calcul du SRR (score de risque rénal) pour les populations cibles (notamment diabétique et/ou hypertendue) sont des examens peu coûteux permettant de repérer les patients dont la fonction rénale risque de progressivement s’aggraver et d’intervenir précocement avec la mise en place d’une néphroprotection afin d’éviter le recours à la dialyse.
• Dépistage des infections urinaires : le dépistage par bandelette peut être réalisé dans des situations déterminées, afin d’éviter de réaliser un examen cytobactériologique complet. Les biologistes devraient pouvoir être un recours de première intention, capable de prescrire la prise en charge la plus adaptée à la situation, des examens plus poussés dans les situations le nécessitant et uniquement lorsque cela est nécessaire, la prescription d’une antibiothérapie ciblée adaptée afin d’épargner les molécules les plus à risque de générer de l’antibiorésistance.
• Dépistages organisés des cancers (col de l’utérus, cancer du côlon) : ouvrir l’accès aux biologistes aux bases de données « amelipro » de statut de dépistage organisé permettrait d’optimiser l’efficacité de ce programme en faisant du laboratoire un lieu de promotion de ces actions. Cela pourrait être par ailleurs utilement intégré dans les bilans de prévention aux âges clés de la vie, en plus des examens biologiques éventuellement nécessaires, liés aux facteurs de risque individuels.
• Vaccination : l’échec des campagnes de vaccination a montré que l’accès aux vaccins doit être facilité pour les professionnels de santé, y compris les biologistes médicaux. Ils disposent déjà de la formation et de l’environnement nécessaires pour mener à bien cette tâche, mais l’accès au stock de vaccins reste compliqué d’un point de vue administratif et logistique.
Pertinence et gouvernance des données de santé sont les clés de l’optimisation des dépenses de santé
Garantir que les examens réalisés soient réellement nécessaires et adaptés aux besoins est la condition sine qua non d’une optimisation des dépenses de santé tout en préservant la qualité des soins. Cela réside dans une approche rigoureuse qui combine efficacité diagnostique, au travers de la constitution et application de référentiels et recommandations HAS, et gestion responsable des ressources. Le potentiel d’exploitation des données de santé de biologie vers le pilotage d’une politique de suivi individuel efficiente devient une évidence.
Cela pourrait prendre la forme d’une mise en place d’algorithmes de prescription par pathologie (diagnostic, suivi) dans les logiciels médecins, d’alerte sur les anomalies critiques non prises en charge, d’alerte sur l’absence de suivi biologique lié à certaines pathologies (suivant recommandations actualisées HAS), offrant la possibilité de faire de chaque patient un acteur de sa propre santé au travers de leur Espace Santé.
Parallèlement, la limitation des actes inutiles ou redondants commence à être implémentée avec le concours des biologistes médicaux, mais sans intéressement financier prévu à ce jour pour le travail accompli de révision des prescriptions : une proposition avancée par le SDBIO était un partage des économies générées entre les laboratoires et l’Assurance maladie. Une approche gagnant-gagnant dans la gestion des risques du fait de l’expertise et de l’engagement des biologistes médicaux.
Un parcours de soins plus lisible
Le parcours de santé devient de plus en plus complexe pour les patients. Bien qu’il apparaisse nécessaire de mobiliser l’ensemble des professionnels de santé, il est très important de garder une cohérence et lisibilité dans le parcours pour le patient : la biologie médicale n’a pas sa place en officine, les tests rapides ne sont pas le strict équivalent d’un examen de biologie médical accrédité. Il est important de ne pas confondre l’interprofessionnalité et la délégation d’acte, savoir ne pas céder au clientélisme. Au contraire, afin d’assurer la meilleure prise en charge, il est primordial que le bon soin soit apporté par le professionnel adéquat, au bon moment. Cela passe par une coordination efficace entre tous les acteurs du système de santé, une gestion des données de santé optimisée et la mise en place de parcours de soins personnalisés. La biologie, au travers de ses 4 300 sites et ses 4 500 biologistes libéraux, doit être un maillon essentiel dans cette chaîne.
C’est en plaçant l’ensemble du système de santé sur cette voie que nous pourrons assurer une prise en charge précoce et de qualité pour chaque patient, tout en maîtrisant les coûts de manière durable.
Il est essentiel d’avoir confiance dans les biologistes médicaux, de leur permettre de gagner en productivité, en autonomie et en reconnaissance afin qu’ils puissent au mieux jouer l’ensemble de ces rôles au service de la collectivité. C’est à ce prix que notre système de santé pourra non seulement répondre aux défis actuels mais aussi pérenniser son avenir.