Tribune

« Face à l’allongement de la durée de vie et à une prévalence de l’obésité augmentant chez les sujets de plus de 65 ans, la question de la chirurgie bariatrique se posera de plus en plus »

Par
Dr. Alexandre Rault
Chirurgien digestif et président de la CME de l’hôpital Foch à Suresnes

Les études de cohorte sur le surpoids et l’obésité (ObEpi 2012 : Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité : une enquête Inserm/Kantar Health) montrent une proportion de personnes en obésité au-delà de 60 ans plus importante que dans la population générale et cette tendance s’accentue tous les ans.

La chirurgie bariatrique reste un des meilleurs traitements de l’obésité morbide chez les patients de moins de 65 ans mais elle reste controversée au-delà de 65 ans en raison de résultats postopératoires mitigés. En effet, la perte de poids est faible et les indications de la chirurgie doivent prendre en compte le risque sarcopénique induit par l’amaigrissement.

Ainsi, les données actuelles, hétérogènes et de faible niveau de preuve, ne permettent pas d’établir un rapport bénéfice/risque favorable de la chirurgie bariatrique au-delà de 65 ans.

Y a-t-il donc une place pour la chirurgie bariatrique chez les patients âgés en obésité ?

L’étude ObEpi 2012 a montré que la proportion de personnes en obésité chez les plus de 65 ans est plus importante que dans le reste de la population : 18,7 %.

Elle est comparable chez les hommes (19 %) et les femmes (18,4 %).

La prévalence de l’obésité diminue avec l’âge à partir de 65 ans, elle est de 21,8 % chez les 65-69 ans et de 16 % chez les 80 ans et plus. Cette diminution est plus marquée chez les hommes (réduction de 9 points) que chez les femmes (réduction de 3 points).

Cette diminution peut s’expliquer, car certains patients ont souffert des complications de l’obésité sur de nombreuses années et disparaissent donc des courbes en raison de leur décès.

Une maladie intercurrente peut également entraîner une perte de poids.

Chez les personnes âgées de plus de 65 ans, à la différence de la population plus jeune, un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 35 ou inférieur à 20 augmente les risques de mortalité.

On retrouve donc ce que certaines études évoquent comme un « effet protecteur » sur la mortalité, d’une obésité modérée (IMC entre 30 et 35).

À l’inverse, un amaigrissement important peut entraîner chez les personnes âgées de plus de 65 ans une sarcopénie notable qui nécessiterait des changements dans la vie quotidienne du patient : diminution des capacités à se mouvoir, besoin d’assistance ou d’une institutionnalisation. Il s’agit donc là d’un point de vigilance important.

Il est également à noter que les besoins protéiques augmentent avec l’âge, passant de 0,8 g/kg/jour pour un adulte jeune en bonne santé à 1 g/kg/jour pour une personne de plus de 70 ans. Ainsi, un programme d’amaigrissement basé sur un régime alimentaire strict et une activité sportive modérée, favorisant le renforcement musculaire chez un patient âgé en obésité, devra inclure un apport protéique jusqu’à 1,2 g/kg/jour. Il en sera de même pour un patient âgé ayant bénéficié d’une intervention bariatrique.

La population de patients en obésité âgés de plus de 70 ans est hétérogène

D’une part, pour les patients en situation d’obésité (IMC>35 kg/m2) atteints d’une comorbidité bien contrôlée, qui conservent une activité physique, un programme d’amaigrissement (régime alimentaire ou intervention de chirurgie bariatrique discutée préalablement en RCP) permettrait de traiter cette comorbidité et d’allonger l’espérance de vie du patient.

D’autre part, un patient présentant la même obésité mais sans activité physique, et avec une répartition des graisses essentiellement abdominale ou viscérale, sera considéré comme un patient sarcopénique chez qui un amaigrissement pourra s’avérer dangereux.

Ainsi, l’évaluation de la sarcopénie et du capital musculaire du patient devra être intégrée au bilan préthérapeutique du sujet âgé en obésité âgé de plus de 70 ans. Cette évaluation sera réalisée sur la base de tests cliniques (tests de marche, de « lever de chaise »), de la mesure de la composition corporelle (balance à impédancemétrie), ou d’un scanner abdominal permettant l’évaluation de la masse musculaire.

Les études de faisabilité de la chirurgie bariatrique chez le patient de plus de 65 ans sont plutôt favorables. Plusieurs études, certaines portant sur plus de 8 000 patients, ne révèlent pas d’accroissement majeur de la mortalité ou de la morbidité dans cette population.

Certains articles montrent une perte d’excès de poids moindre que dans une population de moins de 60 ans, ou une durée d’hospitalisation allongée après chirurgie bariatrique.

Par ailleurs, la chirurgie a permis de résoudre les comorbidités associées telles que l’hypertension artérielle ou le diabète de type 2, dans des proportions identiques à la population de moins de 60 ans.

La chirurgie bariatrique est donc réalisable chez le patient âgé en situation d’obésité morbide.

Quoi qu’il en soit, une intervention, lorsqu’elle est proposée, devra l’être dans un cadre habituel et conforme aux recommandations de la HAS et après accord préalable de la CPAM, le patient répondant ainsi à tous les critères.

Face à l’allongement de la durée de vie et à une prévalence de l’obésité augmentant chez les sujets de plus de 65 ans, la question de la chirurgie bariatrique se posera de plus en plus fréquemment dans cette population.

Elle devra donc s’étudier au cas par cas, tout en gardant à l’esprit qu’elle peut faire partie intégrante de l’arsenal thérapeutique et pourra être proposée à des patients sélectionnés, même au-delà de 70 ans avec dans ces cas précis, de probables bons résultats.

Une évaluation multidisciplinaire est indispensable avec un objectif de perte de poids inférieur à celui de la population générale. Dans cette hypothèse, il conviendra de rester vigilant sur le risque sarcopénique.

Une pré-habilitation pourra d’ailleurs être proposée aux patients devant bénéficier de chirurgie bariatrique : une préparation physique adaptée permettra d’augmenter la masse musculaire du patient afin de réduire le risque sarcopénique.

Enfin, des études ayant un recul de plus de 10 ans seraient intéressantes et permettraient d’affiner les indications chirurgicales.