Tribune

« De nombreux dispositifs pourtant bien pensés et vertueux de prévention, d’accompagnement ou de prise en charge se retrouvent hors d’accès pour bon nombre d’usagers dans le besoin »

Par
Etelvina Vidas et François-Xavier Bouvier
Directrice Assurance de Personnes et Directeur chez Thémis Conseil

Trop nombreuses sont encore les situations déshumanisées et déshumanisantes qui isolent les personnes en difficulté et dont le parcours de soins et de prise en charge est encore trop souvent inadapté.

Le risque de perte d’autonomie doit susciter une attention toute particulière notamment en raison du vieillissement de la population et de l’opportunité que nous procurent des progrès techniques prodigieux permettant un diagnostic de plus en plus précoce des maladies neurodégénératives notamment.

Avant que la perte d’autonomie ne devienne avérée, il existe une période de vulnérabilité, marquée par les premiers signes de déclin souvent discrets et progressifs, généralement sous-estimés par les malades. Pendant cette phase, le déni est alors fréquent tandis que la maladie elle, continue de progresser. Outre le patient, les premiers impactés sont les proches qui, avant même tout diagnostic, s’organisent pour aider et accompagner l’autre dans les actes de la vie quotidienne et dans les gestes les plus simples.

Face aux conséquences de la perte d’autonomie qui laisse souvent les malades et les proches aidants démunis, une prise en charge coordonnée est indispensable afin de « prévenir » et « accompagner » efficacement.

Malgré de nombreuses initiatives intéressantes visant à clarifier les procédures de demande d’accompagnement, d’aide financière ou ménagère, la complexité de certains processus résultant d’un manque de coordination freine et décourage bien souvent les patients et leurs aidants.

En effet, nombreux sont les obstacles : des disparités territoriales avec des dispositifs qui varient fortement d’un département à l’autre, des lourdeurs administratives ponctuées de formulaires et de délais parfois incompréhensibles, ainsi qu’une absence de liaisons entre les différentes institutions qui, dans certains cas, réduit à néant une demande d’aide.

En témoigne le cas de Mme N., 66 ans, qui présente des signes de pertes de mémoire flagrants et qui a, elle-même, été aidante auprès de son mari en fauteuil durant de longues années.

Après de longs mois de combat pour les enfants, Mme N. accepte enfin d’aller chez le médecin. Le diagnostic tombe : la maladie s’est installée, Mme N. est atteinte d’un Alzheimer « précoce » et surtout assez fulgurant. Le déclin se fait rapide et la perte d’autonomie s’installe inexorablement.

Alors l’aide s’organise autour de Mme N., ses enfants font les courses, surveillent les comptes bancaires, assurent le ménage, le repassage, la lessive, gèrent « l’administratif », assurent les repas afin que les parents s’alimentent correctement, apportent les premiers gestes d’hygiène à leur mère, surveillent les dates de péremption des produits alimentaires … se sentent passer du rôle « d’enfants » à celui de « parents ».

Ils sont deux et se relayent autour de Mme N., mais l’inquiétude et le désarroi du quotidien face à la maladie de leur mère deviennent de plus en plus lourds. Ils ne peuvent plus gérer cela seuls et les revenus sont faibles, alors ils en viennent à demander des aides ménagères et financières. Les enfants prennent contact avec des associations telles que « France Alzheimer » pour savoir, comprendre et être aidés à leur tour. On leur conseille de faire évaluer le niveau GIR de leur mère, ce qui leur permettra de demander des aides en fonction du niveau « attribué », notamment l’APA (Aide personnalisée à l’autonomie).

Les enfants de Mme N. font les démarches nécessaires et déclenchent le process d’évaluation de leur mère. Aidants conjointement identifiés auprès des différents organismes (associations, SSIAD…), ils attendent que le professionnel de l’équipe médico-sociale de l’APA les contacte afin d’organiser la visite d’évaluation, lors de laquelle les proches peuvent être présents.

En attendant cette évaluation, les enfants de Mme N. se rapprochent du corps médical qui les accompagne depuis les premiers symptômes de la maladie de leur mère. Le médecin de famille leur conseille de fournir les copies des formulaires qu’il remplit tous les 3 mois pour obtenir le passage du SSIAD afin de les remettre à la personne qui va évaluer le niveau GIR de Mme N. Le médecin de l’unité de gériatrie où est suivie Mme N. leur fournit une simulation d’évaluation sur la grille AGGIR avec son avis sur la situation de leur mère « cela n’a pas de valeur administrative mais présentez-le à la personne qui viendra faire l’évaluation GIR et transmettez-lui ce compte rendu de ma part », leur dit-il.

L’attente de la visite se fait longue et le quotidien difficile de la famille s’alourdit chaque jour un peu plus avec l’avancée de la maladie. Toutefois, l’espoir d’avoir de l’aide extérieure redonne un élan à cette organisation lourde pour accompagner les parents. L’attente est forte. Le GIR est indispensable pour déclencher les aides telles que l’APA, certes, mais aussi les prestations de l’assurance vie/prévoyance qu’a contractée Mme N. et qu’elle alimente de ses économies depuis de longues années. En effet, une aide mensuelle précieuse et non négligeable de 500 € pourrait lui être allouée, en complément de l’APA.

Cependant, les semaines passent… aucun rendez- vous n’est fixé par l’équipe médico-sociale de l’APA au grand étonnement des enfants qui font confiance au système. Puis, arrive un courrier au domicile de Mme N. que récupère son fils dans la boîte aux lettres lors d’une de ses visites. Ce courrier indique que le niveau de Mme N. a été évalué lors du passage d’un professionnel, que celui-ci de niveau « 5 » et correspond, selon la grille AGGIR, à une personne semi-autonome, ne nécessitant que peu d’aide.

Sous le choc, les enfants de Mme N. contactent l’équipe médico-sociale de l’APA pour préciser qu’ils n’ont pas été informés du passage de l’évaluatrice et qu’ils demandent une nouvelle évaluation car la réalité de leur mère est qu’elle ne sait plus se doucher seule, développe le syndrome de Diogène, n’a plus la capacité de se faire à manger, de prendre seule ses médicaments…

Ils précisent qu’ils ont des documents attestant de l’état de leur mère et qu’il est impossible qu’elle reste sans aide. Sans oublier leur père qui est cloué dans un fauteuil des suites d’une longue maladie. La situation devient dangereuse et intenable pour les enfants aidants. Ils ne comprennent pas comment ils ont pu être mis à l’écart de cette évaluation.

La personne qu’ils ont en ligne leur indique que leur mère a bien été destinataire d’un courrier (ses enfants le retrouveront plus tard « rangé » méticuleusement par leur mère au fin fond du tiroir à chaussettes…) et qu’ils ne peuvent pas renouveler leur demande avant 1 an (information erronée car il est possible de faire un recours administratif à la suite d’une évaluation jugée inexacte).

C’est une douche froide pour les enfants dont le sacrifice personnel et familial devient de plus en plus difficile à gérer. Les issues se referment. Isolés et déçus par le système dans lequel ils se fiaient, ils décident de prendre sur le peu d’économies de leurs parents pour faire intervenir une association spécialisée, et ce au risque de les mettre en difficulté financière en cas d’imprévu ou de coup dur « supplémentaire ».

Malgré les initiatives des pouvoirs publics, la prise de conscience collective et les actions locales pour accompagner au mieux toutes ces personnes en perte d’autonomie, le cas de Mme N. n’est pas un cas isolé. De nombreux dispositifs pourtant bien pensés et vertueux de prévention, d’accompagnement ou de prise en charge se retrouvent hors d’accès pour bon nombre d’usagers dans le besoin qui font face à ce qui est perçu comme un labyrinthe institutionnel.

Depuis la loi du 7 août 2020, le soutien à l’autonomie des personnes âgées est au coeur de nombreuses initiatives et constitue notamment le principal enjeu de la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie qui s’est fixée plusieurs objectifs : l’équité territoriale, la simplification des dispositifs, l’efficience dans la réponse aux besoins et la transparence avec l’examen annuel de la politique d’autonomie et des conditions de son financement.

En effet, ces dernières années les orientations de la politique de protection sociale visent notamment à contribuer à la qualité de vie des personnes déjà en perte d’autonomie ou en risque, à équilibrer l’équation posée par les besoins d’accompagnement, de soins et les moyens à déployer et a replacé « la prévention » au coeur de toutes les discussions.

Il est indéniable que la prise de conscience collective est bien réelle et que de nombreuses initiatives ont vu le jour, notamment des espaces digitaux ouverts à tous à l’image du site web du gouvernement « pour-les-personnes-âgées.gouv.fr ». Les parcours d’information et les démarches à suivre y sont clairement expliqués et concernent tant les patients que les aidants. Toutefois, il n’en reste pas moins que le cas de Mme N. reste représentatif de réalités rencontrées par beaucoup. Il n’illustre pas un manque d’information mais plutôt un manque de coordination à compter des premiers symptômes et du diagnostic. Hors du parcours de soins et de prise en charge le patient et ses proches ont besoin d’un accompagnement plus accessible et adapté face à l’inéluctable.

Les politiques et actions mises en place en termes de prévention tant primaire qui tend à réduire les nouveaux cas de personnes en perte d’autonomie, que secondaire qui a pour but de repérer le plus tôt possible les cas de perte d’autonomie (portée notamment par le programme international ICOPE de l’OMS), ou tertiaire qui a pour objectif de diminuer le nombre de cas d’incapacité chronique, ne répondent pas encore aux situations avec assez de pertinence et ne pallient pas l’absence de coordination que rencontrent encore nombre de patients et leurs proches, car ces trois types de préventions doivent être menés de façon coordonnée pour atteindre leurs objectifs.

L’efficacité d’un accompagnement adapté n’est possible qu’à l’appui d’outils adaptés et de process coordonnés.

La mise en place d’un parcours coordonné, constitué d’espaces digitalisés reliés entre eux et communicants, centralisant les données recueillies au fil de ce parcours et qui inclurait les aidants, le corps médical ou encore les personnes SSIAD permettrait d’éviter des erreurs d’évaluation ou diagnostics inadaptés comme dans le cas de Mme N. L’évaluation GIR de cette dernière n’aurait jamais dû se réaliser sans la présence des aidants ni l’avis de son médecin traitant.

Dans les faits, une personne en perte d’autonomie est, bien heureusement, le plus souvent accompagnée par une ou plusieurs personnes référentes, et ce, avant même toute démarche de mise sous curatelle ou tutelle. Ces dernières sont intégrées dans le parcours de soins et identifiées notamment par le corps médical, par les organismes associatifs ou encore par les Maisons départementales, et tout autre intervenant dans le quotidien des malades.

Pourquoi ne pas étendre cette « pratique sociale et humaine » à la constitution d’un dispositif d’accès à un parcours ou un espace digitalisé coordonné, qui permettrait de regrouper les données clés des patients et d’alléger le quotidien et la charge mentale des aidants ? Éviter les risques d’évaluations erronées ou encore les pertes d’informations lors de la constitution des dossiers de demande d’aides financières ou ménagères relève également de la prévention.

Tel a été l’un des axes du projet du « Parcours santé des aînés » (PAERPA) lancé en 2013 en application de l’article 48 de la loi du financement de la Sécurité sociale (LFSS) dont les résultats ont été assez mitigés compte tenu de la complexité et des disparités des dispositifs territoriaux comme l’indique l’évaluation de l’expérimentation PAERPA publiée en novembre 2020. Une uniformisation d’une démarche simple et diffusée à l’échelle nationale dans une optique de prévention et d’accompagnement des personnes en perte d’autonomie axée sur un périmètre défini pour améliorer le parcours (et non pas le parcours dans sa totalité) semble être une option à expérimenter dans le souci d’une conduite du changement général.

Et ce à l’image des initiatives et des réflexions portées par le programme ICOPE qui se questionne autour de la mise en place d’un carnet de santé pour les personnes âgées permettant de suivre la courbe de vieillissement au même titre que la courbe de croissance d’un enfant. Une centralisation des informations, accessibles selon des habilitations prédéfinies afin de respecter la réglementation en matière de protection des données aux personnes qui entourent les malades, réduirait considérablement les prises en charge inadaptées et faciliterait le maintien à domicile en évitant de nombreuses hospitalisations.

En complément des parcours de soins et de prises en charge qui se développent, les démarches administratives et leur suivi doivent être simplifiés, fluidifiés, centralisés et coordonnés afin d’alléger le parcours de vie des patients et des aidants. La mise en place d’un parcours ou d’un espace digitalisé et sécurisé incluant l’aidant dès le départ semble être une étape indispensable pour mener à bien la politique de protection sociale sur l’accompagnement du vieillissement de la population et de la dépendance dans son sens le plus large, en complément de toutes les initiatives déjà en cours de déploiement.

Sources :

Pour les personnes âgées | Portail national d’information pour l’autonomie des personnes âgées et l’accompagnement de leurs proches| Pour les personnes âgées : www.pour-les-personnesagees.gouv.fr, le site officiel d’information pour les personnes âgées et leurs aidants.

Rapport de la branche Autonomie de la Sécurité sociale 2024 (CNSA).

« Et si l’on surveillait sa « courbe de vieillissement », Le Figaro Santé, article d’Anne Prigent, comme on suit la courbe de croissance d’un enfant ? »

Cahier des charges relatif à l’extension d’un territoire pilote PAERPA par nouvelle région seconde génération (parcours santé des aînés, des acteurs coordonnés pour une autonomie préservée). Le dispositif Paerpa – Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles – sante.gouv.fr

Évaluation d’impact de l’expérimentation « Parcours Santé des Aînés (PAERPA) », rapport final publié par Damien Bricard, Zeynep Or, Anne Penneau (Rapport de l’IRDES n° 575, novembre 2020). 10 inconvénients de l’APA – www.oui-adapt.fr

Apa : qu’est-ce que le Gir 1, 2, 3 ou 4 de la grille Aggir ? Les outils de coordination – Un pilotage partenarial – Les territoires pilotes PAERPA – sante.gouv.fr