Tribune

« Innover, entreprendre, réorganiser les urgences est un travail de longue haleine »

Par
Maeva Delaveau,
Présidente de la FFCSNP

Améliorer l’accès aux soins. Désengorger les urgences. Lutter contre les déserts médicaux : des thèmes récemment repris par les médias et les politiques. 

Une réalité pour les patients et pour les professionnels de santé depuis 20 ans.

En 21 ans d’exercice, pour moi, le constat est sans équivoque : ça se dégrade.

Toujours plus de patients aux urgences, des moyens qui ne progressent pas au même rythme, un épuisement croissant, l’impression de vider la mer à la petite cuillère.

Plus de 20 millions de passages aux urgences en 2023. 20 millions. 

Pourquoi ? Parce que c’est le seul lieu où règnent unité de lieu, unité de temps, unité d’action.

La règle des Trois Unités : le fondement de la Médecine d’urgence.

Un théâtre toujours ouvert pour accueillir toutes les histoires de vie. Et être pris en charge sans délai, en une fois. Pour les urgences ressenties, et tout ce qui n’a pas trouvé de solution en amont.

Diminuer les urgences ? Est-ce possible ?

Un peu, à la marge. Il y a finalement peu de consultations inadaptées, qui relèveraient d’une consultation en cabinet de médecine générale classique qui puissent être différées. On trie à l’accueil. La majorité sont bien des urgences, de gravités différentes, qui nécessitent une prise en charge qui ne peut être programmée, qui vont avoir besoin d’une consultation médicale, infirmière, d’une radiologie, d’une biologie, d’actes thérapeutiques.

Et puis souvent, il faut avoir vu le patient pour finalement conclure que ce n’était pas si grave… mais l’accès à un médecin est difficile. Une mesure efficace serait d’améliorer l’attractivité de la médecine générale pour augmenter les installations et le nombre de créneaux de consultation, bien sûr.

Alors ? Redimensionner les services d’urgence pour les adapter à des flux toujours plus importants ? On a essayé : les mégas services d’accueil des urgences, regroupant plusieurs services d’urgence ont forcément des goulots d’étranglement, c’est risqué pour les patients plus graves, les temps d’attente explosent, ça fait monter l’agressivité, le surdimensionnement nuit à la dimension humaine de nos métiers de soignants, elle fait le lit de la perte de sens.

La solution ? Créer des unités au sein des territoires qui puissent assurer les urgences ambulatoires, avec un plateau technique léger, mais indispensable : radiologie, biologie, réalisations d’actes techniques.

Unité de lieu, unité d’action, unité de temps.

De quoi prendre en charge 40 % des 20 millions de passages aux urgences qui relèveraient de la ville selon une étude des observatoires régionaux des urgences, voir, avec les 70 % de patients qui, selon la classification des malades aux urgences, ressortent après réalisation d’un examen complémentaire ou d’un acte thérapeutique.

Soit 8 millions à 14 millions de passages aux urgences évités par an.

Ces urgences, ambulatoires, certes non vitales, sont malgré tout des urgences. Elles ne nécessitent pas le plateau technique hospitalier, mais doivent être prises en charge le jour même : fractures, douleurs aiguës, entorses, luxations, coliques néphrétiques, douleurs thoraciques atypiques, crises d’asthme, plaies, lombalgies, pyélonéphrites, brûlures, syndromes fébriles…

En un lieu, en un temps, une action.

Les Centres de soins non programmés (CSNP) sont nés d’initiatives locales de professionnels de l’urgence, médecins et infirmiers, conscients de la problématique et souhaitant y apporter une solution.

En 2024, ces cabinets médico-infirmiers, libéraux, indépendants, ont réalisé au moins deux millions de prises en charge : des soins urgents nécessitant des examens complémentaires (radiologie, biologie, ECG, échographie) et/ou des actes thérapeutiques (immobilisations, sutures, aérosols, antalgie, soins infirmiers…), réalisés sur place dans le même temps de prise en charge.

Tout est réglé, alors, me direz-vous ? Il n’y a plus qu’à y adresser aussi les plus de 10 millions des urgences les plus légères qui consultent aux urgences.

Et non !

Innover, entreprendre, réorganiser les urgences est un travail de longue haleine.

Créer des maillons intermédiaires n’est pas une mince affaire et ce n’est toujours pas chose faite, même si ça fonctionne bien sur le terrain.

Il faut changer de paradigme. Ne pas opposer les exercices, mais les voir dans un flux structuré et gradué des soins non programmés aigus.

Cela nécessite d’avoir une définition consensuelle de l’urgence.

Puis de définir quel type d’urgence relève de quelle prise en charge.

Définir le cahier des charges des unités de ville pour assurer une prise en charge de qualité, et leur cadre réglementaire indispensable… qui se fait attendre…

Définir le bon maillage territorial : celui qui permettra de désengorger les urgences, sans les spolier de leurs professionnels, en apportant de la proximité aux patients. Les CPTS semblent être le territoire adéquat, avec des professionnels de santé travaillant déjà de façon coordonnée, des profils de populations et de risques sanitaires bien identifiés, des missions d’accès aux soins non programmés définis, avec des CSNP déjà engagés.

Parce que qui pour prendre en charge ces urgences ambulatoires non vitales ?

Les urgentistes sont les experts du soin non programmé aigu urgent. Ils savent trier, prioriser, assurer les prises en charge initiales, solliciter les avis spécialisés, orienter dans les filières adéquates, réaliser les examens complémentaires et les soins techniques nécessaires.

Les petites urgences ambulatoires ont besoin de cette expertise. De professionnels expérimentés, puisqu’ils assurent des prises en charge en dehors des murs d’un hôpital, sans filet.

Des médecins et des infirmiers, pour une mission de recours de qualité égale à une prise en charge aux urgences.

Le monde de l’urgence ne doit pas se tromper : désengorger les urgences, ce n’est pas décider que des urgences ne sont plus des urgences. La pensée magique, ça ne fonctionne pas. C’est organiser autrement leur prise en charge. C’est engager un virage ambulatoire, de proximité, des urgences, dans les territoires. C’est accompagner et former des médecins et des infirmiers à ces prises en charge.

Dans un SAU, dans un camion, un urgentiste est urgentiste. Parce qu’il a une formation diplômante, une expertise, un savoir-faire. Il ne les perd pas quand il sort des murs de l’hôpital. Et cette expertise est nécessaire pour trier, gérer des urgences certes non vitales, poser des indications immédiatement, réaliser des gestes techniques, assurer une prise en charge des soins non programmés urgents en un lieu, un temps, une action.

Les CSNP sont amenés à assurer plus de 10 millions de passages par an. Partout. Ramener les soins urgents au cœur des territoires.

Ils ne règlent pas tous seuls les déserts médicaux. Mais ils répondent à une partie de l’accès aux soins. Ils redonnent de l’attractivité à certains territoires. Ils font le lien avec l’hôpital et les services de secours. Ils sont le relais des urgences au sein des territoires pour les soins non programmés aigus, mais aussi pour la gestion des risques sanitaires et situations exceptionnelles.

Mais alors, que manque-t-il ?

Une définition des CSNP pour commencer ! Un cahier des charges les identifiant.

Une existence réglementaire des CSNP, un cadre juridique permettant un exercice médico-infirmier et une collaboration entre médecins de spécialités différentes : généralistes, radiologues, biologistes, et garantissant une activité indépendante. Il s’agit de mission de service public, qui ne peut être monopolisée par des groupes financiers, ce qui arrivera si on n’est pas vigilant et si on ne donne pas aux professionnels de terrain les moyens réglementaires et conventionnels de travailler.

La possibilité pour les urgentistes d’exercer en CSNP (pour garder une activité mixte, hospitalière et libérale, préserver les effectifs des services d’urgence, mais aussi parce que c’est la qualification adéquate).

La possibilité pour les infirmiers de participer aux soins non programmés, ce qui n’est pas conventionnellement prévu.

La possibilité pour les CSNP de participer au SAS, à la PDSA, en tant qu’entité.

L’adossement à une pharmacie hospitalière pour disposer de certains traitements.

L’autorisation de réaliser de la biologie délocalisée.

Tous ces freins que l’on n’imagine pas et qui rendent l’activité si difficile alors qu’on en a tant besoin. Nous attendons une politique responsable qui en viendra à bout.

Puis viendra la nécessaire orientation et régulation des patients, l’éducation de la population également pour user au mieux de notre système de soins, solidairement. Les outils existent : le SAS, des applications à déployer largement auprès des patients pour qu’ils puissent s’orienter dans un parcours de soins qui serait clair. Une communication claire, sur des parcours lisibles, pour éviter les consultations multiples et coûteuses pour une même prise en charge.

Unité de lieu, unité de temps, unité d’action.

Les urgences sont un baromètre sociétal. Pour préserver leur excellence, elles doivent évoluer. Sans sacrifier la définition de l’urgence, il faut évaluer plus de patients, car l’urgence ressentie est plus fréquente, parfois irraisonnée. Nous sommes aux prises avec l’immédiateté, et la Santé n’y échappe pas. Des solutions doivent être apportées, sous peine d’exposer les soignants à la vindicte des patients, et de décourager les vocations. De la pédagogie doit être faite auprès des patients, les parcours doivent être expliqués, les prises en charge urgentes doivent être assurées. Il faut jongler avec tous les aspects sans impacter les urgences lourdes : les urgences plus légères doivent être accueillies dans d’autres lieux, bien identifiés, bénéficiant d’une expertise solide.

Ville et hôpital doivent poursuivre leur travail, ensemble. Le bon chaînage des professionnels de santé reste la force de notre système solidaire.

Les CSNP sont un maillon intermédiaire à déployer pour un parcours de soins structuré, une réponse graduée et économique sans rogner sur la qualité des soins que nous devons même aux petites urgences, et qui seule donne du sens à ce que nous faisons : soigner. 

Pour assurer plus de 10 millions de prises en charge par an. Désengorger les SAU en orientant les urgences les plus légères vers des structures expertes.

Nous, médecins, infirmiers et patients, attendons le cadre législatif qui nous permettra de continuer à bien soigner.

En un lieu, un temps, une action.

Sur tout le territoire.