Tribune

Par Michel Monier,
membre du Think tank CRAPS, contributeur à la revue Politique et Parlementaire et ancien DGA de l’UNEDIC
La démographie et le taux d’emploi sont les deux déterminants que l’on présente pour réformer le système des retraites devenu insoutenable. Ce sont là deux demi-vérités ! Elles ont conduit à des réformes paramétriques et à la réforme de 2023 que l’on dit injuste, sans dire qu’elle est insuffisante.
Si la suspension de la réforme dite Borne, cette interruption de l’horloge selon les mots de Philippe Aghion, doit avoir quelque chose de bon, souhaitons que ce soit l’installation d’un vrai débat qui, dépassant l’approche globale du système, s’attache à poser un bilan, démographique ainsi qu’en recettes et charges, de chacune des composantes du système. Dire le déficit du système est une chose nécessaire, dire les composantes de ce déficit l’est davantage !
La démographie, déterminant de la réforme des retraites : premier sophisme
La France vieillit mais elle ne vieillit pas plus vite que ne vieillissent les autres pays de l’Union Européenne. Avec 21,8% de plus de 65 ans, nous sommes dans la (bonne) moyenne, ni plus vieux, ni plus jeunes. Ce qui nous caractérise c’est que nous produisons moins : pour un PIB/habitant de 100 en moyenne européenne, nous produisons 99, l’Allemagne : 115, les Pays-Bas : 135, l’Italie : 98.
Ce qui nous caractérise, c’est moins la Démographie, avec un « D » majuscule, que la démographie de l’emploi. Le taux d’activité des jeunes (15-29 ans) est de 56,6 % chez nous, il est de 65,8 en Allemagne, de 85,7 aux Pays-Bas, de 41,6 en Italie. Pour les séniors (55-64 ans), le constat est le même : un taux d’emploi de 58,4 % en France, de 74,7 en Allemagne, 75 % aux Pays-Bas, 57,3 % en Italie.
Une réforme systémique des retraites doit aujourd’hui traiter, non seulement de l’âge de fin de la vie active, mais de la démographie de l’emploi à l’entrée autant qu’à la sortie. Le report de l’âge d’ouverture des droits est un des paramètres, mais ce n’est qu’un seul des paramètres. Pour dynamiser l’emploi il faut une politique publique favorisant l’emploi des jeunes.
Si l’on s’attache aux composantes du système des retraites les rapports cotisants/retraités de chacun d’eux illustrent cette demi-vérité qu’est l’argument démographique.
Au sein du système, le régime des complémentaires du privé, montré en exemple de bonne gestion (ce qu’il est, effectivement, piloté en recettes et en dépenses avec le souci de constituer, des provisions prudentielles) bénéficie, sur son champ propre, d’une démographie plus favorable que celle de l’entier système. Avec 27 millions de salariés cotisant à l’Agirc-Arrco pour 14 millions de retraités, le rapport cotisants/retraités est de 2/1. Ce rapport cotisants/retraités est dégradé, pour le régime général, à 1,7 /1.
Passant du régime des complémentaires du privé au régime général, les cotisants et retraités de l’Agirc-Arrco sont toujours là, financeurs et bénéficiaires du régime « de base ». Le ratio cotisants/retraités cependant se dégrade : s’il y a davantage de cotisants avec l’apport des régimes publics, spécifiques, des indépendants, il y a proportionnellement plus de bénéficiaires que de cotisants.
Comptent dans ce surnombre les bénéficiaires de prestations vieillesse servies au titre de la solidarité (pour 65 Mds € selon le COR), comptent aussi, de façon principale, les retraités des régimes publics. Ils sont 5,8 millions à cotiser pour 4,11 millions de bénéficiaires des pensions civiles et militaires (pour 109 Mds € — chiffres clés 2024 Agirc-Arrco), soit un rapport de 1,4 cotisant pour 1 pensionné.
Dans l’entier système des retraites, les retraités du public, sur-représentés, « tirent vers le bas » le ratio cotisants/retraités. Les 4,1 millions de retraités du public représentent 29 % des 18,1 millions de retraités (dont 14 millions de retraités du privé) alors que 5,8 millions de salariés du public représentent 18 % des 32,8 millions de cotisants (27 millions du privé plus 5,8 millions du public).
Le constat s’aggrave encore avec l’espérance de vie à la retraite (et subsidiairement les conditions d’attribution des pensions de réversion sans condition de ressources). Un retraité de la fonction publique vit plus vieux qu’ancien salarié du privé (25,2 années pour les premiers, 21,7 pour les seconds – source : Assemblée nationale, Communication relative à la recherche des causes des principaux surcoûts du régime de retraite des fonctionnaires de l’État par rapport aux salariés du régime général, Charles de Courson).
Travailler plus : second sophisme
« Travailler plus » est, au vu du taux d’emploi, nécessaire. S’en tenir à cette injonction, c’est se satisfaire d’une demi-vérité. S’il faut travailler plus, il faudrait aussi travailler « mieux » pour, s’agissant des retraites, mieux financer le modèle de protection sociale. La désmicardisation est une voie. Il en est une autre, contre-intuitive puisqu’elle aggrave le déficit démographique du régime : la diminution de l’effectif public.
Quelle que soit la « convention », dans les comptes de la Nation, de comptabilisation de la cotisation de l’État employeur, des subventions et compensations qu’il apporte au régime des pensions civiles et militaires, ce qui finance ces pensions de retraite, c’est de l’impôt (et des transferts de cotisations du régime privé), ce ne sont pas des cotisations sociales. Avec 18 % d’emplois publics dans l’emploi total, la facture est lourde. Elle est doublement lourde, avec les 360 Mds € de masse salariale puis les 110 Mds € de pensions, soit l’équivalent de 16 % de PIB : 16 % de PIB financés par l’impôt (soit plus du tiers des prélèvements obligatoires).
S’il faut travailler plus, pour mieux financer la protection sociale et les retraites, s’il faut plus d’emplois, c’est plus d’emplois du privé pour davantage de cotisations sociales et moins de financement pour l’emploi public (parce que les pensions « coûtent » moins que les rémunérations d’activité, le déséquilibre démographique du public et des régimes spéciaux coûte moins cher que son équilibre).
Sortir des sophismes, dire vrai
Ces deux demi-vérités dites, le vrai débat s’attacherait à débroussailler le système pour donner à voir ce qui, financé par des cotisations sociales salariés et employeurs participe au financement des compensations démographiques d’autres régimes, au financement des prestations vieillesse de solidarité. Pour une réforme juste du système des retraites ne faut-il pas dire, d’abord, de quoi on parle et commencer par rétablir les liens entre les sources de financement (cotisations, impôts) et les prestations (retraites contributives du privé, pensions civiles et militaires, prestations de solidarité) ? Les deux piliers, contributif et non contributif/solidarité, doivent être financés mais il importe de savoir ce que financent effectivement les cotisations sociales « vraies » et ce que finance l’impôt (la solidarité, l’emploi et les retraites du public).
Remettre en ordre les flux de financement et les prestations, agir sur les paramètres d’âge ou de durée de cotisation, dynamiser l’emploi des jeunes ne suffira pas. Le mode de financement devra être revu. L’équation travail/capital évolue au bénéfice du capital et les emplois de service autant que l’externalisation des fonctions de support de l’entreprise font se développer des emplois peu contributifs au financement de la protection sociale. Capitalisation, pour partie, et points de TVA sociale devraient alimenter le vrai débat que permet la suspension de la réforme de 2023. Pour sauver le système des retraites et alléger le coût du travail, les totems de 1945 doivent être abattus : ils sont aujourd’hui d’un autre âge.
