Tribune

« notre système de santé reste majoritairement pensé pour des soins hospitaliers centrés sur la phase aiguë de la maladie »

Par
Jérôme Mouminoux,
Directeur de la Franchise Oncologie de Pfizer

Une nouvelle réalité médicale et humaine

La prise en charge du cancer a considérablement évolué ces dernières décennies, notamment avec le développement de traitements personnalisés, ciblés, et moins invasifs (comme l’immunothérapie, les anticorps conjugués, etc), et grâce aussi à une meilleure prise en charge globale des patients. Aujourd’hui chez Pfizer, 40% de nos investissements en recherche et développement (R&D) sont consacrés à l’oncologie.

Dans le monde, environ 20 millions de personnes sont nouvellement diagnostiquées d’un cancer chaque année. À l’horizon 2050, on estime que ce chiffre devrait quasiment doubler1. En France, le cancer est la 1re cause de mortalité prématurée.

Si la maladie progresse, la science et la recherche évoluent elles aussi. Les innovations thérapeutiques ont amélioré les perspectives de certains cancers métastatiques, qui peuvent évoluer vers une forme stabilisée et contrôlée de la maladie : on parle alors de « chronicisation » du cancer. Ces progrès permettent donc aux patients de mieux vivre avec son cancer, plus longtemps, tout en améliorant sa qualité de vie personnelle et professionnelle. Cependant, la maladie, bien que maîtrisée, reste instable, invisible et imprévisible, avec le risque constant de rechute.

Ces progrès médicaux, porteurs d’espoir, soulèvent néanmoins des défis majeurs, tant pour les malades que pour notre système de santé. Ces évolutions nécessitent un accompagnement accru dans toutes les dimensions de la vie du patient : médicale, économique, sociale etc. Autant de réalités qui restent trop souvent ignorées dans les politiques de santé.

Des parcours de soins encore trop souvent pensés pour l’urgence, et mal adaptés pour un accompagnement dans la durée

Aujourd’hui encore, notre système de santé reste majoritairement pensé pour des soins hospitaliers centrés sur la phase aiguë de la maladie. Il n’est pas dimensionné pour accompagner des parcours chroniques, souvent complexes, qui nécessitent coordination, suivi à long terme, et soins de support en ville.

Et paradoxalement, plus la maladie progresse, moins l’accompagnement est présent.

Or, la prise en charge d’un cancer ne s’arrête pas uniquement au traitement. Les soins de support sont essentiels et doivent faire partie intégrante du parcours de soins. En ce sens, et en partenariat avec l’AFSOS (l’Association francophone pour les soins oncologiques de support), Pfizer a développé le site Internet LaVieAutour.fr qui permet de géolocaliser l’offre de soins de support existante en France parmi plusieurs centaines d’associations ou professionnels reconnus. Suivi psychologique, activité physique adaptée, nutrition, sexologie – ces soins pour les patients atteints de cancers « longs » ne sont aujourd’hui pas tous pris en charge par la Sécurité sociale. Il est donc urgent de réinterroger les mécanismes de financement et d’organiser une coordination efficace et globale entre hôpital, médecine de ville et soins de support.

L’innovation thérapeutique appelle à repenser nos méthodes d’évaluation et de financement

L’innovation thérapeutique impose une évolution des méthodes d’évaluation. Les essais cliniques restent indispensables, mais ils ne suffisent plus. Pour mesurer l’impact réel des traitements, il est essentiel d’intégrer les données de vie réelle qui reflètent le quotidien des patients, bien au-delà du cadre contrôlé des essais.

Mais deux freins majeurs persistent : le manque de financement pour collecter ces données et l’absence de reconnaissance institutionnelle de leur valeur. Aujourd’hui, les exigences imposées dans le cadre de l’accès précoce en matière de remontée d’informations ne sont pas accompagnées par des moyens nécessaires. Les professionnels de santé et les associations de patients se retrouvent alors démunis pour répondre à ces exigences, pourtant essentielles à un accès rapide et sûr à l’innovation.

Alors même que notre expertise médicale française en oncologie reste une référence, nos autorités doivent continuer à garantir un environnement beaucoup plus favorable à l’innovation, sur l’ensemble du cycle de vie des produits de santé, au risque de voir la France déclassée en Europe sur l’accès à ces thérapies innovantes.

Ensemble, nous devons créer un modèle d’évaluation à la hauteur des enjeux médicaux, scientifiques et économiques liés à la « chronicisation » du cancer.

Vers un registre national du cancer : une grande avancée pour mieux étudier l’épidémiologie et les facteurs de risque

Un défi majeur demeure : mieux connaître les personnes vivant avec un cancer, en particulier à un stade métastatique. À ce jour, nous manquons de données épidémiologiques consolidées à l’échelle nationale. Comment élaborer des politiques publiques efficaces sans connaître précisément le nombre de personnes concernées, leurs besoins, ou leur situation sociale et professionnelle ?

La création d’un registre national des cancers, récemment votée au Parlement, va répondre à ces enjeux. Sa mise en place, demandée depuis plusieurs mois par de nombreux parlementaires, associations et professionnels de santé, va permettre de documenter l’épidémiologie réelle de la maladie, d’identifier les lacunes (notamment en matière de prévention environnementale), et va renforcer le pilotage territorial des parcours de soins.

Face à la hausse continue du nombre de cancers, disposer de données complètes est indispensable pour anticiper, prévenir, soigner… et accompagner durablement les patients vivant avec un cancer.

Agir pour les patients d’aujourd’hui et de demain

Face à ces enjeux, les industriels de santé ont un rôle clé à jouer : proposer des solutions concrètes, en lien étroit avec les institutions, les soignants et les patients. L’innovation n’a de valeur que si elle est accessible à tous, et partout sur le territoire. La « chronicisation » de certains cancers métastatiques est une avancée scientifique majeure. Mais elle bouleverse les parcours de vie des patients et interroge sur la capacité de notre système de santé à se réorganiser. Cela nous oblige collectivement à repenser l’évaluation, le financement et l’accompagnement des patients sur le long terme.

Source :

1. https://www.who.int/fr/news/item/01-02-2024-global-cancer-burden-growing–amidst-mountingneed-for-services