Tribune

Par
Dr François Krabansky,
Secrétaire Général du Haut Conseil des Nomenclatures
Un terreau fertile d’innovations qui peinent à accéder au financement et au marché
La France comptait environ 2 700 entreprises innovantes dans le secteur de la santé en 2024 dont 864 dans la biotech, 1 393 dans la medtech et 450 en santé numérique et intelligence artificielle. L’évolution a été particulièrement importante dans le secteur du numérique avec un doublement du nombre d’entreprises au cours des quatre dernières années.
L’émergence de nouvelles technologies et solutions pour les patients ou les professionnels de santé est souvent prometteuse. Les entreprises développent un produit qu’elles arrivent généralement à proposer à un nombre restreint de professionnels de santé, d’établissements ou, parfois, des complémentaires santé. Ces derniers voient dans la solution proposée une perspective d’amélioration de la prévention, de la qualité de prise en charge des patients ou d’efficacité de leur travail. Dans certains cas, les solutions intègrent des protocoles de recherche qui visent à étudier de nouvelles thérapeutiques ou de nouvelles pratiques. Les situations rencontrées par les entreprises lors de cette phase d’émergence sont nombreuses et variées. Il est à noter que l’on parle ici principalement des dispositifs médicaux, le contexte de l’innovation médicamenteuse est bien différent, car beaucoup plus cadré et codifié.
Sauf dans les cas d’intégration dans des protocoles de recherche, ces produits ou outils innovants ne disposent pas de prise en charge par la collectivité dans cette première phase. Ils sont donc achetés directement par les utilisateurs. Hormis les outils qui peuvent améliorer le volume d’activité, ces achats représentent généralement une perte pour les acheteurs. Cette situation limite donc la capacité de financement et d’accès au marché à plus grande échelle.
Plus les dispositifs sont innovants, plus cette situation se confirme. Le monde du médicament, qui connaît toujours quelques évolutions, est moins touché, car les modalités d’évaluation et de prise en charge sont organisées, effectives et connues depuis longtemps. Par ailleurs, les entreprises qui commercialisent les molécules ont désormais les moyens de mettre en place une stratégie d’investissement à long terme et de maîtriser les risques qui en découlent. Pour les dispositifs médicaux, en particulier les outils numériques et depuis peu les outils avec intelligence artificielle, la route est longue, sinueuse et souvent mal indiquée.
Un parcours long et peu lisible pour les entreprises
La toute première étape pour les entreprises qui développent des solutions innovantes est d’obtenir le fameux marquage « CE ». Cette étape est indispensable ne serait-ce que pour permettre l’utilisation du dispositif par des professionnels de santé.
Le Graal de l’accès au marché est généralement l’obtention d’une validation de la Haute Autorité de santé (HAS). En effet, le seul moyen de bénéficier d’une prise en charge dans le droit commun par l’assurance maladie, et donc la collectivité, est d’avoir une évaluation favorable de la HAS. Cette évaluation détermine le service attendu des dispositifs, c’est-à-dire leur utilité dans les prises en charge des patients ainsi que l’amélioration du service attendu, qui compare le dispositif à l’existant afin d’identifier la plus-value du dispositif par rapport, soit à une prise en charge de référence, soit une prise en charge proche de celle du dispositif étudié.
Tous les dispositifs n’ont pas nécessairement besoin d’une évaluation de la HAS. Notamment, certains instruments ou consommables peuvent se contenter d’un marquage CE. Cette situation est en lien avec les modalités de prise en charge par l’assurance maladie et du type de dispositif, nous y reviendrons.
La plus grande difficulté pour les entreprises du secteur, et en particulier les start-up, se situe généralement à cette étape préalable à l’évaluation de la HAS. Les raisons sont multiples. La première est de comprendre que le client, le professionnel ou l’établissement qui achète le dispositif, n’est pas le payeur. Du moins, sa capacité d’achat dépend très largement des prises en charge de l’assurance maladie et des complémentaires.
La seconde est d’identifier par quelle modalité de financement est pris en charge le dispositif. C’est aujourd’hui une question compliquée, car elle dépend du type de dispositif et il n’existe pas de définitions réellement partagées des différentes catégories. Pour autant, identifier la modalité de financement est essentiel pour les entreprises, car d’elle dépend la capacité des professionnels et des établissements à acheter ou non le dispositif sans prise en charge par l’assurance maladie et donc sans avis de la HAS nécessaire.
Enfin, en fonction de la modalité de financement, un avis de la HAS peut donc être nécessaire. Cela concerne surtout les dispositifs à destination des patients, comme les prothèses par exemple. Mais certains dispositifs à destination des professionnels de santé peuvent également être concernés. Les entreprises doivent donc à ce stade déterminer si un avis de la HAS est nécessaire ou non. Si c’est bien le cas, elles doivent mettre en place une étude permettant à la HAS d’évaluer le dispositif. Une étape indispensable pour la prise en charge par l’assurance maladie qui peut être longue, voire très longue, mais également coûteuse. En effet, la mise en place d’études nécessite que le dispositif soit utilisé par des professionnels et qu’un recueil d’informations nécessaires à l’évaluation soit organisé. La durée pour le recueil de ces informations peut être conséquente et pendant ce temps, il faut trouver le moyen de financer l’utilisation du dispositif puisque l’assurance maladie ne peut le faire à ce stade.
Des aides ont été mises en place afin d’accompagner les entreprises lors de ce parcours. L’Agence de l’innovation en santé, PariSanté campus, l’Agence du numérique en santé, la plateforme G_NIUS, la BPI de façon plus globale et d’autres encore accompagnent les start-up en santé. La HAS se met également à disposition pour aider les entreprises à créer la méthode d’étude nécessaire pour la future évaluation. Elle le fait notamment dans le cadre de l’accès au forfait innovation, qui permet de bénéficier d’un financement pour cette phase d’étude. Il existe d’autres modalités d’aide au financement telles que les dispositifs dérogatoires de l’assurance maladie de prise en charge anticipée numérique (PECAN) pour des dispositifs numériques ayant une visée thérapeutique ou de télésurveillance qui ont déjà démontré des bénéfices cliniques ou organisationnels, ou de prise en charge transitoire (PECT) pour les dispositifs éligibles à la liste des produits et prestations (LPP) couvrant des besoins mal couverts dans le cadre de maladies rares. Les conditions d’obtention de ces dispositifs sont assez spécifiques et restrictives et nécessitent un usage bien décrit du dispositif. Il existe également le fonds du Référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN) spécifiquement pour les actes de biologie et d’anatomopathologie. Les établissements publics peuvent également utiliser des fonds spécifiques comme les budgets pour les missions d’enseignement, de recherche de référence et d’innovation (MERRI). Enfin, les Agences régionales de santé peuvent éventuellement utiliser le fonds d’intervention régional (FIR) dans certains cas. Bien que de nombreuses aides existent, les conditions d’accès et les modalités de prise en charge semblent toujours mettre en difficulté les plus petites et jeunes entreprises.
Une volonté collective d’aller plus vite dans l’accès à l’innovation, mais une évaluation de la pertinence qui reste indispensable dans un système solidaire
La période suivant l’émergence du dispositif et précédant l’avis de la HAS favorable ouvrant à la prise en charge par l’assurance maladie est la cause soit d’un échec, soit d’un enlisement des entreprises. Elle retarde l’accès à des dispositifs innovants parfois d’un grand intérêt dans l’amélioration de la prise en charge des patients ou la pratique des professionnels. Les conséquences sont multiples, comme des iniquités d’accès pour les patients à des innovations qui peuvent améliorer les diagnostics ou des dispositifs thérapeutiques pouvant améliorer les chances de guérison, éviter des complications ou encore la qualité de vie et réduire les effets indésirables. Cela peut également avoir pour conséquence le retard de mise en place de dispositifs de prévention ou de dépistage pouvant éviter la survenue de maladies. Mais c’est aussi une difficulté d’accès à de nouveaux instruments ou machines pour des professionnels de santé qui peuvent améliorer la qualité des pratiques ou l’efficacité permettant d’augmenter le volume de prises en charge et réduire les délais d’accès pour les patients dans certains domaines ou spécialités.
Aussi, tous s’accordent sur le fait de devoir faciliter et optimiser cette phase critique se situant entre l’émergence d’une innovation et le passage à l’échelle permis généralement une fois le financement de droit commun par l’assurance maladie assuré. Mais cela ne doit pas se faire au détriment de l’évaluation des dispositifs. En effet, si certains sont prometteurs, tous n’ont pas, après évaluation, les résultats escomptés. Or, dans notre système de santé solidaire dont l’équilibre est plus que jamais précaire, il n’est pas possible d’avoir une logique d’investissement massive de la collectivité avec une prise de risque inconsidérée. D’autant plus que les radiations de prises en charge sont difficiles à mettre en oeuvre, or c’est un précepte de l’investissement que de pouvoir arrêter les frais en l’absence de résultat. L’argent perdu pour financer des projets sans intérêt démontré est celui du contribuable, ne l’oublions pas. Aussi, il est essentiel de conserver la garantie, apportée par l’évaluation de la HAS, d’une qualité et d’un intérêt suffisants des dispositifs avant que ces derniers ne soient pris en charge par l’assurance maladie. Bien entendu, cela ne signifie pas qu’il faille exclure toute notion d’investissement des fonds publics. Les différents financements énoncés plus haut, qui sont spécifiques aux dispositifs médicaux, en sont un exemple. Il existe d’autres financements dédiés à l’investissement en faveur de l’innovation de façon plus globale, mais qui peuvent être utilisés dans le domaine de la santé comme les subventions du plan France 2030.
Comment améliorer l’accès au plus grand nombre pour les innovations les plus pertinentes
L’immense complexité du secteur de l’innovation en santé, qui connaît une évolution fulgurante par rapport à la capacité du système à s’en saisir, force à rester humble sur les solutions à apporter. Comme beaucoup de réponses aux problématiques de santé publique, il n’existe pas de solution unique et miracle qui permettrait de donner un accès quasi instantané aux innovations utiles et efficientes. Toutefois, au vu du contexte, il semble que plusieurs pistes seraient intéressantes à investir.
La première est de rendre plus lisibles les modalités de financement à terme pour les différents types de dispositifs. Pourquoi ? Parce qu’un instrument chirurgical ne sera pas financé comme un scanner ou une IRM. Qu’un dispositif médical implantable ne sera pas non plus pris en charge de la même façon qu’un dispositif numérique pour les patients ou pour les professionnels de santé. Certains sont financés par les tarifs hospitaliers via le PMSI, d’autres par un tarif à la LPP, d’autres encore sont inclus dans le tarif des actes médicaux qui comprend les charges nécessaires à leur réalisation, et pour certaines machines il existe un forfait technique qui s’adapte au taux d’amortissement. Il faut donc avant toute chose que ces modalités soient clairement définies et partagées avec tous les acteurs du secteur.
Afin de faciliter l’identification des modalités de financement, il est également nécessaire de définir des catégories pour les dispositifs médicaux innovants. En effet, c’est en fonction de la catégorie du dispositif que les modalités de financement par l’assurance maladie ainsi que la définition des tarifs sont prévues. Ces catégories permettraient aussi d’identifier les dispositifs qui nécessitent un avis HAS de ceux qui peuvent être déployés avec le seul marquage CE. Par exemple, il faut distinguer les instruments, des consommables, des machines, des dispositifs implantables entre autres. Cette liste doit être exhaustive et refléter la réalité de la pratique, suffisamment précise pour être pertinente, mais pas trop pour rester lisible et cohérente avec les modalités de financement.
L’accompagnement des entreprises développant les dispositifs les plus prometteurs en termes de qualité des soins et d’efficience du système de santé semble aussi indispensable pour les guider entre les aides de financement et les démarches administratives. Notamment en vue de réaliser les études nécessaires à l’évaluation de la HAS. Une forme de guichet unique permettant d’informer les entreprises sur les modalités d’évaluation et les solutions de financement serait une piste intéressante. Elle pourrait également proposer une priorisation de l’évaluation des dispositifs les plus prometteurs à la HAS.
Nous avons vu que les aides pour financer l’utilisation des dispositifs lors de phases d’étude permettant par la suite une évaluation de la HAS sont multiples avec des règles et des contraintes d’utilisation qui peuvent les rendre difficilement lisibles et accessibles. Réunir ces différents fonds dans une logique d’investissement en identifiant les dispositifs les plus prometteurs qui pourraient en bénéficier et en les intégrant dans une démarche évaluative semble intéressant. C’est peu ou prou ce que propose le forfait innovation, qui pourrait être renforcé et peut-être mieux adapté aux contraintes des entreprises. L’assurance maladie, qui aujourd’hui n’est que spectatrice dans l’attente de l’avis de la HAS, devrait pouvoir être partie prenante pour identifier les dispositifs qui lui semblent les plus prometteurs.
Pour renforcer la pertinence des remboursements et la justesse des tarifs proposés par l’assurance maladie, l’évaluation médico-économique des dispositifs devrait se développer. À ce jour, c’est principalement l’intérêt clinique qui est évalué. Les informations sur les impacts organisationnels et les coûts des pratiques innovantes sont peu nombreuses, entrent peu en compte dans la décision de prise en charge par l’assurance maladie et compliquent la définition des tarifs. Une analyse plus poussée de ces impacts et ces pratiques devrait accompagner systématiquement les évaluations des dispositifs.
Ce qu’il faut retenir, c’est que l’accélération du déploiement des innovations ne doit pas se faire au détriment de l’évaluation de la pertinence, mais également l’efficience. Pour permettre les deux, l’accompagnement des dispositifs prometteurs lors de la phase d’étude, juste après l’émergence et avant l’évaluation par la HAS, doit être renforcé. Les entreprises doivent pouvoir identifier facilement les démarches à réaliser et comment. Pour celles identifiées comme représentant un potentiel en termes d’évolution de la qualité des prises en charge ou d’amélioration de la performance ou de l’efficience du système de santé, une logique d’investissement doit être mise en place avec un fonds clairement défini et une utilisation pragmatique. Ce fonds doit permettre de soutenir la réalisation des études permettant l’évaluation des dispositifs innovants prometteurs en prenant en charge notamment les coûts de pratiques des professionnels utilisant le dispositif et les coûts de l’étude.
Il faudra sûrement aller beaucoup plus loin pour garantir un accès rapide et sécurisé aux innovations apportant une amélioration notable dans la prise en charge des patients et la pratique des professionnels. Commencer par clarifier la situation, accompagner les entreprises qui développent ces dispositifs et simplifier les démarches à ce stade serait un bon début, mais le chemin reste long.