Tribune

« Des bonus sur la cotisation pour les adhérents qui s’engagent dans des parcours de prévention »

Par
Matthieu Sainton et David Ollivier-lannuzel
Associé chez Eurogroup Consulting et Président de l’Urops
Avec le Soutien de Camille Dugelay, Manager chez Eurogroup Consulting

À l’heure où les contrats collectifs deviennent la norme, notamment dans la fonction publique avec la réforme PSC, la place des complémentaires santé dans la prévention mérite d’être repensée. Matthieu Sainton (associé chez Eurogroup Consulting) et David Ollivier-Lannuzel (président de l’UROPS) confrontent leurs points de vue sur un système de santé devenu difficilement lisible, et sur les conditions pour recréer un continuum de prévention efficace et cohérent autour de l’usager.

La couverture santé est de plus en plus difficile à comprendre pour l’usager. Pourquoi ?

Matthieu Sainton : On a construit un système dans lequel l’usager est progressivement devenu un spectateur. Tout d’abord, le processus de remboursement est découpé et ce n’est qu’à la fin que le patient connaît son reste à charge, une fois que l’AMC a effectué son remboursement, même si elle est majoritaire. Force est de constater que le professionnel de santé informe rarement sur le remboursement et sur la prise en charge : qui rembourse quoi ? À quel moment ? Sur quelle base ? L’individu ne sait plus. Et pour un même soin, le financeur principal peut varier : l’hôpital est pris en charge par l’AMO, les lunettes par l’AMC. Ce jeu à géométrie variable complique énormément la lecture.

David Ollivier Lannuzel : Et cela se traduit concrètement dans la compréhension des garanties. Un tableau de garanties, c’est illisible pour un assuré lambda. On ne comprend ni le niveau de remboursement réel, ni l’articulation entre les acteurs. I l y a un vrai besoin de pédagogie, mais personne ne s’en empare réellement. Résultat : certains se demandent s’ils ne paient pas pour rien, notamment lorsqu’ils ne consomment pas ou peu de soins.

MS : Par ailleurs, le choix de la complémentaire n’est généralement pas réalisé par l’usager : avec la généralisation de la PSC, seuls les retraités et les indépendants choisissent réellement leur mutuelle . C’est-à-dire que 60% des Français éligibles ne choisissent pas réellement leur contrat de complémentaire santé. Ceci affaiblit énormément le lien avec sa « mutuelle ».

DOL : Ce qui est intéressant, c’est que le monde mutualiste est d’abord construit sur un lien avec un métier. Quand on voit certains résultats de la PSC pour les ministères, on est contraint de constater que ce lien affinitaire est parfois remis en cause.

MS : En effet, nous avons d’ailleurs fait une étude auprès d’une population assez large et le premier critère de choix pour retenir une mutuelle, c’est le prix et la rapidité du remboursement. Le côté affinitaire et serviciel est totalement passé au second plan.

Comment recréer une cohérence dans la prise en charge ?

MS : Il faut donc accepter que l’AMC n’est plus l’acteur affinitaire qu’elle a longtemps été. C’est devenu un produit standard, imposé par l’employeur. Pour recréer un lien, elle doit proposer plus que du remboursement : des services utiles, adaptés à la réalité de ses bénéficiaires. Et la prévention peut être ce levier, si elle est pensée intelligemment.

DOL : Absolument. Je fais une distinction claire entre la prévention d’intérêt général, qui relève de l’AMO – vaccination, dépistages, grands programmes de santé publique – et une prévention plus ciblée, de terrain, que les complémentaires peuvent porter. C’est notamment vrai dans les branches professionnelles ou les ministères dans le cadre de la PSC, avec des actions construites sur mesure : TMS, santé mentale, aménagement du poste… On ne fait pas de la prévention “générique” : on fait de la prévention contextualisée.

Ce continuum est-il déjà en train d’émerger ?

MS : Il y a des avancées. Mon Espace Santé, par exemple, peut contribuer à créer une continuité d’information entre les acteurs du soin. Mais ce n’est pas suffisant. Et surtout, ces outils restent difficilement accessibles à certaines populations : personnes âgées, précaires, primo-arrivants… Si on n’y prend pas garde, on reproduit les inégalités au lieu de les corriger.

DOL : Et du côté des complémentaires, on observe parfois un empilement de services plus qu’un projet structurant. Les actions les plus efficaces sont celles construites avec les employeurs ou les DRH, sur des problématiques ciblées. C’est là que se joue la capacité à rendre la prévention visible, utile et mesurable.

Quelles sont les conditions de réussite de ce continuum ?

MS : Il faut sortir d’une logique en silo. Aujourd’hui, médecine de ville, médecine du travail, mutuelles, assurance maladie… ne se parlent pas. Or, c’est l’usager qui fait le lien, et il est seul. Prenez un agent de cantine scolaire en retour progressif à l’emploi : la médecine du travail le suit, mais pas son médecin traitant, et… parfois par sa mutuelle, s’il dépend d’une mutuelle qui a mis en place un parcours spécifique. Il faut penser la prévention comme une responsabilité partagée entre tous les acteurs du parcours de vie.

DOL : Nous manquons d’un véritable corps de professionnels de la prévention en entreprise. Il nous faut des préventeurs, des infirmiers de santé au travail, des coordinateurs. Ce chaînon est aujourd’hui absent. Et pourtant, c’est là, au croisement entre santé publique, santé au travail et action sociale, que le système pourrait gagner en efficacité.

Et la responsabilisation dans tout ça ? Faut-il aller vers plus d’individualisation ? Peut-on imaginer sortir du déséquilibre économique de la santé sans faire contribuer plus les individus ?

MS : Je crois peu à la responsabilisation individuelle isolée. Dans une société où les inégalités d’accès à la santé sont criantes, cela reviendrait à pointer du doigt ceux qui n’ont pas les moyens de faire autrement. En revanche, je crois à la responsabilisation collective : les employeurs ont un rôle central à jouer.

DOL : Il faut trouver le bon équilibre. Je suis également réservé sur les malus individuels. En revanche, des incitations positives – des bonus sur la cotisation pour les adhérents qui s’engagent dans des parcours de prévention – me semblent intéressantes. Mais à condition qu’elles ne renforcent pas l’exclusion de ceux qui, pour des raisons économiques, sociales ou culturelles, ont plus de mal à s’impliquer dans ces parcours. Sur la question économique, il faut avoir un regard particulier sur les exonérations de charges sociales qui représentent près de 80 milliards d’euros en France. Là encore, on a perdu en lisibilité sur ces exonérations et sur comment est financée la protection sociale. Avant de vouloir « taxer » l’usager, la remise à plat des exonérations est peut-être à étudier.

MS : Il faut également noter que des systèmes de bonus/malus existent au niveau des entreprises notamment en lien avec les indemnités journalières. À ce titre, si remise à niveau des exonérations sociales il y a, on pourrait imaginer des bonus/malus associés à des indicateurs de santé pour favoriser la responsabilisation collective et non individuelle.

Conclusion

La réforme PSC marque une bascule : la complémentaire santé devient un produit collectif, impersonnel, souvent prescrit. Dans ce contexte, la prévention peut redevenir un espace d’innovation, de différenciation et d’impact. Mais elle ne peut fonctionner sans une clarification des rôles entre AMC et AMO, sans une coopération renouvelée avec les employeurs, et sans une structuration de l’écosystème de la prévention. C’est à cette triple condition que les complémentaires retrouveront une place utile dans un système de santé enfin pensé autour de l’usager.