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Pour sa troisième série estivale, le CRAPS, le think tank de la Protection sociale vous propose d’imaginer à travers les contributions de nos auteurs, le regard et les commentaires – sérieux, drôles, d’humeur et pourquoi pas loufoques – qu’aurait pu avoir et tenir Hippocrate, le père de la médecine moderne sur la crise sanitaire. Comme d’habitude le romanesque, l’imagination raisonnée ou débridée guident les récits…

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Épisode 1 // Par MICHEL MONIER

– Savez-vous, cher Monsieur, d’où nous vient le « trou de la Sécu » ?

– Euh… Monsieur… à qui ai-je… ?

– Je vous interpelle ainsi parce que je vous vois, tous les matins, plongé dans ce quotidien économique. Je suppute donc que le sujet vous intéresse. Je me présente Hippocrate de Cros.

– Hippo… Monsieur Hippocrate, le grand Hippocrate… celui du… serment ?

– Lui-même, celui du serment et aussi de…

– Stop ! Stop ! Vous m’interpellez, alors permettez que je vous interrompe. Je suis ici voyez-vous que dis-je, nous sommes ici vous et moi, en vacances. J’apprécie, chaque matin de prendre à la paillote de la plage mon premier café et il me faut encore quelques jours pour me détacher de ce réflexe qui me fait me plonger dans ce quotidien économique. Alors voyez-vous le « trou de la Sécu » pendant les vacances… mais bon vous piquez ma curiosité je vais vous écouter, le sujet est sérieux. J’y mets cependant une condition : c’est moi qui paye nos cafés. Et, si vous acceptez mon humour matinal, faites moi le… serment (rires) que l’on ne va pas passer ce mois d’été sur le sujet. Voyez-vous, il y a deux ans j’ai eu droit à « Un été avec Montaigne », il y a eu aussi « Un été avec Baudelaire », alors je vous le dis directement je n’entends pas passer « Un été avec le trou de la Sécu » et si c’est … un été avec Hippocrate puis-je vous conseiller de profiter de ces jours, de vous poser, de pratiquer un peu de sport et acceptez que je réserve un tennis pour 18 heures (en aparté : bouger lui fera du bien).

– Votre écoute me sera précieuse… Monsieur… ?

-… Oui, pardon, je me présente à mon tour : Aristote. Hé oui, le fils de Nicomaque qui fut, je vous l’apprends, le médecin du roi Amyntas III de Macédoine. Sachez que mon père vous doit beaucoup et sachez aussi qu’entendre mon père, tous les jours, nous parler de médecine m’a, comment dire… vacciné. Je me suis donc tourné vers d’autres travaux. Je suis réputé avoir un peu touché aux questions économiques, delà ce quotidien et mon intérêt aussi pour le sujet du « trou de la Sécu » dont nous pourrons parler en marchant un peu.

– Oui, marcher ! Vous êtes, je le sais, Aristote le fondateur de l’école péripatéticienne, ces philosophes qui marchaient, se promenaient, tout en écoutant vos enseignements. Nous voilà un point commun car je suis en quelque sorte le fondateur de l’hospitalisation… ambulatoire (rires intérieurs). Peut-être sommes nous les précurseurs de tous les marcheurs ?

– Elle est bien bonne celle-là (rires partagés) ! Mais dites-moi donc ce « trou de la Sécu »…

– J’y viens Ari, j’y viens (en aparté : je l’ai ferré, que dis-je : je l’ai piqué – ce qui pour un médecin est chose banale !).

– Je vous écoute Hippo (en aparté : puisque nous voilà dans la familiarité, je n’hésite donc pas même si Hippo, c’est un peu lourd).

– J’y viens Ari, j’y viens. De mon temps voyez-vous les choses s’engageaient bien, la médecine que j’inventais, cette science que je découvrais n’était pas coûteuse et j’obtenais des succès reconnus qui, je dois le dire modestement, firent ma réputation. Modestement, une fois encore j’insiste sur ma modestie, je ne peux pas ne pas vous dire que, tout comme votre père, je fus appelé par un roi, celui de Perse le nommé Artaxerxès 1er, dont je refusais les présents afin de préserver l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ma mission.

– « L’indépendance nécessaire à l’accomplissement de votre mission », c’est bien là ce à quoi, parmi bien d’autres beaux principes déontologiques, engage le serment que l’on dit être de vous, cher Hippo.

– C’est exact il l’est et, modestement, oui j’en suis à l’origine par mon comportement exemplaire. Car voyez vous la médecine, ma médecine, avait pour seul objectif l’intérêt du malade et non pas la réussite, la réputation, du médecin. Ma médecine je vous le disais n’était pas coûteuse. J’observais le malade mais je ne l’ouvrais pas, parfois j’incisais – il fallait bien chasser les mauvaises humeurs. Je ne m’acharnais point. Permettez qu’ici, modestement, je me cite « Ce que les médicaments ne guérissent pas, le fer le guérit ; ce que le fer ne guérit pas, le feu le guérit ; ce que le feu ne guérit pas doit être regardé comme incurable ». Tout est dit là. Une médecine que l’on dirait aujourd’hui respectueuse, durable, raisonnée. Une médecine toute faite d’intelligence humaine et qui rejetait toute croyance, toute mystique. L’observation et l’attention au malade, « that’s all » !

– Je vous suis mais votre anglais là, why do you speak english ?… mais le « trou de la Sécu » dites-moi ne perdons pas le fil…

– Oui, j’y arrive. Pourquoi mon anglais ? Ignorez-vous, Ari, que les publications scientifiques se font aujourd’hui en anglais ! En grec ancien, on n’est plus lus. Mais bon, le « trou de la Sécu ». C’est quand mes héritiers ont commencé à ouvrir les malades que les choses ont dérapé. Moi, j’incisais, je cautérisais, je réduisais les fractures… une légende dit que j’ai soigné, aussi, la… maladie d’amour (en aparté : pas forcément ce dont je sois le plus fier, mais bon…). Ouvrir voyez-vous c’était mettre le doigt – si je puis m’exprimer ainsi – dans l’évolution des techniques et vos travaux d’économie nous apprennent que le progrès technique ça a un coût !

-… Je serais, sur ce sujet, extrêmement modeste (en aparté : et paf ! Hippo) mes travaux d’économie n’ont pas abordé l’effet des avancées de la technique sur les coûts, souvenez vous de ce qu’étaient les machines dans ces années 380-320 avant JC. Pour avancer sur cette question du coût des techniques, sur le coût de la technologie de la santé il nous faudrait la compagnie d’Adam. Cet Adam Smith, ce philosophe qui se fit économiste père du libéralisme aujourd’hui si mal compris… mais je m’égare là. Je vous disais que je ne peux émettre un avis sur les conséquences du coût du progrès des techniques.

– C’est un fait qui vous honore, mais j’insiste : c’est en ouvrant les malades que l’on a mis le doigt dans l’inflation des coûts de la santé, principale cause de ce « trou de la Sécu ».

– Les coûts de la santé tirés par l’évolution des techniques est une hypothèse que l’on peut retenir, nous pouvons aussi ajouter le vieillissement comme cause structurelle du « trou ». Imaginez un peu, cher Hippo, si le système devait encore aujourd’hui payer nos retraites aux âges que nous avons (rires partagés), surtout la vôtre vous qui êtes plus ancien que moi (rire d’Aristote, en aparté).

– Donc ma médecine, efficace, n’était point coûteuse ; il n’y avait pas de trou et il n’y avait donc pas besoin de Sécu non plus…

– Feriez-vous là un lien entre, non plus la technique et le coût mais entre l’existence d’un système de soins et l’augmentation des coûts ? Feriez-vous l’hypothèse que la Sécu est là pour gérer le « trou » ? Ce qui serait comme la tentative d’une théorie de l’inflation non pas par les coûts mais par la demande, elle-même créée par l’offre ? Feriez-vous l’hypothèse que c’est l’institution, la Sécu, qui est la cause du « trou » ? Iriez-vous jusqu’à envisager qu’il y a trop de structures, trop d’institutions ?

– Ari, je vous arrête, tel n’est pas mon propos et s’il l’était il nous faudrait pour aller plus loin sur ce sujet et le documenter non pas seulement Adam mais aussi un Karl et peut-être un Schumpeter. Il nous faudrait surtout des… économistes de la santé. Car oui, la médecine est ainsi devenue une chose sérieuse qui réclame non seulement des médecins et soignants mais des experts de toutes les catégories.

– Je vous confirme la chose… il y a même des ministères pour ça, des hauts comités, toute une administration, des lois de financement (Ari en aparté : faire appel à Adam et Karl, voilà une bonne idée… un tennis en double, ce soir à 18 heures, serait bien plus adapté à nos âges).

– Si nous concluons à ce stade l’origine du « trou de la Sécu » résulte de l’avancée des sciences il nous faudrait alors aborder le versant ressources et c’est à ce point, cher Ari, que vos théories sur la chrématistique nous seraient utiles. Mais, vous le disiez : nous sommes en vacances alors je ne vous occuperai pas davantage avec cette question de l’origine du « trou de la Sécu »  vous aurez compris que je n’en suis pas la cause. Je conclurai cette riche et aimable discussion avec une anecdote que j’ai peu prisée.

– Je vous écoute…

– Vous le savez, cher Ari, un cratère sur la lune a été baptisé du nom d’Hippocrates. Figurez vous que j’ai longtemps cru qu’il s’agissait là d’une façon, fort peu élégante, d’illustrer pour quelques astrophysiciens facétieux, que j’étais la cause du…

-… trou de la Sécu, oui… forcément, cratère, trou c’est logique …

– C’est ce que je pensais jusqu’à ce que je me rende compte qu’il y avait un S à Hippocrates. Ce sont donc tous les petits hippocrates qui m’ont succédé qui sont là visés… à juste titre.

– Votre histoire, les éclaircissements que vous apportez cher Hippo, sont particulièrement intéressants, je vous en remercie. Sénèque avait vu juste quand il disait de vous « Hippocrate est le plus grand des médecins et fondateur de la médecine. ». Mais, Hippo, sans vouloir être lourd, il est l’heure de notre tennis… le sport c’est bon pour la santé ; on y va !

– Ari, on ne dit pas tennis mais lawn-tennis, dans le sport aussi on emploie l’anglais aujourd’hui.

– (Ari, en aparté : il est lourd Hippo).

Michel Monier – Ancien Directeur Général Adjoint de l’Unédic