Interview

Nos compatriotes vivant à l’étranger ont été confrontés à des difficultés sanitaires, économiques et sociales parfois beaucoup plus aigües qu’en France

ERIC PAVY
Directeur Général de la Caisse des Français de l’Étranger

Vous dirigez la Caisse des Français de l’Étranger créée en 1978. Quelles sont ses spécificités ?

Eric Pavy : La Caisse des Français de l’Étranger (CFE) est un organisme bien particulier. En effet, il s’agit juridiquement d’une caisse de Sécurité sociale, relevant du livre VII du Code de la Sécurité sociale. À ce titre, c’est un organisme de droit privé chargé d’une mission de service public, placé sous la tutelle directe de l’État, avec un conseil d’administration composé essentiellement de représentants des Français de l’étranger.

Mais à la différence des autres caisses de Sécurité sociale, l’adhésion y est toujours volontaire pour ses bénéficiaires potentiels, les Français et Européens expatriés.

La caisse a été créée en 1978 pour répondre au phénomène croissant de l’expatriation des Français, qui souhaitaient conserver le lien avec notre système de Sécurité sociale. Il leur était ainsi possible, auprès d’un interlocuteur unique, de continuer à cotiser pour leur retraite de base en France, ainsi que de bénéficier d’une couverture santé/risques professionnels à l’étranger comme en France.

Au départ, la majorité des clients de la CFE était constituée par les grandes entreprises, fleurons de l’industrie française qui envoyaient leurs salariés à l’étranger et souhaitaient leur maintenir un haut niveau de Protection sociale et un lien avec le système français. Mais depuis une vingtaine d’année, le profil du Français de l’étranger évolue et nous avons désormais autant d’adhérents à titre individuel que d’adhérents par le biais de contrats collectifs.

De quelle manière la crise épidémique a-t-elle impacté vos assurés sociaux ? Comment la Caisse des Français de l’Étranger s’est-elle adaptée à cette situation inédite ?

E.P. : Depuis mars 2020, notre caisse a été confrontée de plein fouet à la crise sanitaire tant au plan des besoins de nos 210 000 adhérents que de la nécessaire adaptation de son organisation.

Il faut comprendre que dans de nombreux pays, nos compatriotes vivant à l’étranger ont été confrontés à des difficultés sanitaires, économiques et sociales parfois beaucoup plus aigües qu’en France, où jamais le système de santé ou de prise en charge financière des soins ou de la perte d’emploi n’a failli.

Face à ces besoins, il était impératif de trouver des solutions. Avec le soutien de notre conseil d’administration et de notre tutelle, nous avons adopté des mesures exceptionnelles, dérogatoires à notre réglementation. Ces mesures sont assez diversifiées. Pour les personnes non couvertes par la CFE, ou mal couvertes, nous avons créé un produit Covid19ExpatSanté qui couvre spécifiquement tous les soins liés à la Covid et à la prévention de la Covid, à un tarif réduit (50 % de nos cotisations standards). Nous avons aussi facilité les adhésions en réduisant le délai de carence pour les plus de 45 ans.

Pour nos adhérents, nous avons majoré temporairement certaines prises en charge hospitalières, mais aussi mis en place le remboursement des tests puis des vaccins Covid. Il a fallu également diffuser beaucoup d’informations sur notre site et les réseaux sociaux, via une FAQ et un guide de prévention, afin de mieux renseigner et rassurer nos adhérents dans une période anxiogène.

Les échanges avec nos adhérents nous ont parfois amené à adapter nos services, comme par exemple la mise en place d’une attestation de droit en anglais spécifiant la couverture des soins liés à la Covid, devenue indispensable pour accéder à certains pays.

L’impact organisationnel a dû être important pour vos collaborateurs. Comment avez-vous réussi à maintenir l’activité malgré la situation sanitaire ?

E.P. : Sur ce plan, notre situation a été similaire à celle des autres organismes en France. Le confinement, les fermetures des écoles et crèches nous ont amené à développer très rapidement un télétravail quasi intégral pour tous les agents dont les postes étaient télétravaillables. Il aura fallu faire preuve d’ingéniosité du côté de notre DSI pour permettre à chacun de travailler sur un équipement de la CFE ou sur un équipement personnel sécurisé, mais aussi de beaucoup de souplesse de notre personnel pour s’adapter à ces changements rapides. Nous avons toutefois dû suspendre quelque temps notre centre d’appels téléphoniques et prioriser le traitement rapide des sollicitations par internet, ce qui n’a pas été simple… C’est heureusement derrière nous.

Au final, la continuité du service a été garantie, les prestations ont toujours été servies dans les temps à un moment où nos adhérents étaient particulièrement dans le besoin, et c’est la fierté de nos collaborateurs dans la mesure où cette continuité fait partie des principes fondamentaux du service public !

Quel regard portez-vous sur l’articulation entre le régime de base et les régimes complémentaires (RC) pour le public que vous couvrez ?

E.P. : Notre régime n’est pas obligatoire, mais il correspond bien à une couverture d’Assurance maladie de base à l’international. Une partie de nos assurés, généralement dans les pays où la santé est peu coûteuse, se contentent de l’adhésion à la CFE pour leur couverture santé. Toutefois, dans les pays où la santé est chère, comme les États-Unis, Hong Kong ou certains pays où les soins de qualité passent par des établissements privés très coûteux, notre couverture n’est pas suffisante. Nos niveaux de prise en charge sont en effet l’équivalent de ceux de la Sécurité sociale en France.

C’est la raison pour laquelle la CFE a développé une relation partenariale avec des organismes complémentaires investis dans l’assurance santé internationale. Il peut s’agir de courtiers, de société d’assurance ou de mutuelles. Ces organismes proposent des produits complémentaires à ceux de la CFE, voire des services d’assistance ou de réseaux de soins, très précieux à l’international. Certains de ces partenaires sont cependant aussi des concurrents de la CFE sur un marché dynamique, dans la mesure où ils proposent également des couvertures santé « au premier euro », c’est-à-dire alternatives à la CFE.

La clé de notre partenariat est donc de construire de bons produits CFE plus complémentaire, garantissant pour nous comme pour le partenaire des opportunités de développement !

Certains préconisent aujourd’hui de transformer l’Assurance maladie en Assurance santé. Dans cette logique, un système de bonus-malus en fonction des comportements individuels serait mis en place. Quel est votre point de vue sur le sujet ?

E.P. : Etant bien placé pour observer les pratiques de certains assureurs à l’étranger, je trouve que cette logique peut avoir sa pertinence, mais pas dans l’univers de la Sécurité sociale, avec les valeurs qui sont les nôtres. Ce système de bonus-malus relève en effet d’une individualisation tarifaire contraire au principe de solidarité entre les générations, entre les bien portants et les malades, les plus aisés et les plus pauvres.

Je crois en revanche qu’il faut placer au cœur des missions de l’Assurance maladie la politique de prévention et d’éducation santé. C’est d’ailleurs une activité qui se développe depuis des années. Mieux vaut par exemple lutter contre le tabagisme ou l’alcoolisme par la prévention que de taxer les comportements individuels, d’autant que l’on sait combien il est difficile de lutter contre certains comportements de santé qui sont parfois adoptés très jeunes et installent l’individu dans des schémas de dépendance.