Interview

Portrait de FRÉDÉRIC MARINACCE, Directeur général délégué chargé des politiques familiales et sociales de la Caisse nationale des allocations familiales
« La réforme des allocations logement a été déployée avec succès à partir du 1er janvier 2021, grâce aux gros efforts d’adaptation de la branche famille et à la compréhension des allocataires »

FRÉDÉRIC MARINACCE & VALÉRIE MARTY
Directeur général délégué chargé des politiques familiales et sociales de la Caisse nationale des allocations familiales, Coordinatrice de la modernisation des prestations de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF)

La réforme des allocations logement a été permise par l’exploitation des données sociales : quel premier bilan pour la branche famille et pour les bénéficiaires ?

La réforme des allocations logement a été extraordinairement importante pour la branche famille étant donné sa dimension industrielle (plus de 6,3 millions de bénéficiaires) et la sensibilité des allocations logement (80 % des bénéficiaires de cette prestation ont des ressources égales ou inférieures au SMIC). Dans un premier temps, il a été nécessaire d’implémenter une nouvelle réglementation conduisant à actualiser chaque trimestre les bases ressources pour adapter le montant des prestations à la situation réelle du bénéficiaire (et non plus sur la situation des années précédentes), dans une logique de juste droit. Cette actualisation était auparavant effectuée une fois par an grâce à des échanges de données avec la DGFIP. Deuxièmement, il a fallu adosser le dispositif de collecte des ressources au Dispositif de Ressources Mensuelles (DRM) alimenté directement par les systèmes sources verseurs de revenus utiles aux calculs des droits. Enfin, cette réforme s’est accompagnée de la modernisation du système d’information (SI) de la branche famille. La réforme des allocations logement a été déployée avec succès à partir du 1er  janvier 2021, grâce aux gros efforts d’adaptation de la branche famille et à la compréhension des allocataires. Des difficultés ont toutefois été rencontrées. Bien que le DRM soit un dispositif stable et extrêmement performant, des limites peuvent être notées en termes de « mouvance » des ressources remontées : la CNAF estime que 10 % des ressources déclarées peuvent faire l’objet d’une correction les mois suivants. Dans la configuration d’une révision trimestrielle des ressources, cela peut entraîner une certaine instabilité et un manque de visibilité sur le montant des aides au logement versées à la fin du mois pour l’allocataire. Par ailleurs, le DRM ne véhicule pas l’ensemble des données : 5 à 7 % des ressources doivent être déclarées directement par l’allocataire chaque trimestre alors que dans l’ancien système, les ressources étaient acquises grâce à un échange avec la DGFIP. La fluidification du parcours allocataire reste donc un enjeu majeur. Enfin, cette réforme a permis de mettre en évidence plusieurs besoins impératifs. Pour la branche famille, une gouvernance stratégique et opérationnelle autour du DRM apparaît indispensable, afin de gérer la nouvelle interdépendance entre les dispositifs de collecte des données sources (DSN et PASRAU), le DRM et les différents organismes de protection sociale verseurs de prestations. Il est également nécessaire de développer une ingénierie de prévention des anomalies et des incidents pour mieux anticiper les conséquences par rapport aux allocataires et opérateurs ; de réduire la complexité de la législation ; et de passer par des expérimentations à blanc pour les futures prestations à moderniser en capitalisant sur l’expertise acquise de la réforme des allocations logement.

Les données qui restent à renseigner par les allocataires ont-elles vocation à être transmises de façon automatisée ?

Pour l’instant, il n’est pas prévu de transmettre de manière automatisée les données qui sont renseignées directement par l’allocataire, mais cela constitue un objectif, notamment pour les travailleurs indépendants. à noter qu’il restera toujours des ressources à déclarer manuellement telles que les ressources perçues à l’étranger ou encore les pensions alimentaires. Au-delà des échanges avec les partenaires comme l’Urssaf pour récupérer à la racine les données concernant les travailleurs indépendants, une autre option que porte la branche famille est la simplification réglementaire et l’harmonisation des bases ressources, avec par exemple l’abandon de la prise en compte de certaines ressources non structurantes dans le calcul des droits.

Quels ont été les freins ou les éventuelles difficultés rencontrés par les gestionnaires dans le cadre de cette réforme ?

Les impacts métiers de la modernisation des prestations avec l’adossement au DRM ont été très importants puisque l’acquisition des données à la source modifie sensiblement la relation de service. Avant la réforme, la branche famille était à l’origine des données demandées à la DGFIP et les gestionnaires savaient exactement comment les interpréter. Aujourd’hui, l’interprétation est plus difficile parce que le gestionnaire conseil est aveugle par rapport aux données remontées par le DRM.

Quelles étaient les actions engagées avant la réforme pour la lutte contre la fraude au niveau de la CNAF ? Celles-ci ont-elles été impactées par la réforme des allocations logement ? Et sur le non-recours ?

Pour l’instant, la CNAF s’est concentrée sur la mise en place des aides au logement puisque l’utilisation du DRM dans une logique de contrôle, de lutte contre la fraude et de non-recours n’a pas été autorisée par le décret le régissant. Pour autant, le DRM est un Rubik’s Cube qui ouvre un immense champ des possibles en matière d’accès aux droits mais aussi de lutte contre la fraude. La politique de lutte contre la fraude de la branche famille est basée sur les contrôles des données entrantes, les contrôles sur place, le datamining, etc. Toutefois, le DRM a pu sous certains aspects fragiliser la fiabilité du versement des aides au logement, avec un taux d’erreur qui a augmenté de 7 à 9 % en 2021. Concernant le non-recours, le DRM contient des informations sur des millions d’individus. Il serait ainsi possible de cibler tous les individus ayant des ressources inférieures au plafond d’octroi et qui ne sont pas bénéficiaires d’une aide.

Quels enseignements tirez-vous de votre expérience d’une telle transformation de la logique déclarative ? Quelles perspectives pour la suite et quel rôle de la CNAF ?

Il est nécessaire de renforcer la fiabilité des données, ce qui suppose une simplification des 4 bases ressources de la branche famille (base ressources pour les allocations logement, pour les prestations familiales, pour le RSA, et pour la prime d’activité). La simplification ne sera pas complète tant que nous ne serons pas capables de communiquer à l’allocataire sur sa fiche de paie le montant sur lequel se base le calcul de ses droits, sans reconstitution de sa part. Par ailleurs, il faut aller encore plus loin en identifiant à la source le non-recours, à la fois en décelant le non-recours pour les non-allocataires des Caf mais aussi pour tous les allocataires ayant recours à une seule partie des prestations auxquelles ils peuvent prétendre. Le DRM doit permettre d’atteindre ces objectifs, puisqu’il permet un accès à toutes les prestations versées par la sphère sociale. Enfin, il faut fluidifier le parcours allocataire pour éviter les déclarations inutiles. En cible, l’allocataire se manifestera, soit par une demande, soit par une déclaration de situation, mais par la suite, il n’aura plus rien à déclarer, notamment dans la révision trimestrielle des ressources : voilà ce nous imaginons être demain la solidarité à la source. La branche famille est capable de mener à bien le projet de solidarité à la source puisqu’elle en maîtrise toutes les composantes : le système d’information et toutes les prestations dont il sera question.