le problème de la famille est vécu au travers d’un prisme déformant par le militaire éloigné durablement.

Jacques Feytis

DRH du groupe Covéa & ex-DRH du ministère de la Défense

Je me souviens encore très nettement quand, après l’été 2015, lorsqu’on m’a proposé de réfléchir à l’élaboration d’une offre dédiée aux personnels du monde de la Défense et de la Sécurité, l’élaboration de cette offre passant par un partenariat stratégique entre la GMF, la mutuelle Unéo et la mutuelle MGP.

Ma modeste expérience me permettait d’avoir quelques convictions sans pour autant être un expert du secteur. Mes années de jeune officier en unités opérationnelles commençaient à dater mais j’avais eu l’immense plaisir d’animer durant trois ans le dialogue social au sein de la communauté militaire – même si on nomme « concertation » les échanges entre le commandement et les représentants du personnel. Plus tard, mes responsabilités de DRH du ministère de la Défense avaient encore renforcé ma compréhension des enjeux de Protection sociale des militaires des trois armées et de la gendarmerie.

Bien sûr, beaucoup de choses ont été dites, depuis la création du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM), sur les préoccupations de militaires qui, longtemps, se sont sentis aux marges de la société française. S’il n’est pas strictement possible de plaquer les analyses du HCECM à la communauté de la police, gageons malgré tout que bien des points peuvent lui être appliqués. Au total, pour synthétiser sur une seule idée-force, qu’est-ce qui me paraît encore aujourd’hui majeur lorsque l’on s’interroge sur la Protection sociale de ceux qui nous protègent, ici, sur notre territoire, ou au loin, parfois très loin ?

Ce qui me semble caractériser le mieux l’intervention militaire, c’est la distance et la durée. Conjuguées, distance et durée tendent à isoler le militaire en opération, à l’isoler certes en compagnie de ses camarades qui partagent la même opération que lui, mais malgré tout en le coupant d’un contact quotidien, naturel et fluide avec ses proches et, tout particulièrement, avec sa famille. Quatre mois, six mois, c’est long ; à dix mille kilomètres, ça semble encore plus long. Surtout, les tensions qui, parfois voire souvent, marquent les opérations voient leurs effets s’augmenter encore avec la durée et la distance. Tout problème devient plus délicat à gérer : le problème du militaire est délicat à appréhender et à assumer par sa famille, le problème de la famille est vécu au travers d’un prisme déformant par le militaire éloigné durablement. Le militaire aime la vie opérationnelle et c’est parce qu’il aime le risque au service de causes auxquelles il croit fortement qu’il a choisi ce métier des armes. Mais pour autant, il souhaite ardemment protéger autant que possible sa famille des vicissitudes de la vie militaire. Le bivouac, il connaît, il en fait son affaire. Mais le camp de base où vivent les siens le préoccupe et il ne peut pourtant pas intervenir sur lui.

S’agissant des forces de sécurité, l’intervention est quotidienne, elle est brève et à proximité. Est-ce que pour autant, la situation est plus simple ? Non sans doute, et de moins en moins. Si l’on reprend l’image précédente, le policier n’a pas de bivouac et il rentre tous les soirs ou presque à son camp de base. Mais il y rentre tous les soirs chargé des tensions extrêmes qu’il vit de plus en plus quotidiennement dans un monde de plus en plus violent. Et sa famille n’est protégée ni par la distance, ni par la durée. Elle l’est d’autant moins qu’elle vit dans un camp de base installé au cœur de la zone des opérations. Le policier ou le gendarme, lui aussi, aime le risque et la tension inhérente à son métier et il les assume bien volontiers parce que lui aussi croit à la noblesse de son action. Mais il voit les siens stressés et de plus en plus souvent menacés parce qu’il est membre des forces de l’ordre.

Alors, selon moi, la priorité des priorités en matière de Protection sociale des militaires et des policiers est de travailler sur les familles. Santé et prévoyance, bien sûr ! Mais aussi logement et aide à la mobilité. Mais aussi emploi du conjoint. Mais aussi, osons aller jusque-là, aide à l’éducation des enfants.

Le camp de base ne doit pas devenir un fortin isolé, mais il est important qu’il y fasse bon vivre pour que nos militaires et nos policiers puissent sereinement nous protéger, ici et au loin.