Tribune

Portraits de Sophie CAILLAUD, Anthony SALIC et Anne CLAUSSE du cabinet YCE Partners
Il paraît indispensable aujourd’hui de restaurer la confiance des citoyens dans leur système de retraite, et plus particulièrement celle des jeunes.

Sophie CAILLAUD, Anthony SALIC et Anne CLAUSSE
Cabinet YCE Partners

Alors que la réforme des retraites souhaitée par le Président Emmanuel Macron après son élection en 2017 s’est heurtée à la mobilisation des citoyens et à la crise du Covid-19, l’exécutif semble vouloir revenir en force avec une nouvelle proposition. Cette fois, c’est une réforme paramétrique probablement de moindre ampleur qui paraît se dessiner – ce qui ne signifie pas que son acceptation par les Français en sera plus aisée, comme en atteste la mobilisation du 29 septembre à l’initiative de plusieurs syndicats. Depuis une trentaine d’années, toutes les réformes des retraites menées (ou tentées) ont été sources de crispations. Il serait pourtant temps, alors que la sécurité sociale vient de fêter ses 77 ans, de rétablir le contrat de confiance censé lier les Français et leur système de retraite, notamment avec les jeunes générations dont l’avenir est dès aujourd’hui en jeu.

Les Français et le système de retraite : une relation tumultueuse

A chaque tentative de réforme du système de retraite, le même schéma se répète : frustrations, contestations, manifestations. La seule réforme adoptée sans trop de heurts fut la réforme Balladur de 1993, qui portait sur l’allongement de la durée de cotisation et la modification de la base de calcul des pensions. Depuis, chaque réforme a connu son lot de frictions. Le plan Juppé de 1995 a dû être allégé de ses mesures concernant la retraite des fonctionnaires et des agents du service public à la suite de grèves massives qui ont paralysé plusieurs grandes villes du pays. De même pour les réformes Fillon en 2003, Woerth en 2010 et Touraine en 2014 : l’allongement de la durée de cotisation ou encore le report de l’âge légal de départ de 60 à 62 ans ont cristallisé les mécontentements.

Contrairement au système universel de retraite voulu par le Président Macron fin 2019, ces réformes étaient essentiellement paramétriques : elles ne portaient « que » sur l’évolution de certains paramètres (durée et taux de cotisation, âge de départ…). Elles n’ont par ailleurs pas eu pour effet visible un report des Français sur les produits de retraite supplémentaire : bien qu’en croissance régulière (le nombre de Français adhérant à un produit d’épargne retraite supplémentaire a doublé entre 2005 et 20201, tandis que la part de ménages possédant une assurance vie a augmenté de plus de 50% sur cette période2) aucun mouvement de souscription massive à des produits de type épargne retraite ou assurance vie n’a été constaté au lendemain des différentes réformes. La part de la retraite supplémentaire dans l’ensemble des régimes de retraite, bien que stimulée par la loi PACTE avec une forte croissance enregistrée dès 2020 (2,8 millions de contrats tous PER en décembre 2020, contre 5,2 millions en mai 20223), reste marginale par rapport à celle des régimes de base et représente seulement 5,1% des cotisations collectées et 2,1% des prestations servies4.

Mais alors, pourquoi autant de crispations ? Trois raisons semblent se dessiner.

• L’allongement de la durée de cotisation ou le recul de l’âge de départ sont perçus comme un allongement de la durée de travail, à contre-courant des évolutions du droit social (cf. 35 heures) et des aspirations des travailleurs qui plaident plutôt pour une réduction du temps de travail5. Dernier exemple en date : les débats lors de la campagne présidentielle sur la semaine de 32 heures ;
• Les discours parfois anxiogènes des pouvoirs publics qui justifient les réformes par la nécessité de « rétablir l’équilibre financier du système », mettant en avant un doute sur la pérennité du système en l’absence de mesures structurelles ;
• L’approche française autour de la notion de « droits acquis », fondée sur un droit au maintien de l’acte créateur de droits, joue probablement elle aussi un rôle dans la crispation face à toute réforme.

La nécessité de restaurer la confiance, notamment celle des jeunes

Il paraît indispensable aujourd’hui de restaurer la confiance des citoyens dans leur système de retraite, et plus particulièrement celle des jeunes. En effet, le fonctionnement de notre système par répartition repose sur les actifs, qui versent les cotisations finançant les pensions des retraités. Or, ce principe de solidarité intergénérationnelle est mis à mal par l’idée largement répandue chez les jeunes que leur génération ne touchera pas, ou peu de retraite6. Ainsi, pour une grande partie des actifs, la retraite est synonyme d’illusion.

Pourtant, il est primordial de sensibiliser les plus jeunes aux questions liées à leur retraite étant donné que celle-ci sera le reflet de leur carrière. Pour une génération de plus en plus mobile professionnellement, et alors que les taux de remplacement diminuent au fil des générations7, il est d’autant plus important d’anticiper les impacts, notamment financiers, de certains choix (départ à l’étranger, statut d’auto-entrepreneur, etc.) en préparant sa retraite dès le début de sa vie active.

Une étude publiée en septembre 2022 par YCE Partners et Infopro Digital met en avant une perception partagée des différents acteurs de la retraite sur une augmentation et un rajeunissement de l’intérêt des actifs pour le sujet de la préparation à la retraite. En effet, les 20-30 ans seraient plus actifs sur la souscription de PER que les 35-45 ans et on constate un rajeunissement moyen de deux ans dans les souscriptions chez les plus de 40 ans. Pourtant, parmi les 35% des 18-24 ans qui épargnent au moins 5% de leur revenu, seuls 22% le font pour améliorer leur niveau de vie à la retraite8. Il reste donc difficile de mobiliser les jeunes générations à la préparation financière de leur retraite. Plusieurs leviers pourraient être activés : renforcer la lisibilité du calcul des droits et des produits d’épargne retraite proposés, améliorer la promotion et l’accessibilité de l’information sur les canaux digitaux, très prisés par les jeunes, et surtout expliquer et rassurer pour rétablir la confiance dans les dispositifs de retraite de base comme de retraite supplémentaire, gage de cohésion globale du système sur le long terme. Il s’agit donc d’une question mobilisant l’ensemble des acteurs :

• L’État et les pouvoirs publics qui doivent davantage faire preuve de pédagogie sur la logique d’ensemble et le fonctionnement de la retraite ;
• Les organismes de retraite obligatoire (base et complémentaire) et supplémentaire qui doivent faire évoluer la relation avec leurs clients en s’inscrivant dans une approche moins « produit » et plus orientée conseil ;
• Les entreprises (et les partenaires sociaux), appelées à jouer un rôle de plus en plus actif dans la préparation administrative, financière et psychologique au passage à l’après-vie active ;
• Enfin, les citoyens eux-mêmes dans la construction et leurs choix de carrière et par effet miroir de leur retraite.

Nous sommes ainsi convaincus que les débats sur les retraites ne devraient pas se concentrer sur la nouvelle modification paramétrique prévue par l’exécutif, d’autant qu’en réalité l’âge moyen de départ à la retraite s’élèvera déjà à 64 ans en 2040 du fait des réformes précédentes9, mais bien sur une autre question plus fondamentale : comment rétablir la confiance des Français dans le système de retraite pour garantir sa pérennité ?

1 DREES, Les retraités et les retraites – édition 2022
2 Source : Insee
3 Consolidation des données France assureurs, AFG, CCSF et DG Trésor
4 DREES, op. cit.
5 Selon l’étude People at Work 2022 : l’étude Workforce View d’ADP Research Institute, 71% des travailleurs se disent favorables à la semaine de 4 jours.
6 48% des Français pensent qu’ils vivront moins bien à la retraite que leurs parents (BVA, YCE Partners, 2020)
7 Rapport annuel du COR, op. cit.
8 « Les jeunes, l’épargne et la retraite, des relations complexes », Les dossiers du cercle de l’épargne, 2022
9 Rapport annuel du COR, op. cit.