dessin d'un visage

Tirées du livre Psychiatrie & Santé Mentale : les #idées des acteurs

Le champ de la santé mentale : une nécessaire clarification

Un domaine vaste aux frontières incertaines

Le champ de la psychiatrie et de la santé mentale reste vaste comme le font constater de nombreux auteurs. On peut, à juste titre, s’interroger si nous ne sommes pas passés d’une fascination esthétique de la maladie mentale donnant lieu à une polyphonie peu soucieuse de réinsertion sociale à une réinsertion sociale privée du discours éclairant les éléments constitutifs du sujet qui en fondent la nécessité. La psychiatrie a toujours oscillé entre une identité non médicale, philosophique, sociale ou psychologique, et une identité médicale. Tout se passe aujourd’hui comme si la référence conceptuelle biomédicale était d’autant plus accentuée que les pratiques et les objets cliniques se démédicalisent. Le besoin identitaire des psychiatres de s’assurer d’une référence théorique scientifique et médicale semble d’autant plus fort que celle-ci s’affaiblit dans la pratique. Car, de manière paradoxale, plus la psychiatrie se démédicalise dans les faits, comme pratique sociale et rééducative prédominante, plus elle renforce ses références théoriques aux sciences biomédicales : génétique et neurosciences. Une chose est certaine la psychiatrie, par définition discipline médicale, entretient avec les autres disciplines médicales (à l’instar de l’addictologie) mais également sociales et médicosociales, des frontières qu’il faut tracer sans tomber dans un brouillard de connaissances et une méconnaissance du rôle des acteurs. L’analyse du champ de la psychiatrie conduit à la détermination de ses forces et de ses faiblesses comme à la place de chacun.

Proposition 1 : Élaborer un document sur les frontières de la psychiatrie au sein de la santé mentale en précisant les articulations nécessaires avec les champs sociaux et médicaux

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Une spécificité du lien avec le social : la psychiatrie la violence et le social

Depuis son origine, la psychiatrie est confrontée à sa relation avec l’organisation de la société. Le débat récent sur l’irresponsabilité des malades mentaux comme celui sur la violence interroge les acteurs. La négation de l’irresponsabilité de certains malades mentaux et de l’abolition de leur discernement au moment de commettre un crime ou un délit, sous prétexte du droit à réparation des victimes et pour satisfaire le besoin de vengeance ou tout autre mouvement passionnel de l’opinion, représenterait une régression sociale considérable. La loi de 2008 a apporté un progrès en instituant un procès devant la chambre d’instruction où la matérialité et la nature du crime ou délit sont prises en compte et où le degré de responsabilité, après audition des experts, fait l’objet d’un jugement… Mais aussi, si le danger est réel, de faire de l’hospitalisation psychiatrique un moyen de pallier le manque de places en prison. Le danger est également réel de condamner à la prison et de laisser sans soins d’authentiques malades dont l’acte délictueux ou criminel a échappé à leur discernement.

Par ailleurs, la violence des méthodes d’internement ne peut être niée et doit être contrôlée, avec, pour corollaire, la question de la liberté. Mais il est également dangereux de nier ce volet de la prise en charge des patients violents. Le secteur ou des structures intersectorielles doivent répondre à ce besoin dans le cadre d’un cahier des charges précisant qui fait quoi et pour quelles pathologies.

De la même façon, plus le besoin du sécuritaire pousse à la psychiatrisation de la violence, plus la société par des procédures de plus en plus complexes se méfie de la psychiatrie.

Le tout exigeant plus de temps et donc plus de moyens en personnel mais également en capacitaire, thématique qui sera reprise ultérieurement dans le débat budgétaire.

Proposition 2 : Demander à chaque territoire de santé de préciser son dispositif de prise en charge des patients violents et de décliner l’évaluation de la mise en œuvre du dispositif

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Pour reprendre une formule d’une contribution, la psychiatrie relève bien de la santé mais la santé mentale dépend de l’action publique par définition interministérielle.

Proposition 3 : Faire du champ de la santé mentale le domaine de l’interministériel

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Des acteurs multiples, des pratiques diversifiées

La problématique des acteurs est à la base de tout projet médical : comment construire un projet sans que des acteurs s’engagent et portent le dispositif ? Comment gagner un combat sans combattant ? La question des moyens (voir supra) ne doit pas cacher un débat de l’articulation des compétences.

La spécialisation en psychiatrie, renforcée par la séparation entre la psychiatrie libérale ou publique et les différentes modalités de prise en charge à temps plein, à temps partiel ou en ambulatoire, explique la multiplicité des outils mais également des références. Ainsi, avec le développement des approches cognitives, comportementales, développementalistes, familiales ou attachementistes, les repères se sont multipliés et les pratiques se sont diversifiées pour s’adapter avec plus de pertinence à la variété des situations cliniques rencontrées. Une place pour chaque acteur dans un domaine caractérisé par la pluridisciplinarité est souhaitée par tous. L’unité de l’action dans la pluralité des approches s’étend aussi à l’interministérialité des politiques nationales mais également territoriales. Mais comment concilier l’unité et la diversité des approches ? Le point commun de nombreux textes tient dans la nécessité de repenser le travail : comprendre, agir et évaluer ensemble pour prévenir ensemble. Le succès du parcours du patient repose autant dans la complémentarité travaillée entre les acteurs que dans l’optimum de chaque intervenant.

Proposition 4 : Laisser aux acteurs de terrain l’organisation de la complémentarité de leur travail, en contrepartie, exiger une visibilité dans le parcours de soins

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Un paradoxe : une reconnaissance qui ne se traduit pas dans les faits

La question des moyens

Alors que les dispositifs de service public ou libéral sont unanimement débordés par les demandes, alors que les enjeux économiques et sociétaux s’expriment avec une acuité liée à la crise actuelle, on ne peut que constater une réduction importante des effectifs. Alors que l’on sait que la santé mentale est un enjeu de santé publique ainsi qu’un enjeu économique et social qui concerne tous les citoyens, alors que l’on a depuis longtemps des propositions pour bâtir une politique ambitieuse, deux questions se posent : pourquoi toutes les tentatives précédentes n’ont pas totalement abouti ? Et comment dépasser la frilosité et la résistance des professionnels qui entendent bien que ces questions restent exclusivement dans le seul champ sanitaire ou inversement veulent englober la psychiatrie dans un ensemble flou ? Ce qui, par définition, suscite la crainte des décideurs dans l’affectation des moyens qu’ils apportent. La lisibilité des moyens est au cœur de la problématique budgétaire.

Proposition 5 : Dans les EPS généraux, disposant de soins psychiatriques, élaborer un budget annexe individualisant les moyens consacrés

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La question du territoire ou le débat du secteur

C’est la psychiatrie française qui a inventé la sectorisation, consacrant le concept de territoire. Un débat apparaît néanmoins dans un tiers des contributions : le secteur n’est pas remis en cause en tant qu’organisation territoriale mais interroge sur sa taille et donc sa capacité à fédérer et regrouper des compétences. Les questions portent autant sur la lisibilité du dispositif, l’accès aux soins, la gradation de ceux-ci, comme sur la création de lignes de soins spécifiques s’appuyant sur les centres de recours en lien avec chaque pathologie (centre expert, centre support, centre référent ou centre ressource).

En ce sens, l’approche en niveaux d’accès avec trois échelons territoriaux n’est pas spécifique à la psychiatrie à l’exemple de la cancérologie ou plus largement de la médecine avec :

• le premier niveau des soins primaires, celui du médecin généraliste ou la réponse aux besoins de proximité ;

• le deuxième niveau, celui de la spécialité qui pose la question de l’accessibilité et donc de la collaboration entre secteurs ;

• le troisième niveau, celui de la référence, la plupart du temps universitaire, où sont adressés les patients les plus complexes, c’est-à-dire ceux résistant aux traitements ou présentant un ensemble de problèmes difficiles à gérer (comme les patients atteints de comorbidités).

Ce schéma ternaire n’est pas applicable totalement en psychiatrie, même si les centres de référence et d’expertise dépendant ou pas des services universitaires constituent cet échelon. Le secteur doit rester le maître d’œuvre ouvert aux différents niveaux du territoire afin que l’accès aux différents types de soins soit plus lisible. Faire du secteur le creuset (la marmite) de tout projet de soins n’exclut pas le développement des structures intersectorielles afin de garantir une prise en charge des patients diversifiée.

Proposition 6 : Dans le cahier des charges de chaque secteur demander que soit précisée l’articulation avec les différents niveaux de prise en charge et contractualiser le parcours du patient entre acteurs et structures intersectorielles

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Investir dans la recherche

La recherche est traditionnellement tournée vers les sciences fondamentales dites dures et l’attrait récent de la psychiatrie pour ces sciences, comme le recours à des plateaux techniques, ne doit pas faire oublier la spécificité de la psychiatrie française tournée sur la clinique, la pratique de la relation, l’engagement relationnel mais également l’articulation avec des domaines aussi variés que sont l’anthropologie, la sociologie, la philosophie.

Comme cela a été fait pour le cancer, le Sida, les maladies neurodégénératives et maintenant la Covid, la recherche et l’innovation doivent être au cœur du combat contre les maladies psychiatriques. Une stratégie nationale sur la psychiatrie pourrait être mise en place pour définir une vision coordonnée de la recherche française et relever plus efficacement les défis associés à cet enjeu majeur de santé publique. à terme, cette stratégie devrait permettre d’atteindre une masse critique de chercheurs, cliniciens et cliniciens-chercheurs dans le domaine de la psychiatrie et d’augmenter significativement les collaborations entre acteurs. Comment y parvenir ? L’idée d’un ou deux IHU, séduisante en somatique, se heurte à deux réalités cliniques propres à la psychiatrie. La première est l’existence de structures comme l’Institut du cerveau, qui permet aux chercheurs psychiatres de participer avec d’autres chercheurs à la recherche fondamentale et de ne pas s’isoler dans une structure exclusivement psychiatrique. La deuxième tient à la nécessité de rapprocher la recherche de la clinique en facilitant la création de structures de recherche dans les hôpitaux disposant d’une masse critique de chercheurs (médicaux comme soignants) et fédérés par l’Inserm dans une structure propre à la psychiatrie. Autrefois, l’Institut national d’hygiène qui a précédé l’Inserm avait une très importante section de « Santé mentale ». Aux débuts de l’Inserm, la recherche psychiatrique tenait encore une grande place avec des unités un peu partout et dans toutes sortes d’orientations : épidémiologique, recherche clinique, ethnopsychiatrique, psychopathologique, sociologique, études sur le développement de l’enfant, etc. Progressivement, la psychiatrie s’est fondue avec les neurosciences, les sciences cognitives et la neurologie dans un seul département et seules ont été prises en compte les recherches d’orientation neurobiologique. Tout en poursuivant les recherches fondamentales en neurosciences, en sciences cognitives ou en génétique, qui peuvent avoir des retombées sur la psychiatrie, il conviendrait d’autonomiser à l’Inserm un département autonome de psychiatrie, comme il y a un département du cancer, et de relancer des projets de recherche plus larges en refaisant une place aux sciences humaines avec des unités de recherche pluridisciplinaires décentralisées, collaborant avec des services cliniques pour développer la recherche clinique, épidémiologique, psychologique, psychodynamique, sociologique, ethnologique et l’évaluation des pratiques.

Proposition 7 : Créer un département psychiatrie au sein de l’Inserm qui fédérerait les unités décentralisées associées aux services cliniques

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Reconnaître la diversité des approches ou le défi de la pluridisciplinarité

À la différence des autres spécialités médicales, la psychiatrie utilise surtout la relation interpersonnelle comme outil principal. La clinique de la psychiatrie est faite de relations, chaque signe ne devient symptôme que dans un cadre relationnel et s’insère dans une histoire, histoire de vie des soignés, histoire de la relation qu’ils entretiennent avec leurs soignants et éventuellement de l’institution qui abrite les interactions entre soignants et soignés. Même si la psychiatrie a recours à d’autres instruments ou à des médicaments, ceux-ci tirent une large part de leur efficacité de l’investissement mutuel de ces interactions. Pour cela, les contributions mettent en avant trois propositions :

• Le besoin de formation est présenté comme une exigence pour apprendre des techniques nouvelles, mais aussi pour se spécialiser dans des volets multiples de la psychiatrie.

• S’ouvrir aux technologies de l’information et de la communication afin de faciliter les échanges.

• Faire du tutorat un moyen d’améliorer l’attractivité des métiers comme enrichir la formation continue autour des concepts d’apprentissage, de compagnonnage et d’analyse de la pratique.

Proposition 8 : Augmenter les crédits de formation et d’analyse de la pratique dans les dotations des secteurs. Individualiser par secteur les crédits nécessaires au travail transversal. Insérer dans le dispositif de la formation continue l’apprentissage, le compagnonnage comme l’analyse de la pratique.

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Admettre la diversité des apports

Ce qui sort de l’analyse des contributions, c’est d’abord la richesse et la diversité des propositions : le CAdEO, le ClubHouse, l’UAU, l’intervention à domicile et la spécificité de l’HAD. Toutes ces innovations laissent entendre qu’il faut avoir l’esprit libre pour bien soigner. Admettre des expériences différenciées suppose que la vision traditionnelle descendante soit abandonnée au profit d’une liberté des expériences.

Ces innovations, qui enrichissent l’intervention ambulatoire de proximité au sein d’un territoire défini, doivent être mieux repérées et reconnues, davantage développées, leur articulation aux autres services renforcée et leur coordination améliorée…

Proposition 9 : Créer au niveau régional un forum des innovations ouvert aux équipes afin de permettre les rencontres et les échanges, sans imposer un modèle unique sur les initiatives prises

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Pluralité et unité

Face à cette pluralité des apports, il semble que le projet de suivi individualisé soit une des réponses à la complémentarité des acteurs dans une approche clinique. Dans une vision institutionnelle et pour reprendre une idée souvent émise, la mise en place des secteurs avait permis d’innover dans un cadre en libérant les initiatives et les créations diversifiées et fécondes. Pourquoi ne pas faire du secteur un nouveau cadre de cette liberté dans une réflexion ouverte et plurielle alors que nous sommes globalisés dans un contexte de normalisation économique et de mise au pas de la pensée par le biais de normes et de procédures ?

Proposition 10 : Admettre la diversité des approches dans la définition des projets en faisant confiance aux acteurs sous réserve d’évaluation. En parallèle rendre lisible (afficher dans chaque service) le projet de soins

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Une méthode : la confiance et la liberté

Dès lors, laissons la liberté de renverser la table de notre méthode de régulation. Laissons les professionnels de la psychiatrie construire les filières et les parcours dans les territoires, pour répondre aux besoins de santé de la population, en tenant compte des outils et des structures existants et de ceux qui seraient nécessaires. Ces projets pourraient dès lors être portés par une pluralité d’acteurs : publics, privés, hospitaliers, ambulatoires, médicosociaux, etc. Autant d’acteurs qui peuvent être aujourd’hui enfermés dans une logique de concurrence dans le cadre de la régulation de l’offre, et qui seraient alors appelés à s’inscrire dans une démarche partenariale, si ce n’est contraints de le faire. Laissons-les, avec les patients, proposer ces projets aux agences régionales de santé, assortis d’une demande de financement ad hoc correspondant à des éléments factuels et objectivables. Aux agences de réaliser leur travail de régulateur : vérifier la corrélation du projet avec les besoins de santé identifiés dans ses outils de planification, dialoguer avec les porteurs du projet sur les moyens financiers à allouer, proposer des pistes d’amélioration à la proposition initiale, faciliter les coopérations, etc. Cela suppose que les agences se dotent de compétences mais également tissent des liens d’expertise avec les acteurs de terrain.

Proposition 11 : Enrichir le contenu des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens conclus avec l’ensemble des établissements autorisés d’un socle d’indicateurs relatifs aux parcours des patients ; y intégrer, pour les établissements désignés à cet effet, un volet relatif à la mission d’accueil des patients en soins sans consentement et à la mission de secteur (Ministère des Solidarités et de la Santé, Agences régionales de santé)

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Une dernière réflexion tourne autour du thème du besoin d’horizontalité dans la définition d’une action publique. Ce besoin de participation d’adhésion des acteurs ne signifie pas unanimité ni contournement des instances comme des corps intermédiaires, mais exige une ouverture dans la définition du projet. Ainsi, les contributions des représentants des malades comme des élus rappellent qu’à travers le savoir scientifique, le savoir traditionnel, l’innovation, le savoir populaire, la santé mentale est l’affaire de tous, une action qui se structure autour d’une discipline médicale mais dans une horizontalité des apports. Encore faut-il accepter que le modèle se construise en marchant, l’instabilité de l’équilibre du modèle est le garant d’une recherche sans cesse renouvelée.

Proposition 12 : Demander qu’à tous les échelons territoriaux, communal, départemental, régional et national, la santé mentale fasse l’objet d’une politique territorialisée précisant pour chacun des échelons les engagements pluriannuels des collectivités territoriales concernées. à chaque échelon territorial, associer les représentants des usagers.