Tout chercheur a l’intention d’être utile aux malades, mais on ne peut pour autant tout entreprendre au nom de la connaissance

Dr Pierre Loulergue

Praticien hospitalier à l’AP-HP

« L’objectif de la recherche est le soin, mais la finalité de la recherche, c’est la connaissance. »
Jean Bernard.

« Que mon esprit […] ait présent tout ce que l’expérience et la science lui ont enseigné ; […] que je sois modéré en tout mais insatiable dans mon amour de la science. […] Donne-moi la force, la volonté et l’occasion d’élargir de plus en plus mes connaissances. »
Serment d’Hippocrate.

Tout le monde le sait, tout médecin se doit de travailler selon une éthique professionnelle qui s’impose à lui. Par le serment d’Hippocrate qu’il prononce à la fin de ses études, mais en réalité dès son premier contact avec une personne qu’il va s’employer à soigner.

Depuis que la médecine est sortie de l’obscurantisme, voire de la magie, elle a dû se confronter à la rationalité, baser son développement sur l’observation clinique, l’expérience, les échanges et la contradiction entre ses acteurs. Les progrès ont été réalisés à un rythme irrégulier, au gré de l’amélioration de la connaissance de l’être humain et des innovations technologiques, mais avec un souci constant : l’intérêt du patient. Le médecin, dépositaire de la santé du patient, de son corps, de ses pensées, de sa vie, est lié par un devoir singulier, celui de faire le bien grâce à ses connaissances, et aidé par les moyens à sa disposition (médicaments, chirurgie, manœuvres manuelles, rayonnements…).

Primum non nocere est une des premières notions que l’on apprend à l’étudiant en médecine. Bien sûr, aucun soignant ne souhaite nuire au malade. Mais c’est une mise en garde contre le désir de « trop » bien faire sans en avoir les moyens, ou pire, en croyant les avoir. Et la iatrogénie peut s’avérer nocive.

Pourquoi l’éthique est-elle particulièrement importante en matière de recherche biomédicale ?

La finalité de la recherche, comme le disait Jean Bernard, est la connaissance. La volonté d’augmenter les connaissances scientifiques, techniques pour mieux soigner est louable. Elle ne doit cependant jamais faire oublier, à l’instar de la pratique médicale, l’intérêt du patient. Car tout chercheur a l’intention d’être utile aux malades, mais on ne peut pour autant tout entreprendre au nom de la connaissance.

De même que ce n’est pas parce qu’une thérapie est techniquement faisable qu’il faut systématiquement l’employer, ce n’est pas parce qu’on a un objectif innovant, diagnostique ou thérapeutique, qu’il faut réaliser une recherche biomédicale.

Le XXe siècle a été celui des progrès exceptionnels dans la compréhension des maladies et leurs traitements, mais aussi des pires excès dans la médecine, au nom de la recherche et de la connaissance scientifique. Dès 1945, une réflexion éthique, aboutissant notamment au Code de Nüremberg et à la déclaration d’Helsinki, a été menée pour encadrer la recherche biomédicale, dans l’intérêt du patient, et plus largement de l’humanité. Outre ces grands principes, il est rappelé au médecin dans le code de déontologie de s’assurer de la régularité et de la pertinence de la recherche et de rester objectif quant à ses conclusions.
En France, c’est la loi dite Huriet-Sérusclat, du 20 décembre 1988, qui a affirmé dans le droit national la légalité de la recherche biomédicale, en rappelant la primauté de la logique de protection des personnes participant à la recherche.

Bien sûr, de multiples modifications juridiques ont eu lieu depuis, mais rien ne remet en cause le fait que c’est le participant qui décide, après une information qui doit être éclairée, c’est-à-dire nécessitant une implication forte du médecin investigateur qui conduit la recherche.

Depuis 1988, d’autres évolutions ont eu lieu dans la société, notamment la loi de 2002 sur le droit des patients. La relation médecin-patient d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier. Le patient s’est en quelque sorte « émancipé » d’une relation qui reste asymétrique, asymétrie inhérente à la pratique médicale, mais qui est devenue plus égalitaire, pour le bien commun.

On ne peut plus ignorer aujourd’hui que le patient est autonome. Ces changements sont parfois décriés dans le monde médical, mais de moins en moins. Chacun doit saisir la chance qu’est la réalisation d’un partenariat, aussi bien dans le soin (ce qui se fait de plus en plus aisément), que dans la recherche.

Dès lors, le chercheur doit mettre autant de minutie et d’implication dans la rédaction de son protocole sur le plan scientifique que sur l’information et le consentement qu’il doit produire. C’est le gage de son sérieux et de son engagement éthique.

Cette éthique de la recherche biomédicale n’est pas différente de l’éthique médicale. Les deux sont développées autour d’une même colonne vertébrale, le souci constant de l’intérêt du patient.

Plus qu’un obstacle, le médecin et le chercheur doivent vivre l’éthique comme une chance, la voir comme un compagnon de route sur le chemin du progrès médical.