Tribune

« L’IA s’impose comme un puissant levier d’innovation, tant dans la prise en charge thérapeutique que dans la recherche clinique »

Par Dr. Jean-Louis Fraysse et Alexandre Drezet
Directeur associé de Botdesign et Directeur de l’innovation de l’hôpital Foch

L’intelligence artificielle (IA) s’impose progressivement comme un levier majeur et incontournable d’innovation dans le domaine de la santé et notamment dans la lutte contre le cancer qui demeure l’une des principales causes de mortalité dans notre pays. De la personnalisation des soins à la transformation des méthodes de drug design ou de recherche clinique, elle ouvre des perspectives inédites pour optimiser la prise en charge des patients et transformer le pronostic de ces pathologies.

Une médecine plus personnalisée et plus prédictive grâce à l’IA

Dans le domaine des soins, l’IA apporte une aide précieuse pour orienter les choix thérapeutiques et définir les meilleures stratégies de traitement. Les technologies d’analyse automatisée de données massives, et notamment celles issues du génome des patients, permettront d’identifier avec une précision accrue les traitements les plus adaptés en fonction des caractéristiques cliniques et biologiques propres à chaque patient. Au-delà de sa capacité à détecter certains cancers de manière plus précoce, l’IA occupera une place essentielle dans la prise de décision thérapeutique qui sera désormais guidée par des algorithmes validés intégrant à la fois données cliniques, biologiques et génétiques.

Une meilleure compréhension des voies de signalisation biologiques et des mécanismes physiopathologiques des tumeurs ouvre pleinement la voie à une médecine plus personnalisée basée sur l’exploitation plus exhaustive des données scientifiques disponibles. Cette approche va progressivement maximiser les chances de succès thérapeutiques, limiter les effets négatifs – et notamment les effets indésirables – tout en ne traitant que les patients qui sont réellement le cœur de cible des nouvelles thérapies ciblées. Ce changement radical s’accompagne de nouvelles modalités de recherche qui visent à accélérer les moyens de mise à disposition de produits innovants.

Réinventer et accélérer la recherche clinique avec l’IA

Les modalités de recherche clinique connaissent elles aussi une profonde mutation, notamment grâce à l’IA générative dont les opportunités d’usage sont particulièrement prometteuses. Parmi les avancées les plus marquantes figure la capacité de générer des patients artificiels à partir de données issues de patients réels. Ces patients artificiels viendront par la suite compléter et renforcer les cohortes de patients réels inclus dans les différents sites hospitaliers.

Cette approche originale s’avère très utile :

– Lorsque certains patients sont difficiles à recruter en raison de leur fragilité (pédiatrie, gériatrie, maladies cancéreuses rares…) ;
– Lorsqu’il est nécessaire d’augmenter la représentativité de certains sous-groupes minoritaires dans les essais cliniques ;
– Lorsqu’il est nécessaire de limiter le recours à des patients réels dans les groupes contrôles de phase III pour des raisons éthiques.

Dans ce dernier cas, la randomisation d’un patient dans un bras de contrôle peut l’exposer à une perte de chance thérapeutique, puisqu’elle le prive d’un accès immédiat à une molécule potentiellement innovante, alors que les traitements de référence sont plus limités ou peu efficaces. Dès lors, l’IA permet ainsi de constituer des bras comparateurs robustes composés de patients réels – en nombre moindre – et aussi de patients artificiels permettant de conserver le principe de comparaison d’un essai clinique randomisé. L’IA offre en ce sens une alternative prometteuse pour réduire ces difficultés qui ne peuvent être aujourd’hui résolues par d’autres alternatives.

Fiabilité scientifique et acceptation réglementaire

Les méthodes de génération de données artificielles s’appuyant sur des architectures avancées, comme les Variational AutoEncoders (VAE) développés par l’université-Paris-Cité (Pr Allassonnière) et la société Botdesign ont déjà fait leurs preuves en matière de fiabilité, comme en attestent de nombreuses publications scientifiques. Produites par des systèmes d’IA générative, ces données voient leur qualité et leur vraisemblance garanties par des comités de garantie humaine déployés conformément aux directives de l’AI Act et opérant selon des protocoles rigoureusement définis au préalable.

Pour autant, afin que ces innovations puissent transformer durablement la recherche clinique, elles doivent faire l’objet d’une reconnaissance claire de la part des autorités réglementaires. Sur ce terrain, la FDA – la Food and Drug Administration américaine – a déjà pris une longueur d’avance en intégrant progressivement l’usage de l’IA générative et des données synthétiques dans ses principes d’évaluation et de validation.

À l’inverse, les autorités françaises et européennes doivent encore clarifier leur position et définir rapidement un cadre réglementaire adapté sans quoi les laboratoires porteurs d’essais cliniques risquent de se détourner vers des terres plus propices à l’innovation.

Des initiatives telles que l’appel à manifestation d’intérêt « Évaluation des nouveaux outils, nouveaux usages et nouvelles approches méthodologiques de recherche clinique », porté conjointement par l’Agence de l’innovation en santé (AIS) et l’Agence nationale de la recherche (ANR), vont dans ce sens. Cet AMI vise notamment à consolider les niveaux de preuves afin de vérifier la robustesse et la fiabilité de ces nouvelles méthodologies. À terme, l’acceptation de ces données artificielles pourrait faciliter la démonstration de preuve d’une nouvelle molécule accélérant, par voie de conséquence, leur accès aux patients que ce soit dans le cadre des essais en limitant la charge psychologique d’une randomisation défavorable ou, à plus long terme, en accélérant leurs mises sur le marché.

En somme, l’IA s’impose comme un puissant levier d’innovation, tant dans la prise en charge thérapeutique que dans la recherche clinique. Elle ouvre la voie à une oncologie plus personnalisée, plus éthique et plus performante. Le véritable défi des prochaines années consistera à renforcer la confiance des autorités, des institutions et de la société afin que ces avancées puissent bénéficier pleinement aux patients atteints de cancer lors de leur intégration en pratique courante. Dans cette perspective, BOTDesign, l’hôpital Foch, le CHU de Toulouse, mais aussi des hôpitaux du GCS Unicancer travaillent conjointement pour éprouver ces nouvelles méthodes afin de valider l’étendue de leurs champs d’action et d’accélérer leur acceptabilité par la communauté médico-scientifique et les institutions réglementaires.