Tribune

« Chaque décision, prise une à une, est légitime. Mais mises bout à bout […] cet empilement de structures, de normes et de compétences finit par rendre le système difficilement lisible, et donc pilotable. »

Robin Mor
Directeur des Affaires Publiques et Directeur de la RSE de la Mutuelle Nationale des Hospitaliers

La maturité de tout système a très souvent son corollaire : la complexité. Notre système de santé en sera ici une parfaite illustration.

Il suffira à notre lecteur, pour s’en convaincre, de poser sur une table un organigramme complet et exhaustif dudit système, reprenant à la fois la liste des organisations qui permettent son fonctionnement, et celles qui le pilotent, ainsi que leurs champs de compétences respectifs. Nul doute que ce qui frappera l’observateur, même inattentif ou béotien, sera en premier lieu la multiplicité des acteurs en charge d’un bout de système (et jamais de l’ensemble). Mais, en second lieu, et très rapidement, celui-ci sera également attentif aux nombreux chevauchements, ou plutôt imbrications, de compétences, particulièrement sur les questions de régulation.

Nul doute : contrairement à ce que d’aucuns affirment dans un populisme crasseux, cet enchevêtrement n’a jamais été sciemment voulu ou souhaité, en santé comme ailleurs, et n’est pas l’œuvre d’une volonté politique ou administrative de complexification massive d’un système qui remplit un but essentiel pour notre société : soigner et prendre soin de nos concitoyens.

Non, il s’agit là, à notre sens, d’un cumul de décisions successives qui, au fil du temps, ont toutes eu leur justification ainsi que leur utilité : là pour répondre au besoin d’encadrement d’une dérive, là pour accompagner les acteurs dans une transformation, là pour protéger les usagers du système de santé, là pour mieux associer les parties prenantes du système à sa gouvernance, etc.

Chaque décision, prise une à une, est légitime.

Mais mises bout à bout, prises sous l’angle du professionnel de santé en bout de chaîne, ou du dirigeant d’établissement, cet empilement de structures, de normes et de compétences finit par rendre le système difficilement lisible, et donc pilotable. Il crée inévitablement une inertie de fonctionnement, de transformation, d’évolution, car toute organisation – et cela est parfaitement légitime – souhaite occuper pleinement la place qui lui a été donnée, voire dépasser parfois son champ d’intervention, et défendra bec et ongles le maintien de son périmètre d’action face à toute volonté de remise en cause, voire de suppression. Ne blâmons personne, la nature humaine nous y pousse toutes et tous.

Mais, sincèrement, est-ce toujours une action pertinente et, plus encore, utile pour le système de santé ? L’existence de telle ou telle norme ou organisation est-elle, en elle-même, une raison valable pour ne rien changer et poursuivre, à chaque nouveau texte législatif ou réglementaire, cette inflation ? Pouvons-nous encore nous permettre, en 2024, de ne pas poser sur la table la question de l’efficacité de la structuration du système de santé, et de son impact sur l’efficacité des acteurs qui, au quotidien, sur le terrain, prennent soin de nos concitoyens ? Pouvons-nous encore nous permettre, dans le contexte des finances publiques que nous connaissons, de continuer à induire des dépenses de fonctionnement, parfois iconoclastes, qui pourraient être orientées ailleurs, vers le soin ?

Cette volonté de simplification fait déjà, nous en sommes certains, largement consensus. Nombre de décideurs publics l’ont promise, l’ont glosée. Mais force est de constater que le sujet n’a pas été, jusqu’à présent, réellement pris à bras-le-corps et mis en œuvre.

N’attendez pas de votre serviteur qu’il désigne ici nommément tel ou tel texte, ou oriente vers telle ou telle décision. Non, car nous n’en avons pas la légitimité en tant que simple observatoire extérieur. En effet, cette simplification ne peut être travaillée qu’avec les acteurs de terrain : professionnels de santé, dirigeants d’établissements, entreprises qui les accompagnent au quotidien, etc.

Elle nécessite une révolution culturelle, une analyse fine de l’efficacité et de la pertinence de la norme et des organisations, de leur service rendu aux acteurs et au fonctionnement du système de santé dans son ensemble. Une analyse qui doit être portée à toutes les échelles : du cabinet médical de ville aux centres hospitalo-universitaires, de l’EHPAD au centre médico-psycho-pédagogique, de la maison de santé pluriprofessionnelle au service d’aide à domicile, de l’agence régionale de santé au conseil départemental, du ministère de la Santé à telle ou telle agence publique…

Elle doit à la fois porter sur la norme en tant que telle, mais aussi sur sa chaîne de mise en application, car le diable se niche très souvent dans les détails. Entre la volonté du législateur de prévoir tel ou tel dispositif, et sa mise en œuvre réelle, se cache parfois une myriade de nuances qui participent in fine à complexifier le quotidien des professionnels. C’est là un véritable travail de fourmis, mais c’est celui-là même qui nous semble plus que jamais indispensable.

Alors que la santé constitue, chaque jour un peu plus, l’une des préoccupations majeures de nos concitoyens, et qu’ils rencontrent de plus en plus de difficultés à se faire soigner, toute action qui visera à donner de l’air aux acteurs, parfois à bout de souffle malgré le total engagement des femmes et des hommes qui assurent le fonctionnement du système tout entier, et qui leur permettra de dédier plus de temps à leurs patients, est bienvenue.

Qu’on se le dise : la simplification n’est en rien la panacée, mais elle constitue sans doute l’une des réponses possibles aux maux que nous connaissons aujourd’hui. Et si, dans cette logique, le prochain grand texte de santé soumis à la représentation nationale était un texte de simplification ? Un vrai ? Et si le prochain objectif fixé à chaque administration centrale ou déconcentrée était une action de simplification massive ? Et si la prochaine priorité que nous nous fixions collectivement était celle de simplifier ? Il s’agit là d’un projet que nous pensons véritablement mobilisateur, car il fait sens, car il peut redonner confiance, car il peut produire des effets immédiats à tous les étages du système de santé.

Alors, chiche ? Simplifions !