TRIBUNE
En matière d’innovation, notre retard est comme l’a justement souligné, le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, considérable.

Jeannick Tarrière

Présidente de Traits d’Union
Membre de la mission parlementaire “La télésanté : un nouvel atout au service de notre bien-être”

Le vieillissement démographique, l’augmentation des maladies chroniques et l’évolution de la démographie des professionnels de santé (notamment leur répartition géographique) constituent des défis sanitaires. L’organisation de notre système de santé nécessite d’évoluer pour améliorer le parcours des patients et l’accès aux soins, en se fondant sur des projets d’organisations innovantes.

En effet, notre système de santé est caractérisé par une offre de soins cloisonnée, alors que les patients sont de plus en plus souvent atteints de pathologies complexes nécessitant une prise en charge coordonnée. Par ailleurs, les modèles de financement actuels ne permettent pas d’évoluer vers une organisation efficiente et coordonnée des soins. Pour relever ces défis, la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2018 ouvre un cadre d’expérimentation pour une durée de 5 ans, portant à la fois sur l’organisation et la rémunération des actes ou des séjours. Ces expérimentations pourront concerner aussi bien les soins de ville que l’hôpital ou le secteur médico-social.

Le pari d’un cadre expérimental large pour favoriser l’innovation au sein de notre système de santé

L’article 51 de la LFSS 2018 introduit un cadre juridique général permettant le déploiement de deux types d’expérimentations qui peuvent être portées par des acteurs locaux ou nationaux pour une durée, qui ne peut excéder cinq ans.

Ces deux types d’expérimentations visent :

• d’une part à déployer des innovations organisationnelles visant, dans les secteurs sanitaire et médico-social, à améliorer la prise en charge et le parcours des patients, l’efficience du système de santé et l’accès aux soins ;

• et d’autre part, à promouvoir la qualité et la pertinence de la prise en charge et de la prescription des médicaments et autres produits de santé.

Expérimentations visant à déployer de nouveaux modèles organisationnels adaptés aux besoins locaux. Concernant ces expérimentations locales, l’objectif est d’accompagner des organisations innovantes portées par des professionnels et favoriser la coordination des acteurs, la qualité et l’efficience des prises en charge ainsi que la satisfaction des patients.

Par ailleurs, la loi précise que ces organisations innovantes doivent concourir à l’un des objectifs suivants :

• participer à l’optimisation du parcours de santé et améliorer la qualité de la prise en charge sanitaire ou médico-sociale ;

• décloisonner la prise en charge des patients pour une séquence de soins ;

• accompagner les modes d’exercice regroupés en participant à la structuration des soins primaires ;

• favoriser la présence de professionnels de santé dans les zones les plus fragilisées à faible densité médicale.

Expérimentations visant à promouvoir la qualité et la pertinence de la prise en charge, de la tarification et de la prescription des médicaments et autres produits de santé. Alors même que notre système de santé n’est pas sous-financé si on le compare aux autres pays de l’OCDE, il vit la régulation comme une source de tension. Cela tient à ses rigidités, au déséquilibre entre la ville et l’hôpital, au caractère atomisé des soins de ville. La construction de notre système de santé sur le tarif à l’acte et à l’activité entretient une recherche des volumes et cloisonne les acteurs. « Pour permettre à chacun d’accéder à des soins de qualité, au juste soin, voire à l’innovation médicale, il faut en permanence s’assurer que l’euro dépensé est un euro utile. Force est de constater que ce n’est pas le cas aujourd’hui. Les dépenses de santé non pertinentes sont évaluées à environ 30 % » souligne la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn.

Conformément à l’article 51 2° qui vise à « améliorer la pertinence de la prise en charge par l’Assurance Maladie des médicaments ou des produits et prestations associées mentionnés à l’article L. 165-1 et la qualité des prescriptions », les expérimentations devront :

• faire évoluer les conditions de prise en charge des médicaments onéreux et des produits et prestations associées, notamment pour ceux actuellement présents sur la liste en sus ;

• mettre en place de nouveaux dispositifs permettant d’inciter directement les professionnels de santé à un recours pertinent aux médicaments et aux produits et prestations associées ; en particulier s’agissant des prescriptions hospitalières exécutées en ville pour les médicaments biologiques disposant de biosimilaires ;

• tester des évolutions du « forfait innovation » pour dispositifs médicaux à usage individuel.

Si cet article répond à un objectif louable puisqu’il s’agit de favoriser l’innovation au sein de notre système de santé, les porteurs de projet gardent à l’esprit que le cadre expérimental s’est avéré, jusqu’alors, peu adapté à des avancées en raison d’une excessive lourdeur. Le législateur par le présent article fait le choix d’un cadre de pilotage plus structurant, tout en ambitionnant de mieux accompagner les initiatives de terrain et les dynamiques professionnelles y compris lorsqu’elles sortent des cadres classiques.

Un écosystème d’innovation pour soutenir les initiatives venues du terrain

Les porteurs de projets locaux le savent : plusieurs mesures ont été précédemment prises pour promouvoir le virage ambulatoire et améliorer la coordination des acteurs, à l’instar de celles initiées dans le cadre du programme national d’amélioration du parcours de santé des Personnes Agées en Risque et Perte d’Autonomie (PAERPA) et des précédentes lois de financement de la sécurité sociale.

Les débats parlementaires ont par ailleurs, relaté les délais entre l’ouverture de l’expérimentation par la loi et sa déclinaison opérationnelle sur le terrain qui se comptent souvent en années. « En 2012, nous avons voté dans le PLFSS pour 2013 – c’était la méthode d’avant – l’expérimentation de financements de parcours pour l’insuffisance rénale chronique terminale. Il a fallu deux à trois ans pour que le décret sorte, pour que le protocole expérimental soit rédigé par les administrations centrales : aujourd’hui, il n’y a aucun malade dans ce parcours ! » détaille Olivier Véran. L’étude d’impact souligne que « ces initiatives éparses et non coordonnées sont restées partielles et leur pilotage demeure éclaté » quand, « certaines initiatives locales ne peuvent en outre aboutir faute d’un cadre juridique et financier adapté».

De nouveaux modèles de financement pour renforcer la structuration des soins de ville

Pour mettre en œuvre ces innovations organisationnelles, le législateur prévoit des dérogations aux règles de tarification et de remboursement, du paiement direct des honoraires par le malade, du partage des honoraires ou encore de tarification des établissements. Par ailleurs, les porteurs de projets locaux ou régionaux pourront bénéficier des financements innovants à dimension nationale.

Trois types d’expérimentations nationales sont déjà envisagés par le texte de loi : 

• L’intéressement collectif des organisations contribuant au décloisonnement des prises en charge sanitaires, sociales et médico-sociales ;

• Le paiement intégré à l’épisode de soins ;

• Une rémunération collective en exercice pluri-professionnel.

Un pilotage unifié à deux étages. Le texte instaure un cadre centralisé de pilotage,  qui a vocation à unifier la conduite d’expérimentations engagées sans réelle vision d’ensemble. Cette gouvernance prévient Olivier Véran, « ne devra pas faire obstacle à la remontée des projets : notre système de santé ne pourra pas se transformer sans la confiance des acteurs de terrain, notamment celle des professionnels de santé ». Alors que le retour d’expérience des précédentes expérimentations avait souligné le trop d’acteurs aux interventions illisibles, la création de deux instances séparées (un comité technique et un comité stratégique) a pu paraître antinomique de la volonté d’assurer un pilotage unifié et structurant et a suscité de nombreux débats.

• Un comité stratégique

Une première version du texte, qui circulait avant son examen par le Conseil d’État, mentionnait un comité technique et un conseil stratégique. Ce dernier ayant disparu du texte déposé à l’Assemblée nationale, le rapporteur général a réintroduit par le biais d’un amendement,  un comité stratégique institué au niveau national, chargé « de formuler des propositions sur les innovations dans le système de santé. Il est associé au suivi des expérimentations et formule un avis en vue de leur éventuelle généralisation ». 

Les questions portant sur les missions et la composition précise de ce comité stratégique ne relevant pas de la loi, des dispositions réglementaires viendront prochainement éclairer les porteurs de projets. Des décrets en Conseil d’Etat préciseront la composition et les missions de ce comité, ainsi que les catégories d’expérimentations, les modalités de sélection, d’autorisation, de financement et d’évaluation des expérimentations et  les modalités d’information des patients.

• Un comité technique

Les acteurs locaux pourront tester des organisations, avec l’appui d’une agence régionale de santé après avis conforme de la Haute Autorité de santé et après avis du comité technique. Ce comité technique composé de représentants de l’assurance maladie, des ministres chargés de la Sécurité sociale et de la santé et des agences régionales de santé émettra un avis sur ces expérimentations, leur mode de financement ainsi que leurs modalités d’évaluation et détermine si l’organisation envisagée répond à une problématique strictement locale ou si elle pourrait utilement faire l’objet d’un déploiement national. 

Chargé au quotidien de sélectionner les expérimentations et de définir précisément le cahier des charges ainsi que les indicateurs permettant d’évaluer ces expérimentations, ce comité d’experts travaillera à temps plein. Il accueillera en son sein plusieurs structures. Comme pour le comité stratégique, un prochain décret en Conseil d’Etat précisera la composition, le fonctionnement de cette instance.

Conclusion 

En matière d’innovation, notre retard est comme l’a justement souligné, le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, considérable. « Attendu du monde de la santé depuis des années, c’est enfin, la liberté de faire confiance aux initiatives venues du terrain ». Il s’agit d’expérimenter, en partant d’un principe : « au lieu de faire ceinture et bretelles en amont, au lieu de tout vouloir maîtriser à la virgule près, on encadre et on accompagne, mais on choisit une logique d’évaluation ». Le député de l’Isère est convaincu que cet article apportera, non seulement une immense bouffée d’oxygène, mais sera probablement l’acte majeur du quinquennat. Plus prosaïquement, il est permis d’affirmer que cet article phare sur l’innovation au service des organisations procède de la mutation de la conception même des politiques publiques et de leur mode opératoire.