Ma santé 2022 : un diagnostic et une ambition partagés mais la phase de transition est à très haut risque…

Thierry Godeau

Président de la Conférence Nationale des Présidents de Commissions Médicales d’Etablissements (CME) de Centres Hospitaliers

Le plan « Ma santé 2022 » a été globalement bien accueilli par les acteurs de la santé car ils en partagent pour l’essentiel son diagnostic et son ambition. La cible est cohérente tant en termes de coopération nécessaire entre professionnels, que d’incitation à la qualité et à la pertinence des soins. L’implication du patient est enfin prise en compte pour permettre d’agir en concertation avec lui et le placer au centre du système de santé. L’indispensable révolution numérique en santé annoncée est un levier majeur du changement pour peu que les moyens dévolus soient à la hauteur de cette ambition.

Le décloisonnement ville-hôpital est un enjeu essentiel du succès. Pouvoir créer un lien fort entre les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et les établissements de santé des Groupements hospitaliers de territoire (GHT) sera un des leviers majeurs de décloisonnement. La volonté et la capacité des professionnels de santé de tout statut à s’organiser en leur sein détermineront la réussite de ce changement. Les communautés médicales des Centres Hospitaliers devront y prendre toute leur place et probablement être aussi source d’initiative et de dynamisme. Les enjeux de cette coopération sont majeurs et peuvent concrètement déboucher sur une réelle prise en charge collective et partagée de la responsabilité populationnelle de chaque territoire. Tout le monde doit en sortir gagnant. En premier lieu bien sûr les patients par une meilleure prise en charge globale, mais aussi les professionnels par une amélioration de la qualité du travail et de la satisfaction du service rendu. Enfin, le système de santé lui même par une meilleure efficience permettant des économies pouvant être redistribuées pour de nouveaux projets. La réinjection dans le système d’une partie significative des économies est un enjeu majeur de la durabilité de l’engagement et de la motivation des acteurs. 

Globalement, tout ce qui pourra rapprocher les acteurs ne peut être que bénéfique à la prise en charge des patients. Les exercices mixtes ville-hôpital sont probablement de très bons leviers. à cet égard, il sera intéressant d’évaluer l’effectivité de la mise en œuvre des futurs hôpitaux de proximité. 

Si une meilleure coordination des professionnels de santé entre eux et avec les patients est incontournable, l’absence d’annonce sur la transformation et la coordination de l’Etat est toutefois regrettable. Rien, ni sur la réorganisation, ni sur les missions des organismes de tutelle en santé (CNAM, ARS, ministère…). Le système de santé souffre d’injonctions paradoxales et d’incohérences assez fréquentes des politiques développées par ces organismes. Ces éléments jouent un rôle dans la perte de sens vécue par les professionnels générant leur désengagement et leur absence d’initiative pourtant essentielle aux projets de santé. Ne pas le prendre en compte expose au risque de maintenir de nombreux dysfonctionnements. Or plus que jamais, il est indispensable que les professionnels, notamment médicaux, portent les projets. Comment imaginer associer les patients avec pertinence dans la construction des parcours autour de professionnels ni coordonnés et ni impliqués. Le préalable réside bien dans la confiance que l’on va témoigner aux professionnels pour porter les projets et les laisser être source d’initiatives. A l’opposé cette confiance engage les professionnels dans l’obligation de réussite ! 

La cible est partagée et peut être considérée comme assez séduisante même si la transformation globale envisagée reste finalement mesurée. Toutefois, ce plan ne sera efficace au mieux que dans plusieurs années, ne serait ce qu’en raison de la démographie médicale. 

Qu’est-il prévu toutefois en attendant le succès possible concernant le malaise hospitalier actuel ? Visiblement rien… Or cette phase intermédiaire est probablement la période à plus haut risque.  Des déserts médicaux qui s’aggravent et des déserts hospitaliers qui se constituent. Des déficits hospitaliers généralisés et qui se creusent. Une attractivité médicale hospitalière en jachère, rejointe maintenant par des difficultés de fidélisation. Que deviendra demain le système de santé avec des hôpitaux en rupture de trésorerie et sans médecin ? Et pour tous les professionnels qui resteraient en découleraient une qualité de vie au travail désastreuse et des risques psycho-sociaux majeurs. Les marges de manœuvres financières restantes, à modalités de financement inchangées, ne sont plus guère dans les établissements mais probablement dans les potentielles réorganisations territoriales. Les responsables politiques doivent dès maintenant définir de manière formelle leur vision de la place de l’hôpital public, du maillage territorial, de la gradation des soins et en assumer les conséquences, soit en termes d’adaptations budgétaires soit en termes de recomposition de l’offre de soins. La stratégie de la gradation des soins doit être aussi une responsabilité politique assumée. 

Les responsables politiques doivent agir sans attendre mais aussi élaborer des mesures transitoires d’urgence. Demain il risque d’être trop tard. Que deviendrait le plan « ma santé 2022 » si l’hôpital s’écroule entre temps ?