Tribune

Jean Paul ORTIZ, Président d'honneur de la CSMF
« Il appartient aujourd’hui d’analyser les causes de cet échec afin de tracer quelques perspectives pour sortir d’une impasse préjudiciable à tous et d’abord aux patients »

Jean Paul ORTIZ
Président d’honneur de la CSMF

L’échec récent de la négociation conventionnelle médicale est d’abord l’échec du mécanisme conventionnel basé sur la démocratie syndicale. C’est un danger pour la représentation syndicale : l’État pourrait être vite tenté de reprendre complètement la main. C’est aussi un danger pour la place de la CNAM dans le dispositif, après plusieurs échecs de négociations conventionnelles avec d’autres professions de santé…

Il appartient aujourd’hui d’analyser les causes de cet échec afin de tracer quelques perspectives pour sortir d’une impasse préjudiciable à tous et d’abord aux patients.
 
Il faut d’abord s’interroger sur les conditions de départ : la lettre de cadrage donnée par le ministre de la Santé était certainement trop corsetée. L’enveloppe mise sur la table, certainement très insuffisante. Imaginer conclure une convention médicale avec une somme équivalente à celle qui avait été octroyée en 2016, alors que la négociation actuelle a été décalé de presque deux années par rapport à l’échéance prévue de la convention précédente, dans un contexte d’inflation généralisée qui flirte avec deux chiffres, était certainement une gageure irréaliste.
 
Mais surtout, les sommes considérables attribuées à l’hôpital dans le cadre du Ségur de la Santé, ne pouvaient que renforcer les attentes des médecins libéraux. D’autant que le discours politique habituel affiche la volonté d’un système de santé orienté vers les soins de ville, reposant sur l’ambulatoire. Un fossé entre le discours et les moyens attribués, largement dénoncé par les médecins de ville ! Cette priorité donnée à l’hôpital se traduit malheureusement par une communication toujours centrée sur l’hôpital, même au plus haut niveau de l’État. En témoignent les récents vœux à la santé par le Président de la République une nouvelle fois depuis un hôpital public.

Pourtant, les médecins libéraux n’avaient pas démérité lors de la crise Covid, en organisant les centres de dépistage Covid en ville, en s’impliquant fortement dans la vaccination. Ils attendaient une reconnaissance à la hauteur de leur engagement. Ils attendaient une valorisation de leurs efforts. Ils attendaient d’être eux aussi applaudis, remerciés, reconnus, valorisés. Il n’en a rien été et l’amertume est grande.
 
Au-delà de l’amertume, les maladresses de communication n’ont fait que crisper les acteurs. L’annonce de 1,50 euro de revalorisation de la consultation a été vécue comme un mépris, voire comme une provocation. Dans le même temps, une nouvelle énième rallonge du budget de l’hôpital public à hauteur de 500 millions contre 150 millions pour les soins de ville était annoncée, dans le cadre de réajustement de l’ONDAM. La PPL Rist était débattue à l’Assemblée nationale, remettant encore en cause la place du médecin de façon maladroite, en pleine négociation conventionnelle… Le ministre de la Santé lui-même en rajoutait en parlant de 7000 euros comme un beau 13e mois, confondant salaire et chiffres d’affaires. Tout cela ne pouvait qu’aggraver le fossé et exacerber les discours inutilement excessifs voire radicaux de certains groupes ou syndicats médicaux.
 
Il est vrai que les propositions de la CNAM étaient marquées du sceau de l’incohérence : comment imaginer des tarifs différents pour le même acte de consultation, en fonction de l’engagement territorial individuel du médecin ? Incompréhensible pour le patient et inapplicable chez des médecins exerçant dans la même structure dont l’engagement professionnel territorial ne serait pas identique… Comment comprendre le décalage des revalorisations tarifaires censées favoriser l’accès aux soins dans les territoires, pour octobre 2024, à l’heure, où tous les politiques clament l’urgence de la situation ? …

Il faut dire que le contexte est particulièrement compliqué : les médecins et les soignants en général sont en grande souffrance. Parce que notre société est marquée par une grande évolution de la demande en soins. Le patient, avant ignorant, est maintenant mieux informé, très demandeur, quelquefois consumériste, ce que le médecin autrefois respecté, voire adulé, a du mal à comprendre.

Le contenu même de la demande en soins a considérablement évolué : patients âgés, atteints de multiples et complexes pathologies chroniques, mais dans le même temps diminution des cas les plus simples, car résolus par l’automédication ou la prise en charge par d’autres professionnels de santé (pharmacien, IDE, kiné, etc.). Des consultations beaucoup plus lourdes, plus longues méritaient indiscutablement beaucoup plus que 1,50 euro !
 
La nécessaire réorganisation de la profession médicale de ville méritait plus qu’un accompagnement mineur par les pouvoirs publics : l’exercice médical en ville se fait de façon regroupée, et cela est une tendance lourde de la médecine actuelle, favorisée par la multi spécialisation voir l’hyperspécialisation. Le regroupement est non seulement pluridisciplinaire mais pluriprofessionnel, ce qui engendre des contraintes et une restructuration nécessaire de l’offre de soins libérale nécessitant des moyens accrus pour permettre cette mutation. L’arrivée de l’IA et des GAFAM en santé accroissent l’urgence de cette mutation.
 
Enfin, la société française est marquée par une radicalisation tous azimuts. Cela s’est traduit chez les médecins par un morcellement syndical sans précédent avec l’émergence de groupes ou syndicats représentatifs, au discours volontiers radical, ou aux revendications très éloignées des possibilités financières du pays. La place importante prise par l’UFML, qui a même été débordée par l’émergence du mouvement « Médecins pour demain » issu des réseaux sociaux il y a quelques mois en sont le témoin. Les récentes Assises du déconventionnement interpellent, car cela remettrait en cause le fondement même de notre système de santé solidaire.

Cela ne touche pas uniquement le corps médical mais l’ensemble de notre société : le conflit actuel sur les retraites et l’engagement fort de la CFDT dans ce bras de fer avec le gouvernement est particulièrement inhabituel chez ce syndicat réformiste habitué à la négociation constructive…
 
Cette négociation conventionnelle médicale était donc d’emblée plombée par l’ensemble de ces raisons qui laissaient prévoir un échec délétère pour tous les acteurs.
 
Et maintenant ?

Dans les prochaines semaines, un règlement arbitral permettra aux assurés sociaux d’être remboursés et aux médecins conventionnés de poursuivre leur activité. Mais cela doit ouvrir une nouvelle période de négociations conventionnelles dans les plus brefs délais. Car il y a urgence et tout retard est préjudiciable aux partenaires conventionnels et renforcerait encore la mainmise de l’État sur le dispositif. La réussite de ce deuxième round de négociations est indispensable. Comment y arriver ?
 
Il faut certainement changer la méthode. Cela doit d’abord s’appuyer sur des valeurs communes largement partagées, servant de base aux objectifs poursuivis : l’accès aux soins pour tous quel que soit le lieu de résidence et la classe sociale. Les médecins libéraux français sont imprégnés de ces valeurs humanistes et c’est une chance pour notre pays.

Pour réussir, cela ne peut être obtenu que par la coconstruction conventionnelle et non par l’imposition des propositions d’un partenaire -la CNAM- à l’autre partenaire -les syndicats-.

Il faut donner les moyens à une nouvelle politique véritablement orientée vers les soins de ville : cela nécessite de revoir l’enveloppe dans sa globalité et dans l’étalement dans le temps. S’il y a urgence, des moyens urgents doivent être donnés.

Affirmer une politique faisant reposer l’organisation des soins sur la médecine de ville doit s’accompagner des moyens nécessaires. Cela est indispensable dans le cadre du maintien à domicile des sujets âgés et dépendants.

Enfin, il faut aborder le problème des acteurs en place : l’État, la CNAM et les syndicats médicaux, coresponsables de cet échec. En sport, lorsqu’une équipe perd de façon répétée, on change l’entraineur ! 

– L’État doit donner les objectifs, la direction générale de cette négociation et les moyens nécessaires, mais laisser les deux autres partenaires conventionnels coconstruire ce nouveau contrat social. Il doit veiller scrupuleusement à ne pas interférer tant que la fumée blanche n’est pas sortie !

– Les syndicats représentatifs ont la légitimité démocratique, mais il est certainement plus facile de dialoguer avec certains qu’avec d’autres. Construire l’avenir nécessite un courage politique souvent éloigné des vociférations ou des réseaux sociaux.

– La CNAM : il faut certainement se poser la question d’un changement profond de méthode voire peut être d’équipe devant ces échecs répétés dans les négociations conventionnelles (sages-femmes, kinés, médecins). Cela n’est pas une remise en cause de la valeur des hommes, mais plutôt une nécessité d’un changement, d’un signal fort qui serait donné.

– Les OCAM : sleeping-partner de cette négociation, il est temps de leur donner une vraie place et un rôle reconnu et visible par tous. Payeurs aveugles aujourd’hui, ils pourraient devenir les acteurs principaux ou complémentaires de champs en partie délaissés par la CNAM : compléments des tarifs médicaux, acteurs de la prévention, du maintien à domicile, de l’accès aux soins dans les territoires etc.
 
Réussir cette nouvelle négociation est urgent. Il en va de la démocratie et il en va surtout d’une meilleure réponse aux besoins de santé de la population.