INTERVIEW
On le sait, les acteurs de la santé sont au bord de l’épuisement. Il y a d’urgence besoin d’investissements à long terme

Thierry Beaudet

PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DE LA MUTUALITÉ FRANÇAISE

Le 3 octobre dernier lors du conseil de la CNAM, la Mutualité Française a exprimé un avis défavorable concernant le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020, quelles en sont les raisons ?

Lors du conseil de la CNAM, la Mutualité Française avait estimé que le PLFSS 2020 était un texte de renoncement à l’équilibre des comptes sociaux. La version finalement adoptée par la représentation nationale ne modifie en rien cette analyse. Cette loi de non-financement de la Sécurité sociale ne respecte pas les efforts demandés depuis plusieurs années, aux assurés sociaux, aux adhérents des organismes complémentaires et aux établissements sanitaires et sociaux.

L’an passé, le PLFSS était présenté comme « le projet de la responsabilité » avec une prévision de retour à l’équilibre des comptes de la Sécurité sociale dès cette année. La conjoncture était porteuse, la dette sociale devait être apurée sous peu. Déjà les projets s’accumulaient pour profiter de cette embellie. En réalité, et nous l’avions dénoncé à cette époque, ce PLFSS portait en germe un déséquilibre structurel avec la fin du principe de compensation systématique des réductions ou des exonérations de cotisations sociales.

Le résultat ne s’est pas fait attendre. Privé de recettes essentielles, avec une conjoncture à la baisse et des mesures d’urgence post « Gilets jaunes » non compensées, le déficit du régime général atteint plus de 5 milliards d’euros dès 2019, sans espoir de retour à l’équilibre avant la fin du mandat présidentiel.

Nous ne contestons pas les mesures prises par l’État pour répondre à la crise. Ce que nous condamnons, c’est de les faire supporter par la Sécurité sociale. En faisant main-basse sur ses recettes, comment l’État peut-il imaginer la refonder ?

Par ailleurs, la LFSS 2020 contient ponctuellement certaines mesures que nous approuvons. C’est le cas de l’indemnisation du « congé de proche aidant » que nous accueillons favorablement bien que nous aurions souhaité une mesure plus ambitieuse. La Mutualité Française apporte également son plein soutien à l’extension du champ des expérimentations prévues à l’article 51 de la LFSS pour 2018, à la prise en charge intégrale des frais liés à la contraception pour l’ensemble des mineures ainsi qu’à la création de bilans de santé obligatoires à l’entrée dans l’aide sociale à l’enfance. Cependant, notre désaccord de fond sur ce texte demeure.

Actuellement, le système de santé apparaît comme étant à bout de souffle. Pensez-vous que le texte permette d’initier une réelle transformation de ce dernier ?

On le sait, les acteurs de la santé sont au bord de l’épuisement. Il y a d’urgence besoin d’investissements à long terme. Bien sûr, il ne s’agit pas de rajouter plus de moyens dans un système dont nous savons les limites. Il faut le transformer. Mais qui peut penser que nous y parviendrions sans investissements conséquents ? Cette analyse est d’ailleurs partagée par de nombreux acteurs sociaux.

Finalement, après huit mois de mouvement social dans les établissements de santé, l’État a fini par entendre, très partiellement, ces oppositions et s’est décidé à relâcher un peu la chappe budgétaire mise depuis trop d’années sur le secteur hospitalier. Le Premier ministre a présenté le 20 novembre dernier diverses dispositions dont cette mesure budgétaire. Ce « plan hôpital », dont les conséquences financières ont été tirées dans la LFSS 2020, sera-t-il suffisant pour transformer le système de santé ? Nous en doutons.

Quel regard portez-vous sur le nouveau dispositif « complémentaire santé solidaire » visant à mieux couvrir les frais de santé des Français les plus démunis ?

La politique publique en matière de complémentaire santé tire notre modèle social vers deux extrêmes, au risque de la rupture : le tout-libéral et le tout-État. La possibilité de la résiliation infra-annuelle des contrats santé et l’extension de la CMU-C aux bénéficiaires potentiels de l’ACS sont les derniers avatars de cette dualisation. Cette extension de la CMU-C est un dispositif destiné aux populations qui n’intéressent pas le marché. Un dispositif qui répond à la tentation du tout-État, calibré par la puissance publique et en partie délégué aux complémentaires santé.

Résiliation infra-annuelle comme étatisation insidieuse conduisent à diviser notre société, à déformer les principes fondateurs de notre système de Protection sociale que sont l’universalité, la liberté et l’égalité. En le tiraillant entre la promotion de la concurrence, au bénéfice d’une frange réduite de la population, et la voiture-balai publique pour les plus fragiles de nos concitoyens, ce n’est pas à un renforcement de notre système auquel que nous assistons mais à un renoncement.