Dossier

Photo de chirurgiens en intervention dans un bloc opératoire
La donnée est essentielle dans une démarche d’amélioration de l’organisation. Elle est utile pour la prise en charge des patients, pour la bonne allocation des ressources humaines, pour optimiser les processus, pour développer de nouvelles méthodes, pour créer de nouveaux services…

Charley CHAUVIN
Directeur commercial de Datamento

Les plateaux techniques sont au centre de la prise en charge des patients et de l’organisation des établissements de santé. Leurs fonctionnements se distinguent par des moyens techniques particuliers, par des moyens humains spécifiques et par des modèles d’organisation adaptés.

Il est généralement entendu qu’ils concentrent le laboratoire, l’imagerie et le bloc, mais ils concernent plus largement également les urgences, les consultations externes et les explorations fonctionnelles.

Les pathologies à prendre en charge, les équipements, le volume important de ressources humaines qualifiées nécessaires, la complexité de la planification et de la programmation, ou encore les contraintes architecturales impactent fortement la performance d’un plateau.

Or, le coût de ces plateaux est important – coûts technologiques (matériels, maintenance et consommables) et coûts RH (équipes spécialisées et nombreuses) – et chaque dysfonctionnement a un impact financier et humain significatif.

Ces 40 dernières années, les plateaux techniques ont fortement évolué et par conséquent amélioré dans un certain sens leurs performances :

• Développement et usage de l’informatique (pour la donnée, la qualité des images, l’aide au diagnostic…),

• Progrès technique et technologique,

• Échanges de connaissances sur les innovations et les procédés,

• Développement de l’ambulatoire, diminution de la durée des gestes,

• Évolutions de normes et de la législation (SSPI, check-list, radioprotection…),

• …

Aujourd’hui, c’est sa capacité à améliorer la performance organisationnelle de ses plateaux techniques qui permettra à un établissement de respecter ses objectifs de qualité et de pertinence des actes et de maintenir une cohésion et une motivation de l’ensemble de ses équipes.

À l’initiative de la Meah, devenue ANAP, et désormais soutenue par les ARS, de nombreux travaux de benchmarks ont été initiés et ont permis de mesurer les marges de progression des établissements et de les aider ainsi à se mesurer dans un référentiel.

Toutefois, au quotidien, le plateau technique est en déficit de management objectivé et les prises de décision basées sur le ressenti ou l’expérience perdurent. Il est indispensable de comprendre son organisation à partir d’éléments vérifiables pour piloter un plateau technique mêlant des personnels aux profils variés et sous pression.

Matthieu Ledermann, directeur général de la Fondation Saint-François d’Haguenau, explique que « tout dysfonctionnement au bloc constitue un facteur de risque. Toute désorganisation porte en elle le germe d’un risque potentiel sur la sécurité des soins : allongement du temps opératoire, retards sur les plannings induisant agacement ou irritation des équipes médico-soignantes, et, in fine, une déstabilisation des équilibres économiques. Organiser ou réorganiser un bloc reste un défi permanent. La culture de l’analyse et de la statistique constitue finalement un modèle à inscrire en routine à la fois dans la gestion opérationnelle du processus de production de soins, mais également à l’appui d’un management concerté avec l’ensemble des parties prenantes du bloc ».

Au bloc opératoire, un certain nombre d’indicateurs ont été généralisés dans les établissements de santé. Relativement simples de construction, ils permettent une mesure de l’activité d’un bloc, et leur reproductibilité assure des comparaisons inter-établissements. Ces indicateurs caractérisent aussi bien l’activité de l’établissement (occupation des salles, case-mix d’activité…) que les pratiques des acteurs du bloc, qu’ils soient chirurgiens (utilisation des vacations, retards et débordements de planning opératoire…), responsables de l’organisation (efficacité de la programmation opératoire, mise à disposition des salles opératoires…) ou des équipes médicales (temps de soin des infirmières, préparation des salles…) et des équipes techniques.

Pour l’ANAP, le haut niveau d’informatisation des plateaux techniques aurait amélioré le pilotage et l’organisation des processus.

La réalité du terrain n’est pas aussi candide : la donnée n’est pas suffisamment et correctement exploitée.

Les obligations médico-légales imposent aux établissements la collecte de recueils d’information relatifs à l’activité du plateau technique. Les indicateurs de performance en étant issus ne font toutefois pas consensus car les méthodologies utilisées ne sont pas maîtrisées et les sources de données utilisées ne garantissent pas une production statistique solide et unanime. Bien souvent, les indicateurs sont trop souvent destinés à être communiqués aux tutelles ou à être contestés en instance, pas assez pour mobiliser les équipes sur un projet commun de performance et d’efficience.

La donnée est essentielle dans une démarche d’amélioration de l’organisation. Elle est utile pour la prise en charge des patients, pour la bonne allocation des ressources humaines, pour optimiser les processus, pour développer de nouvelles méthodes, pour créer de nouveaux services…
 
On parle aujourd’hui de supply chain de la donnée – à savoir une succession d’étapes d’approvisionnement et de distribution de la donnée – et sa collecte passe par des étapes qu’il faut faire consciencieusement, si possible dès la première fois. Les aléas du plateau technique font que la saisie peut parfois être altérée, et les corrections plus ou moins aléatoires. 
 
D’autre part, lorsqu’un acteur de l’hôpital voit une information de mauvaise qualité, c’est-à-dire une information rencontrant un problème d’exhaustivité, de chevauchement ou de chronologie, il ne doit pas la corriger seulement pour lui, mais aller à la source pour la rendre disponible pour tous ceux qui auraient besoin de bénéficier d’une information propre. 

Cette étape préalable de qualification et de correction de l’information source est un prérequis indispensable à toute démarche d’amélioration dans la durée du plateau technique sur la base d’outils et de méthodes structurées.

L’organisation d’un plateau technique est contrainte par un lieu sur lequel doivent se retrouver en même temps des équipements lourds, une équipe médicale, une équipe paramédicale et un patient, mais aussi des fonctions support comme la stérilisation, la pharmacie ou le brancardage.

Associer autant d’acteurs interdépendants sur un parcours de soin compléxifie une parfaite coordination et peut facilement engendrer des conséquences diverses en cascade, impactant également la prise en charge des autres patients.

De manière générale, tout dysfonctionnement peut provoquer une désorganisation, un mécontentement de l’équipe, et peut finalement influer sur la qualité de prise en charge des patients et/ou entraîner un surcoût financier.

Organiser ou réorganiser un plateau technique reste un défi, la culture de l’analyse et de la statistique y est totalement absente.

Pour améliorer sa performance, il faut une vue consolidée et homogène des pratiques dans l’établissement, permettant d’observer les bonnes pratiques organisationnelles, d’en comprendre les prérequis pour les diffuser auprès des acteurs du plateau.

En définitive, l’objectif des indicateurs de performance est de prendre des décisions acceptées par tous. Même si la référence semble déjà dater (2011…), on peut imaginer que les 3 grandes familles de décisions que proposait Frédéric Bonvoisin, auteur de « Évaluation de la performance des blocs opératoires : du modèle aux indicateurs », ont encore leur place, car ce triptyque est finalement simple à assimiler et il responsabilise.

Les décisions stratégiques (directeurs généraux, présidents de CME)

Les décisions stratégiques (long terme) sont des décisions essentiellement externes, concernant la politique globale de l’établissement ainsi que ses relations avec son milieu environnant. Ces décisions sont centrales, non répétitives, prises dans une ignorance partielle de leurs incidences possibles et engagent l’établissement de manière assez irréversible.

Les décisions tactiques (Chef de pôle, chefs de service)

Les décisions tactiques (moyen terme) portent sur l’acquisition, le développement et l’organisation des ressources (physiques et humaines) de l’établissement de telle sorte que ses objectifs puissent être atteints. Elles créent souvent des conflits entre les objectifs de l’organisation et ceux des individus, ce qui implique une liaison étroite entre les variables économiques et les aspects sociaux.

Les décisions opérationnelles (cadres de bloc, chirurgiens, anesthésistes)

Les décisions opérationnelles (court terme) sont plutôt de nature interne, relativement fréquentes, auto-restructurantes et traitent spécifiquement des problèmes d’allocation des ressources ainsi que du contrôle de l’utilisation de ces ressources. Elles visent à maximiser l’efficience du processus de transformation des ressources de l’établissement et concernent notamment les flux patients, la qualité des soins, la logistique.

Pour prendre ces différentes décisions, il faut être compris. Aujourd’hui, bien trop souvent, l’information reste indigeste, voire incompréhensible pour ses destinataires. Il faut simplifier le contenu en fonction des problématiques et des compétences de chacun, mais aussi autour des problèmes du moment.

Chaque catégorie de décisions ne demande pas le même niveau de connaissance ou de maîtrise du plateau technique. On ne demandera pas à un directeur d’établissement de connaître parfaitement le fonctionnement d’un plateau technique. Il devra toutefois être capable d’en donner les orientations et d’être légitime sur ses choix, en se basant sur des éléments contextuels humains et sur des données objectives.

D’autre part, l’information, fiable de préférence, doit voyager pour engager l’ensemble des équipes autour d’un projet motivant d’amélioration collective de l’organisation. Malheureusement, trop souvent, l’information est consultée entre sachants.

Il est en effet particulièrement étrange de constater que des directeurs, chefs de pôle/services ou des opérateurs ont accès à l’analyse de la performance du plateau technique, alors que les infirmières sont exclues généralement de la diffusion, alors que sources motrices indispensables au fonctionnement de l’hôpital.

Le directeur ou le chef de pôle ne doivent pas être les seuls maîtres à bord. Pour faire avancer son plateau technique, il faut savoir déléguer au maximum les prises de décisions, sur différents échelons, selon les motivations individuelles et les implications de ses équipes, en proposant ainsi une organisation qui rend possible la meilleure performance de chaque professionnel de santé. Ce sera d’ailleurs le meilleur moyen d’apporter une satisfaction dans le travail, et s’il est agréable de travailler dans un établissement, il fera bon s’y faire soigner.

Selon Matthieu Ledermann : « La mesure fiable et exhaustive de l’activité du bloc constitue un prérequis incontournable pour atteindre l’efficience. L’expertise métier, la rigueur méthodologique, le sens de la pédagogie, la capacité à consolider puis à analyser, voire à comparer les données, forment autant d’étapes à concrétiser sur le chemin de la performance.

L’expérience de la Fondation Saint-François montre que les équipes qui parviennent à décliner cette démarche en routine par un management collégial du bloc garantissent d’une part sa capacité d’adaptation aux évolutions qui l’impactent, et d’autre part s’inscrivent durablement dans un processus d’amélioration continue des plateaux médico-techniques. »

Le directeur de la Fondation Saint-François d’Haguenau rajoute que l’un des concepts clé du pilotage macroéconomique, c’est la fonction de Cobb Douglas : la production est facteur du travail, du capital et de la productivité globale des facteurs. à son sens, la performance du bloc dépend des contributions respectives des ressources humaines et matérielles à la production de soin, et du dosage de progrès technique qu’il est nécessaire d’injecter pour optimiser la productivité des ressources. Si l’exigence réglementaire en matière de compétences du personnel infirmier mobilisé garantit la sécurité des prises en charge, aucun outil ne permet à ce jour de qualifier l’optimum de ressources humaines strictement nécessaire à la réalisation d’un acte, en effectif comme en niveau de compétence. En d’autres termes, comment garantir la mobilisation de la bonne compétence au bon moment et au bon endroit ? à l’heure de la rareté préoccupante des effectifs d’IBODE disponibles, nombreux sont les établissements qui cherchent à déterminer et optimiser avec fiabilité l’allocation de la ressource à la réalisation d’un acte opératoire. L’enjeu ici réside bien sûr dans la conciliation de l’impérieuse nécessité de garantir la sécurité des soins avec celle d’une performance médico-économique maximale. La planification plus fine des effectifs par niveau de compétence et par acte opératoire constituerait à cet égard un complément précieux à l’outil d’optimisation des ressources matérielles offert par Performance Bloc.

S’il fallait ressortir un processus idéal permettant d’objectiver les pratiques de ses plateaux techniques, nous pourrions imaginer 5 étapes clés :

1. Consolider et fiabiliser les données sources

Il est capital d’initialiser la démarche de pilotage par l’analyse des sources de données et de leurs modalités de recueil. L’enjeu : disposer d’une information fiable et exhaustive pour garantir la pertinence des indicateurs produits. Il ne faut pas sous-estimer la complexité de cette étape.

2. Produire des indicateurs métiers

L’indicateur doit être utile, interprétable et adapté à son lecteur. Il doit prendre en considération les particularités du plateau technique (travail sur 2 salles, vacations partagées, équipements spécifiques, intégration des urgences…).

3. S’évaluer dans un référentiel

L’ANAP a depuis longtemps identifié au bloc opératoire la cible de 85 % d’utilisation de la vacation. Cette cible ne doit pas être un but en soi car finalement trop générique. Une spécialité hyper réglée comme l’orthopédie doit-elle avoir le même référentiel que la traumatologie avec son lot d’urgences ? Pour garder la motivation de ses équipes et pour atteindre des objectifs cohérents, l’établissement doit être en mesure de fixer collectivement ses cibles, et se baser sur des référentiels correspondant à son périmètre, ses problématiques, ses équipes et ses objectifs.

4. Diffuser l’information

Il faut partager l’information pour mobiliser les acteurs de son plateau technique. Tous les acteurs, sans quoi les décisions seront imposées et les freins nombreux.

5. Améliorer son organisation

Accéder à la performance, c’est prendre en considération l’intérêt du patient, de l’établissement et du personnel. Aucune réorganisation ne peut aboutir sans s’intéresser avec précision aux objectifs, aux attentes et à l’activité de chacun. La démarche doit être globale et régulière. Il faut désormais dépasser le stade de la prise de conscience et utiliser les moyens existants pour s’adapter au contexte atypique de la santé.

En conclusion, rendre performant son plateau technique c’est avant tout savoir prendre des décisions.

Décider, c’est prendre un risque.

Le tableau de bord seul ne suffit pas, mais c’est un outil indispensable à un manager ou une équipe autonome pour se fixer un cap, le garder ou le revoir au fil de l’eau en fonction des aléas inhérents à l’activité d’un plateau technique.

Il faut ainsi suivre en routine l’atteinte des objectifs et mesurer sa progression.