Tribune

« On se préoccupe plus de maladie que de santé, car politiquement il est plus facile d’agir à un mois qu’à vingt ans »

Pr Guy Vallancien
Membre de l’Académie de médecine et Président de CHAM

Quelle que soit la profession des soignants, du professeur de médecine à l’aide-soignante, le constat sur l’état de délabrement organisationnel et managérial des divers organismes qui participent à la prise en charge des patients est patent. Du ministère de la Santé aux médecins généralistes isolés, nul besoin d’une mission supplémentaire pour décrire le désordre. Aujourd’hui, trois points noirs bloquent le système :

1. On se préoccupe plus de maladie que de santé, car politiquement il est plus facile d’agir à un mois qu’à vingt ans ;

2. Toute l’organisation du système est beaucoup trop fortement hospitalo-centrée, délaissant le premier recours des médecins généralistes et des infirmiers ;

3. Réformes après réformes, lois après lois, le système reste figé dans sa complexité administrative, empreinte d’un précautionnisme qui frise l’immobilisme dans la nasse des normes issues de trop nombreux organismes, agences et autres instituts en tout genre, pérennisant une centralisation délétère des actions à mener pour répondre aux besoins sanitaires de la population.

Or, malgré ce carcan, on observe dans les territoires des équipes de soignants qui exercent leur activité d’une manière parfaitement coordonnée dans les maisons et les communautés territoriales de santé sans que des décrets et autres arrêtés ne les y obligent. Ces plantes bien vivantes poussent sur une terre asséchée, ce sont elles qu’il faut arroser car elles préfigurent le bouquet sanitaire de l’avenir. À cette floraison d’initiatives s’ajoutent les progrès considérables de l’intelligence artificielle et des objets connectés capables de poser un diagnostic et de prescrire un traitement, tel le petit smartphone Hibo Sens doté d’un cardioscope et d’une caméra pour inspecter les oreilles, la bouche, la peau, une révolution dont on parle trop peu, mais qui va bouleverser l’ordre établi en facilitant le travail de tous. Si l’État doit gérer les grandes causes, celles qui dépassent les frontières des régions comme les épidémies, les accidents nucléaires, industriels et agroalimentaires, les plans Cancer, Alzheimer et autres, il n’y a aucune raison que le même État gère la prévention des pathologies, hormis des campagnes d’information, ou qu’il gère les moyens de soigner et de réhabiliter les patients dans la vie active. Ce n’est pas son rôle.

Faire confiance, faire confiance et encore faire confiance. Admettre les erreurs et les échecs et repartir plus fort, en laissant les équipes de terrain s’organiser pour répondre au plus vite et au mieux aux demandes sanitaires.

Évaluer et contrôler a posteriori le degré d’efficience de leur activité, les féliciter et les gratifier financièrement ou les sanctionner en cas de déviance, mais surtout leur offrir la liberté d’inventer leurs collaborations qui ne seront pas forcément les mêmes à Lille, Marseille, Strasbourg et Brest. Tel est le rôle de l’État : un garant, mais pas un entreprenant. Toute la politique de santé devra se recentrer sur la proximité en région, dans les départements et les communes sur la base de trois principes intimement liés :

1. Graduer les soins en recentrant un maximum d’acteurs et de moyens matériels et financiers sur le premier recours. Multiplier le nombre d’infirmiers en pratique avancée pour désengorger les médecins généralistes qui deviendront les référents plus que les traitants. Faire renforcer la participation des pharmaciens dans la prise en charge des malades ; permettre aux sages-femmes de diagnostiquer et de prescrire plus. Réduire drastiquement l’accès aux urgences hospitalières aux seuls cas qui le nécessitent et répondre aux demandes de soins selon trois niveaux de complexité croissante des équipes et des établissements ;

2. Réviser profondément la formation des professionnels, en créant de véritables écoles supérieures de santé, non seulement dans les métropoles, mais aussi dans des villes moyennes, dans les quartiers et en ruralité. Apprendre un métier plutôt que de simples connaissances. Un carabin en fin d’internat ne sait quasiment rien de l’exercice d’un médecin généraliste de campagne ou de banlieue. Enfin, raccourcir la durée des études en multipliant les outils de simulation. Même évolution pour les infirmiers en transformant les programmes désuets des instituts de formation (IFSI) pour préparer les étudiants à leur vrai métier ;

3. Évaluer en temps réel l’activité des soignants grâce aux moyens informatiques à mettre d’urgence en oeuvre pour analyser la pertinence et la qualité des actes effectués, du médecin à l’aide-soignante. Qualité objective évaluée sur cinq items imparables comme en chirurgie, le taux de décès dans le séjour hospitalier, le taux de reprise opératoire pour complication, le taux de passage en réanimation non programmé et le taux de transfert dans un autre établissement pour complication. S’y ajouterait une enquête d’évaluation par le patient au moyen de dix questions sélectionnées par un panel de malades et envoyée par courriel à domicile dans les suites du traitement. Il n’existe en France aucunes statistiques sérieuses sur ces deux données clefs. Or, les mauvaises pratiques coûtent des milliards en pure perte comme l’indique l’OCDE. Les contrôles seront effectués par les pairs des divers soignants selon les recommandations des associations savantes de chaque spécialité concernée.

Une telle politique d’évaluation amènera à transformer environ 200 petits hôpitaux à la pratique chirurgicale et obstétricale trop faible et incertaine en nouvelles Cités Santé, structures d’accueil de proximité assurant la prévention, médecine générale et des vacations de spécialités, notamment la pédiatrie, la gynécologie médicale et la gériatrie, les petites urgences et les suivis des pathologies chroniques, tout en concentrant la chirurgie et l’obstétrique dans des établissements de deuxième recours. En haut de la pyramide, les soins le plus pointus et complexes seront dispensés par des établissements à vocation de recherche. Toutes ces structures et leurs personnels participeront à un Service national de santé, englobant la Fonction hospitalière publique et les fédérations de l’hospitalisation privée, des Espic, des centres anticancers, de l’hospitalisation à domicile, intégrant tous les hôpitaux privés et publics sans discrimination d’appartenance dans une politique de contrat renouvelable.

Sans ces trois prérequis pour assurer la mutation de notre système de santé vers plus de proximité et de performance, nous continuerons à « claquer un pognon de dingue » sans rendre mieux service à la population. Élus, syndicalistes, administrateurs, conseils ordinaux, universitaires, il y a une place pour chacun au service des patients. Osons dépasser nos petites habitudes et ouvrons grand les fenêtres de nos chapelles pour, ensemble, refonder un accès efficient à la prévention, aux soins et à la réhabilitation dans une prise en charge humaniste à l’écoute attentive du patient et à son soutien permanent.

Source : Les nouveaux chemins de la performance en santé – CRAPS et ANAP