Tribune

Par
Benoît Fraslin et Arthur Moinet,
Président de la MNH et Directeur de cabinet de la MNH
L’état de santé de ceux qui soignent est un enjeu de santé publique souvent occulté et insuffisamment documenté malgré son coût important.
Les derniers résultats de l’enquête Odoxa publiée par l’Observatoire MNH1, en lien avec la Chaire santé de Sciences Po sont pourtant édifiants : 45 % des soignants disent avoir été affectés par un problème de santé au cours des 3 derniers mois, soit deux fois plus que la population générale. 35 % des soignants déclarent en outre être en mauvaise santé psychologique, soit plus du double de l’ensemble de la population. Infirmières, aides-soignants, médecins, sages-femmes… Les soignants sont ainsi plus que la moyenne exposés au stress, à l’anxiété, à la dépression, ou bien encore à certains facteurs aggravants qui participent à une santé psychologique dégradée comme les violences ou bien la charge mentale.
D’autre part, les hôpitaux doivent aujourd’hui redoubler d’efforts pour être attractifs et fidéliser sur le long terme leurs agents, dans un contexte de mutations sociétales faisant évoluer le rapport au travail. Malgré la spécificité des sujétions hospitalières, les nouvelles générations de soignants sont ainsi plus qu’hier attentives à ce que leur environnement de travail prenne en compte leur santé et leur bien-être.
Dans ce contexte, force est de constater que les mécanismes de protection sociale dans leur ensemble doivent s’adapter aux besoins des hospitaliers, et peuvent contribuer à répondre aux enjeux actuels de l’hôpital public.
Aussi, pour mieux protéger les hospitaliers, trois leviers peuvent en particulier aujourd’hui être activés :
– La mise en place rapide de la protection sociale complémentaire obligatoire au profit des hospitaliers
Alors que l’instauration d’une prise en charge obligatoire d’une part du coût de la complémentaire santé remonte à un accord national interprofessionnel signé il y a près de 10 ans en ce qui concerne le secteur privé, force est de constater que cette dernière n’est toujours pas en place au sein de la fonction publique hospitalière, malgré son instauration par l’ordonnance du 17 février 2021.
En particulier, alors que sa mise en place se concrétise aujourd’hui dans la Fonction publique d’État, l’on ne peut que déplorer l’absence de calendrier précis à ce jour au sein de la Fonction publique hospitalière.
Au regard des besoins de santé des hospitaliers, et alors que le secteur privé lucratif dispose déjà de cet avantage, ce retard est difficilement compréhensible et ne contribue pas à l’attractivité de l’hôpital public.
Dès 2023, la MNH publiait ainsi ses propositions afin que les hospitaliers puissent percevoir à l’application de la réforme une amélioration perceptible de leur niveau de protection.
En particulier, les cahiers des charges devront notamment exiger des garanties en matière de solidarité intergénérationnelle et s’adapter aux particularités de catégories d’agents hospitaliers très hétérogènes.
D’autre part, dans le contexte hospitalier, la sous-couverture des agents en matière de prévoyance représente une problématique réelle.
Des garanties socles devront pouvoir être exigées des futurs soumissionnaires. Plus généralement, un effort de pédagogie doit probablement être mené dans une logique de prévention sur les différents types de risques et les couvertures possibles.
– Le développement de la prévention
L’accentuation des efforts en matière de prévention à l’hôpital représente d’autre part un axe essentiel de l’action des différents acteurs pour mieux protéger les hospitaliers.
Ces actions doivent néanmoins être adaptées à leurs besoins spécifiques et fondées sur des données précises, afin de proposer des interventions ciblées et efficaces. C’est tout le sens du travail engagé par la Fondation MNH qui a construit des programmes de recherche centrés sur les soignants avec des partenaires universitaires. Grâce aux résultats de ces programmes, la direction de la prévention de la MNH a ainsi pu construire des premiers parcours adaptés aux besoins des soignants.
Par ailleurs, le recours à l’intelligence artificielle aura dans les années à venir un impact croissant, et devrait permettre de développer une analyse prédictive des risques, via notamment l’analyse en temps réel des comportements et des données, et représentera ainsi une avancée majeure, sous condition d’une protection efficace des données stockées.
D’autre part, il apparaît essentiel d’avancer vers une généralisation de bilans de santé réguliers pour les soignants. Une mesure qui ne pourra néanmoins être mise en œuvre sans un renforcement des moyens alloués aux services de prévention et de santé au travail dans les établissements hospitaliers. Il semblerait en outre aujourd’hui cohérent d’avancer vers le renforcement des compétences des infirmiers de santé au travail, voire d’envisager la création d’une pratique avancée infirmière, dans une logique de fluidification des parcours de soins et d’étoffer les actions de prévention, au plus près des besoins, c’est-à-dire dans les services. Plus largement, la revalorisation des spécialités de santé publique et de médecine du travail sera un chantier de fond à ouvrir.
La MNH est aujourd’hui très engagée en matière de prévention, notamment via l’action de son réseau de délégués prévention dans chaque département.
Par exemple, cette dernière a historiquement mis en place un programme de suivi de la santé des soignants incluant l’accès à des ateliers de gestion du stress, à des bilans de santé et des conseils personnalisés en ergonomie au travail.
Le programme Sérum Psy, qui a testé de façon positive l’impact de l’accompagnement des étudiants sur leur bien-être au travail, est un autre exemple de cet engagement.
Au-delà de cette initiative, il apparaît toutefois nécessaire et urgent de graver dans le marbre de la formation des étudiants en santé l’apprentissage des compétences psychosociales : ces dernières sont cognitives, émotionnelles, sociales et désignent par exemple la capacité à écouter activement, gérer ses émotions, mieux communiquer, gérer son stress et sa souffrance.
Cette mesure pourrait s’inscrire dans le cadre de la réforme de la formation en sciences infirmières et de la stratégie nationale multisectorielle de développement des compétences psychosociales chez les enfants et les jeunes de 12 à 25 ans. Les compétences psychosociales feraient alors l’objet d’une unité d’enseignement (UE) dédiée dans les maquettes de formation en santé. Un enseignement qui permettrait, par là même, de renforcer les compétences clés relatives aux « soins relationnels », tels qu’envisagés par le législateur dans le cadre de la proposition de loi sur la profession d’infirmier.
– Pour relever ces défis, la construction d’alliances partenariales robustes
Pour réaliser ces objectifs, une approche partenariale renouvelée semble nécessaire entre les différents acteurs, notamment la Sécurité sociale, les organismes complémentaires d’Assurance maladie et les établissements de santé.
Le retard pris dans la « mise à l’agenda » de l’enjeu d’amélioration de la santé des soignants peut en particulier s’expliquer jusqu’à aujourd’hui par une coordination perfectible des acteurs impliqués et le manque de données consolidées.
Dans son dernier rapport sur l’exécution de l’Ondam2, la Cour des comptes préconisait ainsi récemment de mieux associer les organismes complémentaires à la définition des politiques nationales de prévention.
En particulier, les acteurs mutualistes apparaissent comme des acteurs essentiels, notamment pour leur connaissance souvent fine de leurs adhérents.
La récente alliance nouée par la MNH avec la MGEN et Relyens est par exemple motivée par le partage de valeurs communes, au service de la protection des agents publics.
Plus généralement, à son échelle, la MNH agit avec différents acteurs pour faire converger les efforts.
Citons l’Urops, avec lequel des actions de dépistage sont mises en place dans des établissements hospitaliers d’outre-mer.
Le partenariat noué il y a près de 30 ans avec le Respadd, qui accompagne notamment les hospitaliers à l’arrêt du tabac, en est une autre illustration concrète.
Au-delà de ces initiatives, il nous semble utile au niveau national de créer des espaces de dialogue dédiés à la santé des soignants, comme un groupe de travail permanent au sein de la Conférence nationale de santé (CNS) ou du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). En lien avec la Haute Autorité de santé (HAS), l’élaboration de référentiels spécifiques en matière de bien-être des soignants pourrait représenter une avancée utile.
De plus, la santé des soignants mériterait de devenir un axe prioritaire du dialogue social au sein des établissements. Les partenaires sociaux pourraient être impliqués dans la mise en place de mesures concrètes, comme la création de plages de consultations réservées aux soignants ou des programmes de prévention cofinancés par l’Assurance maladie et les mutuelles affinitaires, comme la MNH3.
Pour conclure, investir pour nos hôpitaux ne doit pas se limiter à une approche purement financière, la question de la protection des hospitaliers représentant tout particulièrement un investissement indispensable au service de l’humain et de la performance des hôpitaux.
Notions toutefois que le financement durable de la prise en charge de la protection sociale complémentaire sera incontournable, au regard de la situation financière dégradée d’une grande partie des établissements et afin d’assurer une équité territoriale.
Sources :
1. https://decideurshospitaliers.mnh.fr/ameliorer-sante-des-hospitaliers/lobservatoire-mnh
2. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lobjectif-national-de-depenses-dassurance-maladie-ondam
3. B. Fraslin, « L’approche partenariale et préventive des mutuelles au service de la santé des soignants : point sur l’engagement de la Mutuelle nationale des hospitaliers » in La santé des professionnels de santé en France, Éditions LEH, 2025.