TRIBUNE
L’évolution de notre système de Protection sociale est indissociable des transformations qui s’opèrent sur le marché du travail

Camille Chaserant

MAÎTRE DE CONFÉRENCES À LA SORBONNE

La spécialisation accrue de tous ceux qui s’intéressent et œuvrent à notre système de Protection sociale, qu’ils soient chercheurs, experts ou professionnels, nous empêche bien souvent d’avoir une vision globale des mécanismes et évolutions d’ensemble de la Protection sociale.

Aujourd’hui, grâce à la recherche en médecine, en sciences humaines ou en sciences sociales, nous disposons d’un vaste ensemble d’analyses pointues, souvent cantonnées à un seul risque social voire à une unique relation de cause à effet spécifique – c’est d’ailleurs ce qui caractérise la méthode scientifique. Ces analyses sont nécessaires et précieuses, mais l’image d’ensemble manque. Cette vision fragmentée de la Protection sociale n’est toutefois pas l’apanage des universitaires, elle est aussi celle des professionnels et des opérationnels du monde de la Protection sociale. Fatalement enfermés dans les spécificités de leurs fonctions et de leurs mondes professionnels, ils sont confrontés quotidiennement à des problèmes pointus, nécessitant une connaissance extrêmement fine de leur domaine qui leur fait perdre de vue les répercussions que peuvent avoir leurs choix sur les domaines et les actions des autres.

L’évolution de notre système de Protection sociale est indissociable des transformations qui s’opèrent sur le marché du travail ; cela relève de l’évidence. Et pourtant, spécialistes du marché du travail, spécialistes de l’accès aux soins ou de l’hôpital, du système de santé, des retraites, du chômage, spécialistes des politiques familiales ou du financement de la Protection sociale dialoguent peu entre eux.

Les principales caractéristiques et mutations de notre marché du travail sont connues et bien documentées : persistance d’un taux de chômage élevé, augmentation du nombre de travailleurs pauvres, ubérisation de certains métiers aux statuts encore mal définis et peu protecteurs, évolution des modes de gestion de la main d’œuvre, persévérance d’une conflictualité profonde dans nos entreprises, recherche d’une flexibilisation croissante du marché du travail, etc. Ces évolutions ont des répercussions sur la santé au travail (relativement bien documentées aujourd’hui), mais aussi sur la santé tout au long de la vie, donc sur l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé des retraités, sur leurs besoins et leurs dépenses de soins et, par conséquent, sur leur niveau de vie et sa prise en charge sociétale. Dès lors, la réorganisation du système de soins, la réforme des retraites et l’organisation des moyens de lutte contre la pauvreté, sont toutes trois étroitement liées. C’est évident, tout le monde le sait, et pourtant les réformes sont menées de manière séparée. 

De plus, les marchés du travail sont ancrés dans des territoires, dont les populations et les enjeux en termes de développement, de santé, de pauvreté, de logement, d’éducation, d’inégalités et donc, au final, de Protection sociale, sont hétérogènes. La gouvernance excessivement complexe de la Protection sociale au sens large, rend les liens entre les besoins sociaux particulièrement peu lisibles. En effet, l’organisation de chaque caisse de Sécurité sociale autour d’un risque social – organisation distincte de celle de Pôle emploi, et la spécialisation de chaque échelon de l’État, du plus déconcentré au plus central, sur un certain risque (les communes et intercommunalités pour le logement et l’urbanisme, le département, pour l’aide sociale, la région pour la formation professionnelle continue, etc.) parachève institutionnellement la fragmentation de la Protection sociale.

La Protection sociale ne peut plus être pensée isolément, comme une politique spécifique à part des autres politiques publiques, ou comme une politique dont on peut faire les comptes sans considérer son impact sociétal, son ancrage territorial, ses liens réciproques avec les marchés du travail, le système éducatif et la formation tout au long de la vie, ou avec l’aménagement du territoire et les préoccupations environnementales. Certes, les liens sont complexes, et les résistances historiques et institutionnelles fortes, mais replacer le citoyen au coeur de la Protection sociale exige de les considérer. La Protection sociale est au coeur de toutes les politiques publiques, c’est pourquoi les questions sont aujourd’hui transversales et nous devons y apporter des réponses intégratives.

Création d’une chaire universitaire Economie Sociale, Protection et Société (ESoPS)

Le programme de recherche ESoPS est porté par des chercheurs et enseignants-chercheurs de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne spécialistes de la Protection sociale. Leurs recherches et enseignements les ont amené à partager leurs méthodes et résultats, pour entreprendre des recherches transversales et des programmes de formation coordonnés. Aujourd’hui, le programme ESoPS participe à l’organisation et à l’animation de séminaires et colloques nationaux et internationaux.

Ce programme a vocation à devenir une chaire universitaire, associant recherche, expertise professionnelle et formation. Les problèmes auxquels sont confrontés les professionnels alimentent les questions de la recherche et les réponses à ces questions nécessitent un dialogue permanent avec les professionnels pour avoir du sens et devenir opérationnelles. La formation est nécessairement complémentaire, qu’elle soit initiale, envers les futurs actifs de la Protection sociale, ou continue, envers les cadres actuels ; que tous puissent affronter l’ensemble des dimensions de la Protection sociale et envisager ses enjeux actuels.

La chaire ESoPS a ainsi pour ambition de décloisonner les savoirs et d’intégrer la complexité des mécanismes de l’économie sociale afin de leur donner une représentation globale et intégrative. Contact – chaireESOPS@gmail.com