Tribune

« Pour les questions de relocalisation, de compétitivité et d’innovation, ou de prévention des pénuries, les solutions nationales seront peu effectives si elles ne sont pas alignées et coordonnées au niveau européen »

Anne Bucher
Ancienne directrice générale de la santé et de la sécurité sanitaire à la Commission Européenne

Les politiques européennes de santé sont peu visibles et difficiles à décrypter car elles sont fragmentées et ont évolué dans le temps. C’est le résultat direct d’un choix historique des dirigeants européens de ne pas faire de la santé un des piliers de la construction européenne. Mais elles existent et à mesure que la construction européenne progresse, les considérations de santé deviennent incontournables, donnant lieu à des extensions de compétences lors des révisions des traités. C’est parfois méconnu du grand public ou occulté par les pouvoirs politiques nationaux, mais la politique des médicaments est historiquement un des domaines privilégiés de partage des compétences entre les États membres et la Commission. Mais la crise Covid donne un nouvel élan à ces questions.

La crise Covid et les achats conjoints de vaccins par l’Union européenne nous ont donné trois leçons. Ils nous ont d’abord rappelé l’importance que jouent l’innovation et les approvisionnements pharmaceutiques dans la sécurité sanitaire d’un pays. Ils ont, en second lieu, clairement démontré que les marchés pharmaceutiques sont des marchés globaux qui ne s’autorégulent pas. Finalement, ils ont montré que si chaque pays doit améliorer sa sécurité sanitaire, aucun ne peut faire l’économie d’une coopération transnationale pour l’approvisionnement en médicaments. Forte de ces constats, l’Union européenne a pris des initiatives d’envergure pour apporter une réponse stratégique à l’expérience de la crise Covid. On peut citer à ce titre la création de l’Autorité de préparation et réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA) en 2021 et une réforme en profondeur de la législation pharmaceutique en 2023. Même si ces initiatives sont encore en cours d’élaboration, il est important de prendre la mesure du changement de la politique européenne des médicaments qui se prépare.

Un bref rappel historique

…Une régulation européenne pour le marché des médicaments

Historiquement, ce sont les impératifs du marché commun qui ont conduit les politiques européennes à s’intéresser au secteur pharmaceutique. La construction du marché commun nécessitait des législations sectorielles pour mettre en œuvre les objectifs de libre circulation des biens. La première législation sur les médicaments date de 1965 et harmonise les standards de production et d’autorisation des médicaments.

La dynamique de la politique du marché unique a permis d’approfondir cette intégration par le marché dans les années 1990. En 1995 est créée une autorisation centralisée de mise sur le marché des médicaments et l’Agence Européenne des Médicaments (AEM) est établie pour en assurer la responsabilité. L’AEM s’est imposée comme le régulateur européen : les législations adoptées au début des années 2000 ont étendu ses compétences à la centralisation des demandes d’essais cliniques, à la sécurité des médicaments et à la pharmacovigilance européenne. Elle est également devenue l’acteur principal de la coopération internationale. Elle collabore étroitement avec ses homologues, y compris la FDA, le régulateur américain, sur le plan technique, scientifique et réglementaire et ses évaluations sont utilisées dans des juridictions non-européennes.

…Mais les politiques de prix et de remboursement restent nationales

Le marché européen des médicaments n’est toutefois pas totalement intégré. Sur le plan réglementaire, les agences nationales du médicament conservent des responsabilités, telles que les autorisations de marché pour les génériques ou la surveillance de la sécurité des produits. Mais surtout, l’Union européenne n’a aucune compétence en matière de prix. La fixation des prix et les décisions de remboursement sont des compétences strictement nationales, partagées entre les gouvernements et les organismes d’assurance sociale. Cette division des responsabilités renvoie à une disposition très claire du traité qui stipule que : « l’action de l’Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l’allocation des ressources qui leur sont affectées. ». Il est difficile d’évaluer le degré de fragmentation du marché en raison de l’opacité des processus sur les décisions de prix et de remboursement. Des informations parcellaires indiquent des écarts de prix pouvant aller d’un à dix entre les États membres. Cela ne reflète pas seulement les écarts de revenus mais aussi des pratiques différentes en matière de contrats d’achats, de fiscalité, de reste à charge, de méthodologie d’évaluation des technologies de santé.

Il ne faut toutefois pas sous-estimer l’importance d’avoir un régime réglementaire harmonisé pour les médicaments. Ce régime contribue à assurer une égalité d’accès aux médicaments et traitements pour les citoyens de l’Union et leur garanti la sécurité et la qualité de ces produits. Il contribue à faire de l’UE un grand marché attractif pour la recherche, la production et la commercialisation de médicaments.

La réforme de la législation pharmaceutique dans l’ère post-Covid : un tournant stratégique

En avril 2023, la Commission européenne a présenté une proposition de réforme de la législation pharmaceutique. L’initiative dépasse largement les révisions périodiques auxquelles sont soumises les législations européennes et qui portent sur les traditionnelles questions de marché intérieur, et donc d’innovation et de sécurité des médicaments. La globalisation de l’industrie pharmaceutique dans les deux dernières décennies est associée à un certain nombre de dysfonctionnements de marché, tels que les pénuries, les délocalisations, des augmentations de prix spectaculaires tant sur les nouveaux traitements que certains génériques, ainsi que la persistance des besoins pour lesquels aucun traitement n’est disponible. Dans l’UE, les petits pays sont généralement plus touchés par ces dysfonctionnements que les grands pays qui, par la taille de leur marché, restent attractifs pour les industries pharmaceutiques. Mais la crise Covid a sensibilisé l’ensemble des gouvernements, et dans une large mesure des citoyens, aux vulnérabilités relatives à la disponibilité et à l’accès aux médicaments. Elle a forgé un consensus sur la nécessité d’agir conjointement au niveau européen pour améliorer le fonctionnement du marché. La proposition d’avril 2023 répond à cet impératif et fixe quatre ambitions :

• Favoriser un accès rapide et équitable à des médicaments sûrs, efficaces et abordables,
• Renforcer la sécurité de l’approvisionnement,
• Créer un environnement attractif pour la recherche et développement et propice à l’innovation ainsi qu’à la compétitivité,
• Rendre les médicaments plus durables sur le plan environnemental.

…Favoriser une offre de médicaments mieux adaptée aux besoins des systèmes de santé nationaux

L’élément central de la réforme est de moduler la protection d’exclusivité sur le marché associée à l’autorisation de mise sur le marché en fonction de la disponibilité des médicaments dans l’ensemble de l’Union européenne et de la contribution aux besoins non-satisfaits. À l’heure actuelle, la protection associée à l’autorisation de mise sur le marché est de dix ans. Elle est ramenée à huit ans dans la proposition de réforme. Raccourcir la protection de marché permet d’introduire les génériques plus tôt, et donc une concurrence accrue et des prix plus bas. La protection peut être étendue d’un an si le détenteur de l’autorisation commercialise le produit dans les 27 États dans les deux premières années de la mise sur le marché et d’un an également si le médicament répond à un besoin non-satisfait. La protection actuelle de dix ans ne serait accordée qu’à des traitements satisfaisant aux deux conditions.

La proposition inclut également un certain nombre de simplifications des processus d’autorisation. Elle maintient des dispositions favorables au développement de médicaments orphelins et pédiatriques. Elle introduit un nouveau dispositif de titres d’exclusivité transférables pour favoriser le développement de nouveaux antibiotiques. En dernier lieu, sur le plan environnemental, elle renforce les exigences de l’évaluation d’impact environnemental que le développeur doit fournir avec la demande d’autorisation et fait de l’insuffisance de cette évaluation un motif possible de refus d’une autorisation de marché.

…De nouvelles règles pour éviter les pénuries de médicaments

La sécurisation des approvisionnements pérennise une pratique qui a été expérimentée pendant la crise Covid pour gérer les pénuries de médicaments. Elle repose sur une surveillance du marché pour anticiper les tensions sur les produits. Les obligations sont à trois niveaux : au niveau européen avec l’établissement d’une liste de médicaments critiques et une surveillance du marché pour ces médicaments ; une obligation pour les agences nationales des médicaments de surveiller le marché et d’informer l’AEM des tensions sur les marchés des médicaments critiques ; une obligation pour les producteurs de notifier les risques de rupture d’approvisionnement et d’avoir des plans de prévention des pénuries. La prévention et la gestion des pénuries s’appuiera sur un dialogue permanent entre l’AEM, les agences nationales et l’industrie.

…Une négociation pas encore aboutie mais un consensus fort sur les ambitions

Le législateur européen, le Conseil et le parlement européen ont déjà entamé le processus de négociation et nous devrons attendre la prochaine mandature pour connaître l’accord final. Les dispositions spécifiques font l’objet d’un vif débat entre les différentes parties prenantes. Mais ce paquet législatif a fait l’objet d’un nombre important de consultations publiques en amont et il reflète un consensus politique robuste sur les objectifs stratégiques, qui est en lui-même révélateur du changement radical des attentes. L’extension du régime réglementaire à la sécurité des approvisionnements est une demande unanime des parties prenantes. De plus, les parties prenantes ont majoritairement reconnu qu’il y a un décalage entre les médicaments commercialisés et les besoins des systèmes de santé. Sur la question de l’accès aux médicaments, 64% des parties prenantes considèrent que la situation actuelle dans l’Union est médiocre, voire mauvaise. Les autorités publiques et les patients sont en faveur de la mesure visant à moduler la durée de la protection réglementaire. L’industrie considère cette mesure défavorable à l’innovation et la compétitivité avec pour résultat de rendre l’UE peu attractive, notamment en comparaison avec les USA. À ceci, la Commission européenne avance deux contre-arguments. L’UE est une des régions du monde où la protection réglementaire est la plus forte et la mesure proposée n’érode pas complètement cet avantage comparatif : à titre de comparaison, la protection réglementaire est de 10 ans en Suisse et de 5 ans aux USA pour les petites molécules et de 4 à 8 ans pour les biosimilaires. Sur la question de l’accès aux médicaments, il s’agit d’enrayer une tendance à une plus grande fragmentation du marché de l’UE, avec ce résultat paradoxal : l’AEM autorise un nombre croissant de substances mais la mise sur les marchés nationaux se fait sur dans un nombre décroissant de pays. Les écarts entre pays sont conséquents : en Allemagne, 133 des 152 (soit 88%) nouveaux médicaments autorisés entre 2016 et 2019 au niveau européen sont accessibles aux patients alors que moins de 50 de ces médicaments sont disponibles dans les plus petits États membres tels que les pays baltes ou des pays plus pauvres comme la Roumanie.

En s’attaquant aux questions d’accès aux médicaments, d’adéquation des traitements aux besoins des systèmes de santé, de prévention et de gestion des pénuries de médicaments, la réforme de la législation pharmaceutique a pris une dimension stratégique au cœur des politiques nationales de santé qui reflète une prise de conscience de nouveaux risques suite à la crise Covid.

Une multiplication d’initiatives politiques pour lutter au niveau européen contre les vulnérabilités d’approvisionnement en médicaments

L’approche législative est complétée par un plusieurs initiatives politiques. Ces initiatives sont également directement liées au Covid et s’appuient en particulier sur le succès des achats conjoints de vaccins qui ont permis à l’UE d’atteindre un taux de vaccination de 70% en juillet 2021, supérieur au taux américain, et ceci six mois après la mise sur le marché des vaccins.

…Une nouvelle autorité pour la gestion des approvisionnements en préparation aux crises sanitaires, HERA

Elles s’inscrivent dans un cadre plus large de renforcement de la préparation, prévention et réponse aux crises sanitaires transfrontières qui a été adopté en 2022. Dans ce paquet de mesures, la nouveauté la plus radicale et la plus prometteuse est la création de l’HERA (Health Emergency Response Authority). L’autorité HERA est chargée de pérenniser le dispositif des vaccins et de l’étendre à l’ensemble des produits médicaux nécessaires en temps de crise. L’HERA a été conçue comme l’équivalent de l’agence américaine BARDA (Biomedical Advanced Research and Development Agency), qui a financé le développement des vaccins Covid pendant la crise. Dans les faits, HERA n’en a ni le mandat ni l’autonomie financière. L’autorité est encore à la recherche de ses marques et à ce stade, a surtout structuré un dialogue avec les institutions nationales, la communauté des chercheurs, les autorités sanitaires, et l’industrie. Mais il faut saluer les premières initiatives concrètes qui sont des étapes significatives pour renforcer la capacité de l’UE à réagir aux crises sanitaires et qui préfigurent ce que serait une réponse coordonnée de l’Union dans les crises sanitaires. Quatre exemples significatifs :

• Un exemple au niveau de la recherche et du développement : la création de plateformes pour des essais cliniques transnationaux pour les vaccins et les traitements pour les pathogènes. La plateforme VACCELERATE, avec un budget de 26 millions d’euros, a mis au point un réseau de laboratoires et de sites pour les essais cliniques. Elle sert de « one stop shop » pour les développeurs de vaccins. HERA coopère également avec l’AEM pour mettre en place un réseau européen d’essais cliniques.
• Un exemple pour sécuriser la production : le dispositif EUFAB, doté d’un budget de 160 millions d’euros, est un réseau de 6 producteurs de vaccins dans l’UE qui garantit la disponibilité d’une capacité de production équivalente à 325 millions de vaccins par an qui peut être activée en cas de besoin.
• Un exemple pour l’innovation et l’investissement : HERA a confié à la Banque Européenne d’Investissement un montant de 100 millions d’euros pour soutenir des PME qui innovent dans les contre-mesures médicales.
• Un exemple d’achats conjoints ou de réserves stratégiques communes : les États membres peuvent, comme cela a été le cas pour les vaccins Covid, passer des contrats conjoints pour acheter des fournitures médicales ou des contrats de pré-achats pour réserver des volumes de fournitures médicales. Ils ont, par exemple pour la crise de la variole du singe, acheté ensemble 325 000 doses du vaccin et 10 000 traitements TPOXX. En juillet 2022, ils ont aussi signé un contrat pour des options pour un montant de 85 millions d’euros pour s’assurer d’un accès au vaccin en cas de grippe pandémique. Un contrat similaire a été signé par 13 pays souhaitant acheter ensemble 3,4 millions de traitements du Paxlovid contre la Covid et un autre signé par 10 pays pour acheter un vaccin pour protéger les éleveurs en contact avec des souches de la grippe aviaire avec un potentiel pandémique. L’action conjointe la plus aboutie est la constitution de stock communs. Les États membres utilisent la facilité rescEU liée à la protection civile. Les financements sont européens. Mais dans ce cas, certains États membres se portent volontaires pour organiser l’achat et le stockage de fournitures médicales. Plusieurs opérations sont en cours pour divers produits indispensables en cas de pandémie mais aussi d’accidents chimiques, biologiques ou nucléaires comme des détecteurs, des décontaminants etc. En 2023, des opérations pour un montant total de 580 millions d’euros ont été réalisées avec la coopération de la Finlande, de la Pologne, de la Croatie et de la France. Une deuxième opération pour un montant de 636 millions d’euros est en cours de finalisation.

…Un plan d’urgence pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement des médicaments

De façon plus générale, les États membres considèrent que les vulnérabilités des chaînes de production des médicaments de l’Union européenne sont des menaces immédiates. Elles ne sont pas seulement liées aux risques de pandémie, et appellent des actions politiques qui ne peuvent pas attendre l’adoption de la réforme de la législation pharmaceutique. Au Conseil européen de juin 2023, les États ont appelé de leurs vœux « une initiative en vue de l’adoption de mesures urgentes pour assurer une production et une disponibilité suffisantes, en Europe des médicaments et composants les plus critiques et pour diversifier les chaînes d’approvisionnement internationales ». Les craintes concernent surtout les génériques, dont la production a été délocalisée principalement en Inde et en Chine en raison des prix très bas. Un plan de lutte contre les pénuries a été annoncé en octobre 2023. Il anticipe plusieurs dispositions de la proposition de réforme de la législation, telles que l’établissement d’une liste de médicaments critiques. Dans l’urgence pour l’hiver 2023-2024, l’HERA et l’AEM ont mis en place un plan pour éviter les pénuries d’antibiotiques avec un mécanisme de solidarité entre États membres. Il est prévu de créer en 2024 une alliance contre les pénuries qui réunira au niveau européen les régulateurs, l’industrie, la société civile pour utiliser les différents instruments permettant de sécuriser les chaînes d’approvisionnement. La commission européenne s’est engagée à explorer la possibilité d’une législation : il s’agirait d’un acte sur les médicaments critiques. Ces actions s’inspirent de ce qui a été fait dans d’autres domaines comme le « Chips Act », pour assurer une autonomie stratégique de l’Union dans le secteur des semi-conducteurs.

…Faire de la lutte contre la résistance antimicrobienne une priorité politique

La résistance antimicrobienne (RAM) est un autre domaine qui nécessite une action politique européenne et pour laquelle on assiste récemment à des progrès. Parmi les menaces transfrontières identifiées par l’HERA, la résistance antimicrobienne est en haut de l’échelle des risques. L’HERA en a fait une de ses priorités futures pour ses activités de surveillance, de recherche et de sécurisation des approvisionnements. Comme indiqué plus haut, la législation pharmaceutique a aussi abordé la question des incitations à développer de nouveaux antibiotiques. Mais il est difficile de trouver des incitants règlementaires pour de nouveaux antibiotiques dont les marchés sont peu attractifs pour l’industrie puisque l’objectif est de réserver les nouveaux antibiotiques pour une utilisation de dernier recours. Depuis 2017, la FDA et l’EMA ont autorisé 11 nouveaux antibiotiques et aucun n’est innovant selon les critères de l’OMS. Fondamentalement, la meilleure politique pour la RAM est la prévention, qui vise à une utilisation prudente des antibiotiques. L’UE s’est dotée de législations contraignantes pour limiter l’utilisation des antibiotiques dans le contexte vétérinaire et les rejets dans l’environnement. Mais elle n’est pas en mesure de le faire pour la santé humaine car l’utilisation des antibiotiques au sein des systèmes de santé est précisément un domaine qui ne relève pas du champ communautaire. Aussi, en complément de la réforme de la législation pharmaceutique, les États membres ont pris un engagement politique commun et ont décidé de renforcer leurs plans nationaux de lutte contre la RAM. Ils se sont notamment mis d’accord sur des objectifs politiques mesurables de réduction de la consommation d’antibiotiques. Le principal objectif quantifié est une réduction de la consommation humaine totale d’antibiotiques [en doses journalières définies (DJD) pour 1 000 habitants et par jour] de 20 % d’ici 2030 dans l’Union par rapport à l’année de référence, 2019. Cet objectif est assorti d’objectifs plus granulaires et aussi d’une quantification des efforts nationaux pour atteindre l’objectif européen. Ainsi la France, qui est, avec Chypre, la Grèce et la Roumanie, parmi les quatre pays où la consommation d’antibiotiques est la plus élevée, devrait viser non pas à une réduction de 20%, mais de 27%. Bien que ces objectifs ne soient pas contraignants, le fait que les États membres acceptent d’être évalués et comparés sur le succès de leur politique de RAM est une étape importante dans la lutte contre la résistance antimicrobienne. À titre de comparaison, rappelons que c’est avec des objectifs chiffrés sur la réduction d’émissions de CO2 que la lutte contre le changement climatique s’est organisée de façon stratégique à la fin des année 1990.

À un moment où la France s’interroge sur la politique des médicaments et où les initiatives dans ce domaine foisonnent, de la commande publique de rapports à des plans de lutte contre les pénuries, aux débats autour de l’ONDAM ou aux plans d’investissement, il est important de rappeler que l’écosystème du médicament n’est que partiellement national et qu’un certain nombre de leviers réglementaires sont européens. Pour les questions de relocalisation, de compétitivité et d’innovation, ou de prévention des pénuries, les solutions nationales seront peu effectives si elles ne sont pas alignées et coordonnées au niveau européen. Il en va ainsi de cohérence des différentes listes de médicaments critiques pour la sécurité des approvisionnements qui sont en discussion dans divers fora. Il faut également éviter une concurrence dommageable sur les aides d’État pour attirer l’industrie au nom de l’autonomie et favoriser des partenariats élargis, tels que ceux mis en place pour la production des vaccins dans l’UE pendant la crise Covid. Bien que la fixation des prix relève des autorités nationales, c’est au travers des achats conjoints et des prix négociés ensemble que l’UE peut peser sur des marchés globaux pour un meilleur accès aux médicaments innovants. D’une façon générale, face au défi des marchés globaux, aucun pays de l’UE ne peut faire l’économie d’une réflexion sur les progrès possibles pour défragmenter le marché européen et ainsi optimiser les objectifs nationaux de maîtrise des dépenses et d’un meilleur accès des patients aux traitements.