Tribune

« La délivrance des soins devrait se faire le plus souvent possible au domicile des personnes grâce à l’usage de la santé numérique »

Dr Pierre Simon
Ancien Président-Fondateur de la Société Française de Télémédecine

L’idéal

Si la devise Liberté, Égalité, Fraternité est posée comme principe à l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, elle figure dans le préambule de la Constitution de la Ve République française de 1958. Elle fut également adoptée par l’Union européenne. La Liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. L’Égalité est un principe de droit selon lequel le législateur a le devoir d’assurer l’égalité des droits entre les citoyens. La Fraternité, appartenant à la sphère des obligations morales comme l’humanisme, est devenue un principe à valeur constitutionnelle le 6 juillet 2018. En matière de Droit à la santé, l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution française de 1946 confie à la Nation le soin de garantir « à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ». Une refondation de notre système de santé au XXIe siècle doit avoir l’objectif de perpétuer une protection de la santé pour nos concitoyens.

Les Obstacles

Le modèle organisationnel de la médecine du XXe siècle n’est plus adapté, au XXIe siècle, aux attentes des usagers de la santé. L’allongement de l’espérance de vie contribue à l’augmentation constante du nombre de personnes âgées de plus de 65 ans, porteurs de handicaps liés surtout aux maladies chroniques du vieillissement. Le grand âge avec la perte d’autonomie qui l’accompagne souvent (handicap moteur, handicap cognitif, etc.) a conduit jusqu’à présent à faire entrer ces personnes les plus handicapées dans des établissements médico-sociaux, comme les Ehpad. Ce modèle souffre au XXIe siècle d’un manque de moyens tant humains que financiers. Un temps de soins plus important devrait être dédié à des résidents âgés très malades, cumulant après 85 ans plusieurs maladies chroniques. Près de 50 % des résidents d’Ehpad sont hospitalisés chaque année, hospitalisations qui pourraient être évitées si le dépistage de complications débutantes pouvait être fait en amont pour éviter l’hospitalisation. Le maintien au domicile des personnes âgées devient un enjeu à la fois humaniste, éthique et de santé publique. Pour y parvenir, de nouvelles organisations professionnelles reposant sur l’usage de la santé numérique doivent être proposées.

De façon générale, le modèle qui a prévalu au XXe siècle, à savoir le déplacement de l’usager de la santé vers les structures de soins, doit pouvoir être inversé au XXIe siècle : la délivrance des soins devrait se faire le plus souvent possible au domicile des personnes grâce à l’usage de la santé numérique, en particulier de la télésanté.

Les 4 propositions

Donner aux professionnels de santé et aux acteurs locaux la liberté d’entreprendre des organisations innovantes au sein de leur territoire

L’excellent rapport de l’Institut Montaigne Faire le pari des territoires propose des solutions innovantes centrées dans les territoires au plus proche des besoins de la population, en laissant aux acteurs locaux, élus, usagers, professionnels, l’initiative et la liberté de s’organiser pour mieux répondre aux besoins1. « Sans un pilotage au plus près des attentes des professionnels de santé et des patients, notre système de santé ne parviendra pas à faire face aux défis à venir, notamment l’explosion des maladies chroniques, le vieillissement de la population, l’évolution du nombre de soignants sur le territoire ou encore le dérèglement climatique. »

La plupart des expérimentations innovantes permises par l’art.51 de la LFSS 2018 sont caractérisées par de nouvelles organisations professionnelles et de nouveaux modes de financements des parcours de santé et de soins2. La télésanté fait partie de ces innovations organisationnelles3.

Une plus grande mobilité des professionnels de santé au sein du territoire favorisée par l’usage de la télésanté

Le nouveau ministre de la Santé a préconisé, dans la mission « flash » sur les urgences, le déploiement d’unités mobiles de télémédecine (UMT) pilotées par le Samu pour prévenir pendant la période de l’été 2022, les venues inutiles dans les services d’urgences déjà en tension4. Le modèle organisationnel est simple. Le médecin régulateur du Samu déclenche le départ de l’UMT lorsqu’il estime que le motif de l’appel au centre 15 nécessite une consultation médicale, mais ne justifie pas la venue aux urgences. L’UMT réalise alors au domicile de l’appelant une téléconsultation assistée de l’infirmière de l’UMT qui a amené tout le matériel nécessaire à la réalisation de cette téléconsultation assistée avec le médecin généraliste de permanence au Samu.

En dehors de ces situations d’urgence, la téléconsultation programmée et assistée a été mise en place avec la rémunération de 15 euros pour les IDEL et IPA qui assistent un patient en téléconsultation avec le médecin traitant ou un médecin spécialiste.

L’illectronisme est fréquent chez les personnes âgées de 70 ans et plus : 70 % seraient touchés par cette difficulté d’accès au Web5. Cette téléconsultation assistée a été peu ou pas utilisée pendant la pandémie, comme le révèlent les données du Health Data Hub6. Pendant la pandémie, la téléconsultation a surtout profité à une population d’adultes jeunes qui étaient en télétravail à leurs domiciles et qui étaient en mesure de réaliser seuls la téléconsultation. La polyclinique mobile de télémédecine du Grand Est, qui bénéficie d’une expérimentation art.51, se révèle être une organisation nouvelle, fondée sur la mobilité des infirmièr(e)s de télémédecine, qui convient aux établissements médicosociaux. Ces dernier(e)s organisent les téléconsultations et assistent les résidents au cours de l’acte médical7. Elle pourrait devenir une des meilleures organisations pour améliorer l’accès aux soins médicaux des résidents d’établissements médico-sociaux8.

Organiser les soins au domicile

La mobilité des professionnels de santé vers le domicile devrait se développer avec l’augmentation de la population âgée et handicapée, souvent isolée, qui a du mal à se déplacer vers les structures de consultations ou de soins. De nombreux métiers de la santé sont prêts à se déplacer au domicile (masseur-kinésithérapeute, orthophoniste, orthoptiste, audioprothésiste, opticienlunetier, etc.) à la condition de pouvoir réaliser une téléexpertise avec le professionnel médical concerné9 lorsqu’ils ont accompli leur propre mission de soin auprès du patient, voire une téléconsultation assistée avec le médecin traitant. Le modèle de transport par VSL ou taxi du domicile des patients vers les cabinets de consultation ou de soins pourrait évoluer vers un transport inversé, c’est-à-dire du lieu d’exercice du professionnel de santé vers le domicile du patient. Avec la transition écologique et l’arrêt programmé des voitures à énergie fossile, ce transport du professionnel de santé vers le domicile ne devrait plus être assuré par la voiture personnelle du professionnel, mais bien par des structures financées par la solidarité nationale, permettant la mise à disposition de voitures à énergie électrique. La télésurveillance médicale par des dispositifs médicaux qui recueillent des données de vie réelle et qui sont traitées par des algorithmes ne pourra se développer chez les personnes âgées en situation d’illectronisme que si le professionnel de santé contribue au recueil des données10.

La médecine peut devenir plus humaine avec la télésanté

Contrairement à ce qu’on lit parfois, le numérique en santé, en particulier la télésanté, ne va pas détruire la relation humaine, bien au contraire. La mobilité des professionnels de santé au domicile des patients ne peut que renforcer la relation humaine des pratiques de télésanté, en particulier lorsqu’une téléconsultation assistée avec le médecin traitant ou un médecin spécialiste est nécessaire. Les parcours de soins des patients atteints de maladies chroniques doivent intégrer cette mobilité des professionnels, facteur de plus grande humanité dans les relations avec les patients.

1 https://www.institutmontaigne.org/publications/sante-faire-le-pari-des-territoires/

2 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_parlement_article_51_2021. pdf/

3 https://www.telemedaction.org/448344308,
https://www.telemedaction.org/448461562,
https://www.telemedaction.org/448629743

4 https://www.banquedesterritoires.fr/urgences-hospitalieres-les-41-mesures-de-lamission- flash

5 https://www.vie-publique.fr/en-bref/271657-fracture-numerique-lillectronisme-touche-17-de-la-population#:~:text=Ne%20pas%20avoir%20acc%C3%A8s%20%C3%A0,des%20%C3%A9tudes%20%C3%A9conomiques%20 (INSEE)

6 Téléconsultation: succès durable mais pas arme anti-déserts médicaux. Le Quotidien du médecin.

7 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/toktokdoc_arrete.pdf/

8 https://www.telemedaction.org/448344308/

9 https://www.telemedaction.org/449726934

10 Kalid N, Zaidan AA, Zaidan BB, Salman OH, Hashim M, Muzammil H. Based Real Time Remote Health Monitoring Systems: A Review on Patients Prioritization and Related “Big Data” Using Body Sensors information and Communication Technology. J Med Syst. 2017 Dec 29 ;42(2) :30. doi: 10.1007/s10916-017-0883-4. Review.

Source : Les nouveaux chemins de la performance en santé – CRAPS et ANAP