Note

Abandonnons la réforme de l’indemnisation ! Refondons l’Assurance chômage !

La réforme de l’Assurance chômage qui s’annonce est, une fois encore, une réforme de l’indemnisation du chômage dictée par l’objectif d’en diminuer le coût. Pour les experts du CRAPS, ce n’est pas une réforme de l’Assurance chômage.

L’Assurance chômage doit être refondée, bien davantage que reparamétrée, pour répondre aux enjeux que sont les évolutions du marché du travail, les transitions démographique, écologique et numérique.

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Pour refonder l’Assurance chômage, il faut briser 6 mythes :

1. L’indemnisation est trop généreuse et n’incite pas à la reprise d’emploi ! Non, alors que les durées d’indemnisation sont de 24 à 36 mois, la durée d’indemnisation observée est, en moyenne de 10 mois.

2. Réduire les allocations incite à la reprise d’emploi ! Non, pas seulement ; les mesures d’accompagnement au retour à l’emploi doivent aussi être embarquées dans une vraie réforme de l’Assurance chômage.

3. Les règles de l’indemnisation sont cause du chômage ! Non, c’est la conjoncture économique qui crée le chômage ou favorise l’emploi !

4. Le déficit de l’Unédic est celui de l’indemnisation ! Non, il ne l’est pas car l’Unédic finance, au-delà de l’indemnisation, des politiques publiques qui font le déficit de l’Unédic !

5. Les Partenaires sociaux sont responsables de la situation ! Non, les accords des Partenaires sociaux ont toujours été agréés par les Pouvoirs publics, les deux sont responsables.

6. Étatiser et fiscaliser sont gage d’une meilleure gestion ! Non, la gestion par l’État est un appauvrissement de la démocratie sociale.

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La réforme de l’Assurance chômage c’est comme un « concours Lépine », chacun y va de sa solution magique. Et, force est de constater que les solutions ont toutes en commun un objectif, celui d’en diminuer le coût. Il ne s’agit donc pas de réformer l’Assurance chômage mais chaque fois, de diminuer le coût de l’indemnisation du chômage. La réforme de 2018 qu’il s’agit aujourd’hui de finaliser vise ce même objectif sans poser la question de ce que doit être une assurance contre la perte d’emploi.

La réforme de l’Assurance chômage est nécessaire mais n’a de fait jamais été à l’ordre du jour. L’objectif de réforme qui s’exprime périodiquement résulte de préjugés et se perd dans des ajustements paramétriques.

Les préjugés sont nombreux. Ils justifient cette volonté réformatrice dictée par l’objectif de « soutenabilité des finances publiques ». La lumière est mise, pleins feux, sur la dette de l’Unédic.

Le premier de ces préjugés résulte de l’amalgame jamais dénoncé entre les coûts de l’indemnisation et ceux mis à la charge de l’Unédic qui ne finance pas seulement les allocations de retour à l’emploi1. Ce qui génère insidieusement le deuxième préjugé, celui d’un dispositif d’indemnisation réputé trop généreux2 – préjugé qui mériterait d’être aujourd’hui apprécié au regard d’un « quoi qu’il en coûte » salvateur faisant remiser le dogme de la soutenabilité des finances publiques. Tout naturellement vient à la suite le préjugé séduisant et quasi miraculeux – pour autant qu’aucune étude socio-économique ne le démontre – de la dégressivité des allocations réputée inciter au retour plus rapide à l’emploi3. Enfin, le dernier préjugé en forme de « blast » : l’État gère mieux que les Partenaires sociaux …

Ces préjugés font prévaloir la recherche d’économies sur le niveau de l’indemnisation et occultent toute autre question sur le rôle et l’utilité d’une assurance contre la perte d’emploi, son rôle aussi dans le « contrat social ». L’Assurance chômage n’est-elle pas tout autant l’assurance d’un risque pour le salarié qu’un contrat de réassurance pour l’employeur qui par ce moyen externalise le coût de flexibilité ?

Ces préjugés ont formaté la dernière réforme de l’Assurance chômage (2018) jusqu’à rendre impossible un accord des Partenaires sociaux qui ne pouvaient s’accorder sur le cadrage qui leur était imposé. Cette « réforme » ne procède donc pas seulement aux quelques ajustements qui accaparent le débat public (dont celui, nécessaire, sur le calcul du SJR ou celui sur la dégressivité des allocations des « cadres ») mais elle porte en elle une transformation profonde du dispositif : d’assurantiel il est devenu solidaire. Elle devient dès lors non plus exclusivement un ajustement comptable après tant d’autres mais symbole d’un changement de paradigme de notre système de Protection sociale. En cela elle est un enjeu sociétal.

La substitution de la CSG à la cotisation salariale a fait disparaître le lien entre « contrat de travail » et perte d’emploi (même si des conditions de temps d’emploi sont conservées) : salarié ou non, tout le monde contribue à l’indemnisation du chômage par la CSG. L’essentiel de cette « réforme » n’est pas dans les conditions d’accès à l’indemnisation ni dans les différents paramètres : elle est dans ce changement de nature. Cette transformation aux allures de rupture historique marque une étape probablement irréversible vers l’étatisation définitive de l’indemnisation du chômage. Elle n’a pas fait objet de débat, ni public ni avec les acteurs de la démocratie sociale ou du moins de ce qu’il en reste. Elle est passée inaperçue4, broyée dans le maelström de l’information.

Engager une vraie réforme de l’Assurance chômage, c’est d’abord affirmer que si les Partenaires sociaux sont fautifs5, ils ne sont pas les seuls. Leurs accords ont toujours été agréés par les Pouvoirs publics. Ce n’est que par deux fois, en plus de soixante ans, que les Pouvoirs publics sont intervenus pour suppléer la carence des Partenaires sociaux qui n’avaient pu arriver à s’accorder. Ce qu’est aujourd’hui l’indemnisation du chômage est donc le résultat d’une succession d’accords entre Partenaires sociaux mais aussi et surtout entre Partenaires sociaux et les Pouvoirs publics sans lesquels rien n’aurait été possible. Il semble que l’exécutif du moment n’a pas ce « sens de l’Histoire » … même si l’on trouve dans tel ou tel cabinet ministériel des conseillers qui ayant agréé les accords il y a quelques temps les dénoncent aujourd’hui. Les Partenaires sociaux ont là l’avantage de la continuité… Engager une vraie réforme nécessiterait que cette prise de conscience soit faite : l’État a sa part de responsabilité dans la situation qu’il entend réformer. Les Partenaires sociaux ont la leur.

Engager une vraie réforme, c’est aussi devoir faire un exercice indispensable de pédagogie sur un dispositif qui sur-réagit à la conjoncture économique. L’augmentation du nombre des demandeurs d’emploi indemnisés par l’Unédic, c’est « en même temps » plus de dépenses et moins de recettes.

L’équation est dramatiquement simple : une allocation mensuelle représente 57 % du salaire de référence quand le financement est à hauteur de 6 % de ce même salaire avec 4 % de cotisation employeur et d’une part de CSG équivalente à l’ex-cotisation salariée de 2 %. Autrement formulé et à gros trait : 10 mois de cotisation financent un mois d’allocation ; 25 millions de salariés financent 2,5 millions d’allocataires (ils étaient plus de 3 millions début 2020). Pour autant le régime de l’indemnisation, pour sur-réactif qu’il soit à la conjoncture, s’équilibre… mais rappelons-nous, l’Unédic ne finance pas uniquement l’indemnisation !

Rappelons-nous également que le « modèle économique » de l’indemnisation, à regarder de plus près, joue un rôle de redistribution interprofessionnel des emplois de longue durée vers les emplois précaires, des salaires élevés au bénéfice des bas salaires. Ce qui fait son déficit ce sont les charges autres que celles de l’indemnisation. Le pilotage économique de l’indemnisation du chômage ne peut pas se faire sur le modèle de celui du pilotage des dépenses de santé … sauf à accepter un plus grand appauvrissement des chômeurs.

Ainsi, engager une vraie réforme de l’Assurance chômage, si elle ne peut ignorer la nécessité d’ajustements paramétriques répondant à des objectifs d’équité, doit prioritairement porter sur le périmètre des financements et la redéfinition de la mission mise à la charge de l’Unédic. L’Unédic doit-elle être le réceptacle – ce qu’elle est devenue – de tout ce que l’État ne peut ou ne veut financer lui-même en matière de travail et emploi ? Viennent alors ensuite les vraies questions : l’Unédic doit-elle « accompagner » les mutations du marché du travail, au risque de les conforter ? Doit-elle être un revenu de complément ? Doit-elle retrouver sa nature de revenu de remplacement ?

Avec la possibilité du cumul du revenu tiré d’une activité « réduite » et d’une indemnisation, réduite elle aussi, les Partenaires sociaux ont souhaité adapter l’indemnisation à l’évolution du marché du travail. Il est légitime de s’interroger aujourd’hui sur la pertinence de cette évolution. Elle a non seulement changé la nature de l’Assurance chômage en indemnisant non plus seulement la perte involontaire d’emploi mais aussi en finançant un revenu de complément à l’emploi précaire. N’a-t-elle pas ainsi participé à favoriser le développement de ces formes d’emploi6 ? Aujourd’hui, une moitié des demandeurs d’emploi indemnisables par l’Assurance chômage est en « activité réduite ». A-t-elle été pleinement soucieuse de prendre en compte les évolutions du marché du travail alors qu’elle est restée aveugle à l’émergence des travailleurs des plateformes ?

Enfin, engager une vraie réforme de l’Assurance chômage, c’est ne pas ignorer les mesures d’accompagnement au retour à l’emploi des demandeurs d’emploi indemnisés. Ce volet est curieusement absent des réformes de l’Assurance chômage. Curieusement ? Non, puisqu’il ne s’agit jusqu’ici que de réformes de l’indemnisation. Non, parce que la mission d’accompagnement a toujours été une mission de l’État mise en œuvre par l’ANPE puis Pôle emploi avec le concours de quelques opérateurs privés et structures diverses.

La réforme du Service Public de l’Emploi intervenue en 2018, celle qui créait Pôle emploi, avait l’objectif de dynamiser l’accompagnement au retour à l’emploi. N’aurait-elle pas dû se fixer l’objectif non pas d’accompagner mais de conduire au retour à l’emploi ? L’ambition qu’elle fixait à l’établissement public aura été de fait raisonnable :  elle disait implicitement que c’est la conjoncture du marché du travail qui gouverne (ce que la « reprise » de 2018-2019 démontrait) bien davantage que les objectifs de politique publique ! Pôle emploi, à juste titre, a fait ses meilleurs efforts pour ceux des chômeurs qui en avaient le plus besoin… au détriment souvent des demandeurs d’emploi indemnisés considérant que les allocations dont ils bénéficient faisaient qu’ils avaient moins besoin d’être accompagnés. Dans cette stratégie d’optimisation des ressources, les demandeurs d’emploi en « activité réduite » étaient invisibles, au mieux considérés comme « autonomes »…

Alors, est-il urgent de finaliser la « réforme » engagée en 2018 ? La question dépasse de beaucoup le contexte de sortie de crise et la fragilité d’un rebond attendu pour l’été prochain.

Ce qui est urgent, c’est de poser l’ensemble des éléments qui permettent d’identifier les voies d’une véritable réforme non pas de l’indemnisation mais de l’Assurance chômage. Identifier les voies pour une réforme de son financement, pour une réforme de son périmètre d’intervention, pour une réforme enfin de sa gouvernance qui serait la traduction opérationnelle et structurelle des responsabilités, pour l’avenir, de l’État et des acteurs économiques. Les voies d’une réforme qui serait un véritable projet de société et non pas une réforme punitive dictée par la seule orthodoxie comptable… Une réforme qui porterait l’ambition d’une refondation !

Note réalisée sous l’autorité de Michel Monier et d’Hervé Chapron, respectivement anciens Directeurs Généraux Adjoints de l’Unédic et de Pôle emploi

1 Subvention à Pôle emploi, financement des « points de retraite complémentaire », financement des allocations chômage des travailleurs frontaliers, financement du régime des intermittents : ces financements représentent de l’ordre de 20 % / 25 % des recettes de l’Unédic !

2 Les droits à indemnisation des allocataires précédemment en CDI ne sont pas intégralement consommés ; ils le sont à hauteur de 60 à 74 % selon l’âge et le niveau de revenu antérieur à la période de chômage. Le préjugé d’un dispositif généreux de l’indemnisation doit être apprécié au regard des droits effectivement utilisés…

3 Cf. Bruno Coquet : « dégressivité des allocations chômage : que peut-on attendre ? » OFCE. 7 décembre 2020.

4 Sauf pour les agents publics pour lesquels il a fallu aménager un dispositif compensatoire à l’augmentation de la CSG.

5 Cf. « Les trois défaites des Partenaires sociaux ». Hervé Chapron, Michel Monier. Le Cercle Les Échos. 11 juillet 2019.

6 Cf. « Règles de l’indemnisation et justifications de « l’activité réduite » : le sens de l’Assurance chômage en question (1983-2014) ». Claire Vives-Dossier « Troubles dans la Protection sociale ». Revue française de socio économie, n°20, juin 2018.