Tribune

« Réformer encore l’indemnisation du chômage, c’est éviter de réformer vraiment le marché du travail. »

Michel Monier
Ancien Directeur général adjoint de l’Unédic et membre du think tank CRAPS

Telle qu’annoncée, la réforme à venir de l’indemnisation du chômage n’aura pas d’autres effets, limités, que comptables et il faut en craindre, avec l’atonie de la croissance, des effets sociaux à contre sens de l’ambition qui dicte cette réforme. L’objectif d’économies dicte l’action gouvernementale jusqu’à rendre subsidiaires ses probables conséquences sociales. Réduire la durée et les conditions d’accès à l’indemnisation semble déconnecté de la réalité économique et sociale qui est autant celle, évidente, du « trop de chômeurs » que celle, non moins évidente, du « pas assez d’emplois ».

– Les probables effets sociaux doivent venir nourrir le nécessaire débat préalable à cette future réforme et faire dépasser les critiques qui se font sur le « faire les poches des chômeurs ». Telle qu’annoncée, cette réforme n’est-elle pas à contre sens de l’ambition affirmée pour la classe moyenne ? Réduire la durée d’indemnisation va induire un effet d’éviction : les chômeurs indemnisés les moins éloignés de l’emploi faisant concurrence aux moins qualifiés en prenant un emploi pour eux sous-qualifié. Un tel effet joue à la baisse sur le salaire et vient à l’encontre de l’objectif de désmicardisation. Cet effet, identifié dans la littérature économique, sera d’autant plus marqué que rien n’est dit sur des incitations à l’embauche ni sur l’effort de l’action publique pour la création d’emplois. Ce qu’il faut craindre, c’est que le nombre des demandeurs les plus éloignés de l’emploi freine encore davantage l’atteinte du plein emploi, cet objectif précautionneusement fixé à 5% de chômage, quand il est chez nos voisins dits frugaux entre 3 et 4%.

À la préférence pour le chômage succède une préférence pour la réforme de l’indemnisation oublieuse de réformer le modèle économique. Réformer encore l’indemnisation du chômage, c’est éviter de réformer vraiment le marché du travail. Diminuer les montants ou les durées de l’indemnisation, c’est ajouter à l’austérité salariale bien plus que s’en prendre aux chômeurs. C’est éluder que l’on ne crée plus assez d’emplois, c’est croire que les taux de chômage en Allemagne ou aux Pays-Bas résultent seulement d’un système d’indemnisation et non pas du modèle économique.

– L’objectif d’économie qui dicte cette réforme n’aura que des effets limités. Limités, tout d’abord, parce que la réduction de la durée d’indemnisation ne concerne que les 41% de chômeurs indemnisés par l’Unédic, dont 50% sont déjà dans l’emploi, en activité dite réduite. Limités aussi parce qu’un chômeur indemnisé ne « consomme » en moyenne que 61% de ses droits potentiels (soit 11 mois pour un droit de 18 mois). L’autre volet de la réforme, qui consiste à augmenter le nombre de mois de travail pour ouvrir droit à indemnisation aura pour effet, au moins immédiat, de réduire la part de chômeurs indemnisés par l’assurance chômage et de charger encore les dispositifs d’indemnisation solidaire.

Quelles sont donc les mesures d’incitation pour les chômeurs non indemnisés par l’Unédic ? Les 15 heures d’activité associées au RSA et les mesures d’accompagnement renforcé de France Travail auront-elles un effet, rapide et significatif, d’amortisseur des conséquences de la réforme de l’indemnisation, dont le premier effet certain sera un transfert de charges de l’assurance vers la solidarité ?

Dos au mur du déficit, il faut évidemment réduire la dépense publique. L’addiction à réformer l’indemnisation du chômage fait éluder toute autre solution. Doper l’économie en allégeant les taux de prélèvements, devenus obligatoires (!), n’est pas dans le registre de l’action publique. Si le coût de l’emploi est un frein à l’embauche et un obstacle à la compétitivité des entreprises, une baisse du niveau de la contribution chômage des employeurs serait une incitation, bien venue, à l’embauche. Ce volet, absent de la réforme à venir, ajouterait aux critiques des oppositions politiques et à celles des partenaires sociaux. L’affolement que semble susciter la (demi) surprise du déficit public devrait pourtant pousser à prendre le risque politique d’une réforme qui associe, en même temps, incitation à l’emploi et incitation à l’embauche sans oublier l’ambition de désmicardisation. Autrement formulé : réformer, pour la cinquième fois depuis 2017, les conditions de l’indemnisation, est-ce la bonne méthode pour créer de l’emploi ?