TRIBUNE
Est-il légitime que des collectivités locales puissent se soustraire aux lois en contre partie du paiement d’une taxe ?…

Hervé Chapron

Ex-Directeur Général Adjoint de Pôle Emploi en charge de l’audit interne

Pour apparaître aujourd’hui comme une évidence, la République n’est pas née pour autant d’un claquement de doigts. Bien au contraire. Il lui a fallu presqu’un siècle pour s’imposer, surmonter les odieuses attaques de tous bords venues des monarchistes, conservateurs, réactionnaires, fascistes et anarchistes de tous poils. Les valeurs de la République sont désormais le patrimoine commun de tous les Français. Et comme tout patrimoine, elles doivent s’entretenir sous peine de disparition.

Entretenir les valeurs de la République, c‘est d’abord appliquer sans atermoiement leurs vecteurs d’application que sont les lois votées par les représentants du peuple. Et si la République doit avoir comme bras armé « un gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ! », reconnaissons alors que nous n’en sommes plus à notre premier accommodement, voire à notre premier renoncement… Deux exemples factuels, peu significatifs diront certains… et pourtant !, choisis dans la sphère de réflexion du Craps !

Parlons Fraternité, et donc lutte contre le communautarisme, cette gangrène qui ronge insidieusement la cohésion du tissu social. Est-il légitime que des collectivités locales puissent se soustraire aux lois en contre partie du paiement d’une taxe ? N’est-il pas choquant en termes de démocratie sociale que des élus, précisément de la République, choisissent cette voie pour des raisons purement électoralistes ? Je veux parler de la construction de logements sociaux au sein des communes ! Accepter de telles pratiques, pire les mettre en œuvre c’est rejeter avec cynisme un des principes les plus élémentaires mais ô combien constitutif de notre République, la fraternité, et accréditer a contrario que le respect des différences est secondaire, que loin de nous enrichir, elles nous seraient dommageables. N’est-ce-pas plutôt créer à terme des ghettos, fussent-ils réserver à une population aisée, obsédée par son propre confort matériel et refuser à d’autres un droit fondamental qu’est le droit au logement.

Et que pensez de toutes ces entreprises qui préfèrent acheter leur bonne conscience en rédigeant un chèque et ne pas employer des salariés handicapés ?

Entretenir les valeurs de la République, c’est aussi ne pas installer l’injustice là ou seule l’égalité devrait s’appliquer dans sa stricte déclinaison. Ne pas créer des castes. A quelques encablures d’une renégociation de la convention de l’Assurance chômage, n’est-on pas en droit de s’interroger pourquoi un salarié et un intermittent du spectacle qui n’est autre qu’un salarié ! ne sont pas indemnisés face au chômage sur la même base financière ? A qui veut-on faire croire, sans pour autant nier son utilité et son professionnalisme, que l’électricien de plateau participe au rayonnement culturel français ! Est-il acceptable au plan des principes que la notion d‘égalité soit bafouée à ce point depuis plus d’un quart de siècle au prétexte de préserver la paix sociale (sic), d’exception culturelle, et de facto de légitimer tous les lobby, action intrinsèquement contraire à l’intérêt général ! De telles conceptions – au profit de 3% des indemnisés – ne font que détruire de manière persistante l’équilibre des comptes publics et donc indirectement appauvrir un peu plus les plus pauvres pour enrichir un nombre infime de sociétés de production !

Ainsi va désormais notre République. D’accommodements en dérives. Et il ne suffit pas de parler ou d’écrire sur les valeurs de la République, encore faut-il les faire vivre. Et d’abord les enseigner. A n’en pas douter, c’est un combat quotidien à une époque de « sur-communication nourrie à l’instantané » qui confond égalité et égalitarisme, laïcité et athéisme.

L’Ecole, institution fondamentale de la République, celle qui lui donne son sens et sa grandeur, peine à enseigner le respect du travail au sein d’une société contrainte de gérer davantage le chômage que l’emploi, le goût de l’effort face à la recherche spontanée de la facilité, l’autorité du savoir malmenée par le monde marchand dans laquelle elle évolue et où tout se traduit en termes de revenus et de fiscalité. Ses bases sont à ce jour fragilisées par ceux-là même qui ont mandat de renforcer son rôle en tant que ciment de notre jeunesse, lieu de partage et de tolérance, espace de liberté par l’apprentissage. L’Ecole se doit d’être libératrice de tous préjugés, de tous clichés. Alors comment recevoir le discours du Président de la République française en ce jour du 20 décembre 2007 où il proclame, j’allais dire urbi et orbi, dans la basilique Saint-Jean de Latran : « dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ».

Dire que l’ascenseur social est en panne, que notre société est confrontée à une fracture sociale ne suffit pas. Les causes, dans un monde passé en une génération de « compliqué à complexe », sont multiples mais je persiste à croire que nos renoncements, nos accommodements coupables avec les principes et valeurs de notre République ne sont pas étrangers à la situation que nous connaissons. A la lecture de Jaurès, « n’ayons aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent …» mais si l’on veut partager une confiance inébranlable pour l’avenir, réapprenons rapidement notre histoire commune, rendons à la République ses hussards (qui peut oser dire que leur engagement de vie n’était pas porté par l’espérance !), instruisons civiquement avant d’éduquer, alors vivrons nos valeurs républicaines dans une société confiante et réconcilier avec elle-même.