Dossier

Circonscrire le champ de la réflexion à l’hôpital d’une part et la médecine de ville d’autre part risque de reproduire l’habituelle vision -tronquée- du système de santé.

Anaïs Fossier

Chargée d’études au CRAPS

Depuis longtemps déjà, les professionnels de santé tirent la sonnette d’alarme sur la crise que connaît notre système de santé. En décembre dernier, pas moins de 660 chefs de service, responsables d’unités de soins et de médecins hospitaliers menacent de quitter leurs fonctions1 alertant sur « un hôpital public qui se meurt » dénonçant « un hôpital au bord du gouffre ».

Tous déplorent une austérité qui frappe de plein fouet les hôpitaux au détriment de la qualité des soins et de la sécurité des patients : manque de moyens matériels et humains, fermeture de lits, surmenage, conditions de travail dégradées, les soignants sont à bout. À cela, s’ajoute un sentiment déjà ancien et bien ancré de ne pas être reconnus à la hauteur de leur engagement. Pourtant, si la crise sanitaire a mis en lumière des dysfonctionnements, inégalités et rigidités, le système de santé a tenu. Il a tenu car par un dévouement exemplaire, nos soignants – qui souvent au péril de leur vie ont lutté pour préserver les nôtres- ont fait face.

Qualifiés de « héros nationaux », Emmanuel Macron leur promet le 25 mars à Mulhouse « un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières pour notre hôpital ». Un peu plus tard, le 15 mai, en visite à la Pitié-Salpêtrière, le Président de la République fait part aux personnels de santé de sa volonté de « mettre fin à la paupérisation de l’hôpital et des soignants », déclarant : « on a sans doute fait une erreur dans la stratégie annoncée il y a deux ans ». C’est ainsi que dans le prolongement de cet engagement présidentiel et fidèle à celui-ci, le Gouvernement lance le 25 mai, un « Ségur de la santé » dont l’ambition est élargie à l’ensemble du système de santé. Cette grande concertation – qui doit durer 2 mois – organisée sous l’égide de l’ancienne Secrétaire Générale de la CFDT Nicole Notat auprès de 300 acteurs du monde de la santé a vocation à « bâtir les fondations d’un système de santé encore plus moderne, plus résilient, plus innovant, plus souple et plus à l’écoute des professionnels, des usagers et des territoires ».

À l’occasion de son discours inaugural, Édouard Philippe précise les contours de cette concertation : il faut construire ensemble « l’avenir de l’hôpital », remédier à un système « bloqué et appauvri », bâtir « une nouvelle organisation du système de santé dans chaque territoire ». Pour ce faire, quatre piliers structureront l’essentiel de la concertation tels que les a définis le Président de la République. Il s’agira de revaloriser les carrières, de développer les compétences et les parcours professionnels à l’hôpital comme dans les Ehpad ; de mettre en oeuvre un plan d’investissement et de réformer les modèles de financement actuels; de mettre en place un système plus simple, plus souple en revalorisant le collectif et l’initiative des professionnels ; et enfin de déployer une organisation du système de santé fondée sur le territoire, intégrant médecine de ville, hôpital et médico-social.

Circonscrire le champ de la réflexion à l’hôpital d’une part et la médecine de ville d’autre part risque de reproduire l’habituelle vision -tronquée- du système de santé.

L’objectif est ambitieux, la tâche ardue tant le délai imparti pour aborder des problématiques d’ampleur est restreint. Entre revendications et interrogations, le lancement de cette grande concertation inquiète et fait réagir. À l’image du Syndicat des Médecins Libéraux (SML) qui constate que « les grands axes de la refondation annoncés sont visiblement très hospitalo-centrés ». Circonscrire le champ de la réflexion à l’hôpital d’une part et la médecine de ville d’autre part risque de reproduire l’habituelle vision – tronquée – du système de santé. De son côté, l’Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine (USPO) déplore la composition du Comité Ségur national, uniquement composé des « représentants du secteur hospitalier, de l’ordre et des syndicats de médecins de ville, et exclut tous les autres professionnels de santé, dont les pharmaciens d’officine et les infirmiers libéraux ». À cet égard, l’Union appelle le ministre de la Santé à « associer de façon équilibrée tous les professionnels de santé libéraux et notamment les pharmaciens d’officine afin de définir ensemble une stratégie cohérente ».

Les discussions débutent dans un climat tendu. Toujours est-il qu’après sept semaines de concertations « nous avons agi fort en engageant des sommes historiques, qui transformeront de manière tangible le quotidien des soignants » se félicite le ministre de la Santé. Le 13 juillet, Jean Castex, Olivier Véran et les organisations syndicales finissent par s’entendre sur le volet carrières, métiers et rémunérations, au coeur des travaux du Ségur (l’enjeu de la rémunération étant de loin la première revendication des soignants: citée par 84% des professionnels, devant la possibilité de passer plus de temps auprès des patients (50%))2. Signé par trois syndicats majoritaires (FO, CFDT, UNSA), l’accord pour les personnels paramédicaux et non-médicaux prévoit une enveloppe de 7,6 milliards d’euros pour financer la revalorisation des salaires, enveloppe qui servira principalement à financer une hausse des salaires de l’ordre de 183 euros nets mensuels. Les grilles de salaires de certains métiers seront quant à elles révisées.


Concernant les médecins, l’accord signé par l’INPH, le CMH et le Snam-HP prévoit une enveloppe de 450 millions d’euros pour l’attractivité de l’hôpital public. Pour l’essentiel, cette somme devrait permettre d’augmenter « l’indemnité d’engagement de service public exclusif » versée aux praticiens qui s’engagent à ne travailler que dans les hôpitaux publics, sans dépassement d’honoraires. Actuellement de l’ordre de 490 euros brut par mois, cette dernière devrait passer à 1 010 euros mensuels. Aujourd’hui, la rémunération des praticiens hospitaliers constitue un frein au recrutement en début de carrière et les perspectives d’évolution au sein de la grille, quant à elles, ne permettent pas de fidéliser les personnels. Ainsi, les grilles de salaires ont vocation à être révisées, les trois premiers échelons à fusionner, et trois échelons de fin de carrières seront créés. Pour la Fédération hospitalière de France (FHF) il s’agit là d’une « mesure importante en particulier pour les jeunes praticiens ». De leur côté, les internes et étudiants en médecine devraient voir leurs indemnités de stages et de gardes revalorisées via une enveloppe budgétaire de 200 millions d’euros.

Au-delà de la revalorisation salariale, cet accord tend à poser les bases d’une politique de gestion des carrières et des compétences. Il permet plus de souplesse aux organisations et aux professionnels, notamment en ce qui concerne le travail. En effet, la perte d’attractivité de l’hôpital public résulte en grande partie des difficultés à stabiliser les organisations du temps de travail au sein des services. Il sera donc entre autre désormais possible de relever le plafond d’heures supplémentaires, de renforcer l’annualisation du temps de travail et le forfait jour mais « il ne s’agit pas d’obliger les gens à travailler davantage » ni de « déréglementer le temps de travail », assure Olivier Véran, qui souhaite « revoir le cadre d’organisation du temps de travail à l’hôpital », considérant qu’il est nécessaire de remettre en cause les « carcans qui empêchent ceux qui le souhaitent de travailler davantage ». Une mesure qui va dans le sens d’une revendication ancienne de la Fédération hospitalière de France, qui préconisait la mise en oeuvre d’un « dispositif d’autonomie avancée » pour les hôpitaux, fortement désorganisés par la réforme des 35 heures. Réforme qui n’a d’ailleurs jamais été accompagnée des 40 000 embauches initialement prévues pour accompagner la réorganisation du travail dans les établissements de santé3.

Côté ressources humaines, des recrutements sont envisagés sans toutefois que le nombre exact ne soit défini. « On part sur la création de 15 000 postes » précise Olivier Véran. La moitié correspondront à des créations de postes et l’autre à des recrutements sur des postes jusque-là non pourvus. Mais « le problème, très souvent, tient au manque de candidats », précise la Déléguée Générale de la Fédération hospitalière de France, Zaynab Riet, qui rappelle que beaucoup de postes sont actuellement budgétés mais non pourvus. Avant la crise du Covid-19, pas moins de 500 postes d’infirmiers étaient vacants dans les établissements de l’AP-HP4. L’année dernière, près de 30 % des postes de médecins à l’hôpital n’ont pas trouvé preneur, selon la FHF5. Une situation problématique qui conduit les hôpitaux à recourir aux intérimaires, quitte à renoncer à des embauches supplémentaires et à grever leur budget. Les conclusions prévoient d’autre part une accélération du déploiement des infirmiers en pratique avancée (IPA). Ainsi, les effectifs d’IPA seront portés à 5 000 en 2024, une annonce plutôt satisfaisante pour le Président de l’Ordre National des Infirmiers (Oni), Patrick Chamboredon, qui considère que « c’est un bon début, c’est à la fois un métier d’avenir pour les infirmiers, mais aussi pour les patients, car les IPA libèrent du temps aux médecins en se substituant à eux pour des soins auxquels ils ont été formés ».

Salués par le Premier ministre comme un « effort historique », ces accords ont vocation à être complétés par des décisions qui couvrent l’ensemble des piliers du Ségur. Le Gouvernement avait promis d’aller vite : deux mois après le lancement du Ségur de la santé, le 21 juillet, les conclusions sont rendues. Le rapport final détaille 33 mesures pour réformer le système de santé dans son intégralité. Il s’agit dans un premier temps de définir une politique d’investissement et de financement nouvelle : si la loi « Ma santé 2022 » a introduit une évolution des modèles de financement pour rendre le système de santé plus lisible, ce dernier se caractérise encore par un cloisonnement important des modes de financement, source de plaintes constantes des professionnels.

Outre la reprise de la dette hospitalière à hauteur de 13 milliards d’euros (que le contribuable finira par financer d’une manière ou d’une autre), 6 milliards d’euros seront débloqués sur cinq ans pour l’investissement dans le système de santé

Une étude réalisée par l’IPSOS montre ainsi que 73 % des soignants souhaitent voir évoluer le modèle de financement (suppression/diminution de la tarification à l’acte ou à l’activité), près d’un professionnel sur deux évoque la qualité des soins comme critère à mieux prendre en compte dans le modèle de financement6. Dans cette optique, 19 milliards d’euros d’investissements seront alloués au secteur hospitalier et médico-social. Outre la reprise de la dette hospitalière à hauteur de 13 milliards d’euros (que le contribuable finira par financer d’une manière ou d’une autre), 6 milliards d’euros seront débloqués sur cinq ans pour l’investissement dans le système de santé (renouvellement du matériel, amélioration des bâtiments, développement du numérique etc.).

Dans le détail, 2,1 milliards d’euros seront consacrés aux Ehpad et autres établissements médico-sociaux. Le secteur médico-social sera ainsi « un des grands bénéficiaires de notre plan d’investissement », assure Olivier Véran. Les établissements qui accueillent des personnes âgées dépendantes quant à eux « doivent bénéficier de ces investissements pour se moderniser, se rénover et accueillir les résidents dans les meilleures conditions. ». Selon le ministre, c’est « au moins un quart des places en Ehpad qui pourront ainsi être rénovées, rendues plus confortables, plus accessibles et conformes à la réglementation énergétique ». 2,5milliards d’euros ont vocation à financer des projets hospitaliers prioritaires et les investissements ville-hôpital. 1,4 milliard d’euros sera consacré au rattrapage du retard sur le numérique en santé. « Cet effort budgétaire historique du gouvernement sur le numérique en santé est un véritable encouragement pour nous tous », se félicitent Dominique Pon et Laura Létourneau, respectivement responsable et déléguée du numérique en santé.

Côté investissement, le Ségur de la santé affiche une ambition décentralisatrice : « nous allons augmenter l’investissement en santé et déconcentrer les décisions d’investissements, les territoires seront aux commandes » déclare le ministre de la Santé. Cette volonté se concrétise notamment par la disparition annoncée du Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (COPERMO). Cette instance qui valide (ou invalide) les plans de redressements financiers des établissements de santé et les projets d’investissements, incarne pour beaucoup une contrainte budgétaire qui induit des conséquences dramatiques dans les établissements de santé. Ce Comité laissera donc place à un « Conseil national de l’investissement en santé » porteur d’une « nouvelle approche fondée sur l’équité territoriale » dont les compétences, fonctionnement et composition restent à définir… Le concept est vague, toutefois, un pas vers la territorialisation de la santé semble être franchi, puisque les élus devraient être associés aux décisions d’investissements en ce qui concerne leur territoire.

« Choisir un système de santé c’est poser la question de son financement (…) c’est une question de choix de société7 ». Si la tarification à l’activité (T2A), en privilégiant la quantité des soins a permis de réduire les listes d’attente à l’hôpital, cette dernière pousse à toujours plus d’activité et génère des travers systémiques. Sa suppression n’est pas envisagée par le Ségur de la santé qui prévoit une simple accélération de la réduction de la part de T2A au profit de modes de financement alternatifs (prenant davantage en considération la pertinence et la qualité des soins). Par conséquent, l’expérimentation d’un modèle « mixte de financement des activités hospitalières de médecine » pourra être mise en oeuvre dans les territoires qui le souhaitent. Expérimentation qui permettra de co-construire avec les acteurs un nouveau mode de financement de l’activité de médecine, alternatif au financement à la tarification à l’activité intégrale, combinant à l’échelle territoriale une part de financement à l’activité, une part de financement à la qualité et une part de financement dit populationnel, assis sur des critères de besoins de soins des patients du territoire. Reste à savoir quel mode de calcul sera choisi pour quantifier les besoins des populations, quel mode d’application du principe entre péréquation territoriale et financement des opérateurs de santé…

Qui dit financement dit aussi objectif national d’Assurance maladie (ONDAM). Perçu comme une construction principalement économique, budgétaire, éloigné de l’offre de soins et de ses évolutions, ce dernier suscite de vives passions. Un rapport8 des Sénateurs Catherine Deroche et René-Paul Savary pose ainsi la problématique : « nous touchons aujourd’hui aux limites d’un pilotage budgétaire à courte vue, certes efficace mais que ne paraît plus en mesure d’accompagner la transformation, tout aussi nécessaire de notre système de santé ». À cet égard, les conclusions annoncent sa rénovation pour « l’adapter à une politique de santé de long terme » et pour créer « les conditions d’un débat démocratique ».
Si pour certains – comme l’ont mis en lumière les débats à l’occasion du Ségur – l’ONDAM doit devenir la résultante budgétaire d’une politique de santé tant dans sa méthode de construction que dans ses leviers de régulation, pour d’autres il doit disparaître car, « tant qu’on n’aura pas fait sauter cet ONDAM, les choses ne changeront pas. Tant qu’on ne prendra pas en compte les coûts évités par une bonne prise en charge, on tournera en rond » martèle Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des Médecins Urgentistes de France (Amuf). L’on constate que le sujet est abordé avec prudence puisque le Haut conseil pour l’Avenir de l’Assurance maladie sera saisi pour une éventuelle réforme en 2021. Là encore, nombre d’incertitudes demeurent.



Dans le même temps, Olivier Véran annonce vouloir « sortir des dogmes et des guerres de positions qu’il s’agisse de la fermeture systématique des lits ou du refus systématique de toute réorganisation ». Si la crise sanitaire a remis sur le devant de la scène la question des lits, le sujet n’est pas nouveau puisque depuis longtemps déjà les élus locaux et les syndicats hospitaliers réclament plus de lits. Mais sur le fond, doit-on disposer d’une capacité supérieure aux besoins courants pour faire face à d’éventuelles crises dans tous les établissements de santé ? Ne faut-il pas au contraire mettre en oeuvre une organisation qui permette de répondre rapidement aux imprévisibles situations d’urgences ?

Toujours est-il que l’appel semble entendu : 4 000 lits « à la demande » seront financés par le biais d’une enveloppe de 50 millions d’euros. Les établissements pourront ainsi ouvrir des lits selon les besoins au regard des pics saisonniers ou des pics exceptionnels d’activité (il n’est donc visiblement pas question de rouvrir des lits de manière permanente au sein des hôpitaux). Une mesure qui laisse songeur car « on a du mal à voir comment cela va être mis en place en pratique, comment trouver les personnels, les infirmières, les aides-soignantes qui vont permettre ces ouvertures » explique Olivier Milleron, porte-parole du collectif inter-hôpitaux (CIH). La lutte prévue contre le mercenariat de l’intérim médical illustre d’ailleurs bien les difficultés d’attractivité que connaît l’hôpital.

Autre point de crispation central dans le milieu médical : le poids des contraintes normatives qui pèsent sur les professionnels de santé. Toujours selon l’IPSOS, les priorités des soignants pour simplifier leur quotidien sont principalement liées à l’organisation du travail (46 %) avec moins de glissement de tâches et plus d’autonomie ; l’allégement des tâches administratives (43 %) et l’amélioration du management (27 %)9. Aujourd’hui, l’on constate que le système de prise de décision et les instances issues de la loi HPST en organisant les établissements de santé de manière assez rigide ont contribué à réduire les espaces de concertation de proximité. La structuration en pôles, en regroupant des services conduit quant à elle à multiplier des strates d’organisation qui éloignent la décision du terrain. Si la volonté initiale d’assurer un fonctionnement rationalisé était louable, force est de constater que 10 ans après la mise en oeuvre des pôles, la mutualisation des moyens reste limitée. Les conclusions du Ségur prévoient ainsi de « réhabiliter le rôle et la place du service au sein de l’hôpital pour mettre fin aux excès de la loi HPST » du 21 juillet 2009, sans supprimer les pôles. Les services bénéficieront toutefois de plus de marges de manœuvre et de délégation et chaque établissement public de santé pourra proposer et adapter son organisation interne au contexte local. À titre d’exemple « si les établissements veulent organiser des pôles optionnels, il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas leur faire confiance» précise le ministre de la Santé.

Les établissements et les territoires pourront par ailleurs « adapter les règles du Code de la santé publique ». Le périmètre de cette possible adaptation est extrêmement flou, sans compter sur les problématiques juridiques qui seront indéniablement soulevées. Dans le même esprit, Olivier Véran annonce une « simplification des procédures » visant à libérer du temps pour les professionnels de santé. Là aussi les modalités demandent à être clarifiées. Les mesures devraient cependant cibler les régimes des autorisations de soins, les processus administratifs, la simplification des procédures de certification qualité ou bien encore les outils de contractualisation avec les tutelles tels que les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) dans le secteur du médico-social.

Côté gouvernance des établissements, sur la base des propositions du rapport Claris, remis au ministre de la Santé, les décisions qui relèvent du domaine médical seront désormais prises conjointement par le directeur de la structure et le Président de la Commission Médicale d’établissement (CME). Les missions de ce dernier seront par ailleurs renforcées (rôle plus important dans l’élaboration du projet médical). L’on constate cependant que la gouvernance actuelle ne sera pas remise en cause par ce rapport qui n’aborde pas la question du principe de co-décision entre le Président de la CME et la direction. D’autre part, ce rapport vient renforcer l’organisation de l’hôpital en pôles quand il faudrait probablement préciser leurs champs de responsabilités. Les paramédicaux verront quant à eux leur présence au sein de la gouvernance renforcée puisqu’ils seront appelés à siéger au sein du directoire, instance stratégique et décisionnaire des établissements. Globalement, les problématiques de gouvernance restent en suspens.

« Libérer les territoires, c’est libérer les énergies. C’est faire le pari de l’intelligence collective ». « Nous devons réarmer nos territoires, nous devons nous appuyer sur nos territoires10 ». Si le manque de coordination et de coopération entre les acteurs des territoires, le cloisonnement entre la ville, le domicile et l’hôpital mais aussi entre le sanitaire, le social et le médico-social est fortement ancré, la période troublée aura permis aux professionnels d’expérimenter et d’accélérer l’usage de nouvelles méthodes de travail notamment à travers une coopération accrue des acteurs. Coopération qui a permis de trouver des alternatives aux problématiques d’accès aux soins, de prise en charge des soins non programmés et de suivi des personnes âgées.

Pour les territoires, les mesures annoncées vont dans le sens de la poursuite du soutien au développement de la télésanté ainsi que de l’élargissement de la prise en charge conventionnelle des actes de télémédecine aux sages-femmes et chirurgiens-dentistes. Du côté du service d’accès aux soins (SAS) – nouveau service qui permet d’orienter rapidement les patients en situation d’urgence ou de demande de soin non programmé – annoncé le 9 septembre 2019 dans le Pacte de refondation des urgences, il est prévu qu’une plateforme numérique partagée par le SAMU et la médecine de ville pour faciliter l’accès aux soins non programmés et à l’information en santé mais aussi pour lancer des expérimentations sur les organisations innovantes mixtes ville-hôpital, soit déployée.

D’autre part, dans l’esprit de « Ma santé 2022 », l’exercice coordonné doit devenir la norme. L’objectif fixé en 2017 de doubler le nombre de maisons de santé pluri-professionnelles et de centres de santé d’ici 2022 est réaffirmé. Pour ce faire, un mécanisme de bonus financier pour soutenir les CPTS créées en 2020/2021 et celles qui s’engagent dans des missions de régulation/coordination en matière de soins non programmés sera mis en oeuvre. L’on constate que les CPTS au sein du dispositif de structuration des soins non programmés ont vocation à assurer un « rôle pivot ». Mais, pour le Président de la CSMF Jean-Paul Ortiz qui plaide en faveur d’organisations souples, « si on attend que la France soit couverte par des CPTS pour répondre aux soins non programmés, on risque d’attendre longtemps ».

« Il était évident que se jouait quelque chose qui n’était pas juste une question sanitaire, que derrière l’épidémiologie se dessinait la question sociale, celle des déterminants sociaux dans l’accès aux soins, celle des ségrégations et des inégalités »

Dans un autre registre, si les actions menées à destination des plus précaires ont pu être accélérées, la crise sanitaire a décuplé et mis en exergue des situations d’isolement, de rupture de droits et de soins aggravant leur condition. « Il était évident que se jouait quelque chose qui n’était pas juste une question sanitaire, que derrière l’épidémiologie se dessinait la question sociale, celle des déterminants sociaux dans l’accès aux soins, celle des ségrégations et des inégalités »11. Les chiffres sont glaçants : le nombre de décès observés entre le 1er mars et le 13 avril en Seine-Saint-Denis était supérieur à 128 % à celui observé sur la même période en 2019, bien au delà des taux constatés dans les autres départements12. Ainsi, sur l’objectif de lutte contre les inégalités de santé, une « gouvernance stratégique de réduction des inégalités » associant l’ensemble des acteurs, dont les élus, sera instaurée dans chaque région. Une prise en charge globale (médicale, psychosociale et sociale) à l’hôpital et en ville grâce à la pluridisciplinarité des équipes sera également garantie.

Pour les personnes âgées – durement touchées pendant la crise épidémique – une « offre de prise en charge intégrée ville-hôpital-médicosocial » sera mise en oeuvre. Déjà annoncé de nombreuses fois, cet objectif devrait se concrétiser par une pérennisation des astreintes sanitaires mises en place durant la crise sanitaire au bénéfice des Ehpad via un renforcement des équipes mobiles et de l’hospitalisation à domicile mais aussi du dispositif de présence infirmière de nuit (garde dans les Ehpad) ou bien encore par l’organisation dans les territoires de parcours permettant les admissions directes non programmées à l’hôpital pour les personnes âgées afin d’éviter les passages aux urgences inutiles.

Enfin, autre sujet très attendu lors de la concertation : l’organisation régionale des soins et le rôle des ARS, vivement critiquées par certains en raison de leur approche jugée trop technocratique, centralisée, déconnectée des territoires et des politiques de santé qui y sont déployées. Vraisemblablement, il n’y aura pas de changement majeur en la matière puisque le Gouvernement se contente de renforcer le dialogue territorial avec les élus en développant leur présence à l’échelon départemental, en leur donnant plus de place au sein des conseils d’administration des ARS, dans des proportions qui restent toutefois à préciser. Des moyens leur seront alloués pour exercer leurs missions et renforcer leur capacité d’accompagnement de projet, sans plus de précisions… Les conclusions ne remettent d’ailleurs pas en cause le principe de co-gestion entre les départements et les ARS concernant la tarification des Ehpad et leur tutelle. Perspective qui fait pourtant partie de la « nouvelle organisation des pouvoirs publics » attendue par Territoires unis (AMF, ADF et Régions de France)13.

Le 17 septembre, soit près de deux mois après la clôture du Ségur de la santé, les médecins libéraux – qui souhaitent être reconnus et revalorisés à la hauteur de leur engagement pendant la crise – entrent en négociation avec la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Discussions plus que rapides du côté de la CSMF puisque le 7 octobre, la Confédération décide de quitter la table des négociations. En cause notamment, une lettre de cadrage jugée trop étroite (Olivier Véran avait en effet indiqué en amont que les tarifs des actes ne connaîtraient pas d’augmentation). Les tarifs relatifs à la télémédecine quant à eux qualifiés de « ridicules » et « d’insultants», ne seront pas revalorisés. La CSMF alerte à cette occasion sur le risque de « déstructurer le parcours des soins ». Si cette dernière reconnaît la nécessité d’une souplesse supplémentaire, il faut cependant veiller à ne pas ouvrir la porte à des « plateformes » délétères pour la qualité des soins.

Concrètement, compte tenu de la lettre de cadrage des négociations actuelles, des déclarations d’Olivier Véran et du budget programmé par le PLFSS, « il ne faut pas espérer des revalorisations éventuelles avant le quatrième trimestre 2023 »

Autre point de non-retour pour les libéraux : le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). En raison de la crise sanitaire, l’année 2020 est marquée par une baisse du chiffre d’affaires (500 millions d’euros pour les médecins généralistes et un milliard pour les spécialistes). Pour autant, le PLFSS ne prévoit qu’une enveloppe budgétaire supplémentaire de 300 millions d’euros pour les soins de ville. Concrètement, compte tenu de la lettre de cadrage des négociations actuelles, des déclarations d’Olivier Véran et du budget programmé par le PLFSS, « il ne faut pas espérer des revalorisations éventuelles avant le quatrième trimestre 2023 » fustige Jean-Paul Ortiz, Président de la CSMF.

« Il existe un choix politique clair d’orienter le système de santé vers l’hôpital et d’abandonner la médecine de ville. Ce choix politique est mortifère pour la santé des Français » martèle-t-il, dénonçant au passage des conséquences dramatiques pour l’accès aux soins et la santé des citoyens au regard de l’inévitable aggravation de la désertification médicale et de la désaffection pour la médecine libérale. Au final, « on va se retrouver dans une situation à l’anglaise. Il s’agit d’un constat tiré des faits ».

Les hôpitaux déplorent quant à eux que les engagements pluriannuels de dépenses se soient dissous dans les budgets pour lutter contre la Covid et revaloriser les rémunérations. « Ce PLFSS devrait dans ce contexte de crise historique, apporter sécurité aux établissements publics de santé et médicaux sociaux ». « C’est loin d’être le cas : si on enlève les financements obtenus lors du Ségur et les surcoûts liés au Covid, on se retrouve avec un objectif de dépenses d’Assurance maladie inférieur à ce qui était prévu et sanctuarisé par la pluriannualité ». « Comment peut-on autant en demander aux acteurs de santé sans leur donner les moyens d’atteindre leurs objectifs ? » s’agace Frédéric Valletoux, Président de la Fédération hospitalière de France (FHF). Autrement dit, les hôpitaux devront encore réduire leurs dépenses de fonctionnement pour financer le Ségur de la santé.

Pourtant, le Gouvernement en 2019, avait garanti aux établissements de santé une hausse minimum de 2,4 % de leurs ressources chaque année jusqu’en 2022, correspondant à 2 milliards d’euros pour 2021. « Loin du niveau attendu et nécessaire pour faire face à des surcoûts incompressibles, les chiffres portés à notre connaissance – une enveloppe de 1,3 milliard d’euros – ne semblent pas correspondre aux engagements initiaux », regrette la FHF, qui revendique 500 millions d’euros de plus pour 2020 et 700 millions pour 2021 pour les hôpitaux, ainsi que des crédits pour commencer à créer 20 000 emplois dans le secteur du grand âge14.

L’Histoire nous montre que les périodes de crise sont propices à un travail de réflexion collectif. Notre système de santé s’est construit sur des bases adaptées et cohérentes avec le monde d’hier, mais il n’est plus en adéquation avec le monde d’aujourd’hui et le sera encore moins avec celui de demain. La rénovation tant attendue de notre système de santé repose avant toute chose sur une conviction, une volonté politique. En effet, « nos réflexes, nos habitudes et pour tout dire notre culture dans un élan pavlovien ont provoqué tout à la fois d’accusations et de demandes urgentes d’argent pour remédier rapidement aux insuffisances constatées »15 pour autant « il n’est pas question de faire moins (…) mais il n’est pas question non plus par facilité de dire, il suffirait de dépenser plus pour que tout aille mieux, ce serait faux »16. D’autre part, si certaines des ambitions annoncées dans le cadre du Ségur de la santé ont vocation à transformer en profondeur l’organisation de notre système et nombre de ses pratiques, chacun l’aura compris, la refonte de l’ensemble de l’organisation des soins est une condition.

Il est également indispensable que la santé publique ne soit plus à la marge du système de santé. Une grande partie des moyens financiers est consacrée aux soins, et peu à la santé publique, notamment à la prévention. Parent pauvre d’un système de santé axé sur le soin et globalement absente des conclusions du Ségur de la santé, cette dernière doit devenir l’élément central du changement de paradigme qui s’impose aujourd’hui. La refondation de notre système de santé doit se traduire par une nouvelle approche tant financière que culturelle et organisationnelle car faire comme avant… c’est renoncer à demain.


D’une médecine curative, il nous faut passer à une médecine capable de répondre efficacement aux défis qui émergent et de les anticiper, c’est-à-dire passer à une médecine préventive, prédictive, personnalisée et participative. Les attentes à l’égard du « Ségur de la santé publique » annoncé par le ministre de la Santé pour cet automne sont par conséquent, immenses. Pour conclure, comme dirait Alexandre Dirikenne17 « s’il est des temps pour penser et réfléchir, pour disserter et discourir, il en est d’autres pour agir »..

1 660 médecins hospitaliers se disent « prêts à la démission » – JDD.

2 IFOP – Conclusions du Ségur de la santé – dossier de presse.

3 « Ségur de la santé » : Derrière les 35 heures, la réorganisation du temps de travail à l’hôpital en question – 20 minutes.

4 Covid-19: les hôpitaux toujours face au manque de lits et d’effectifs – L’express.

5 30 % de postes de médecins vacants : l’hôpital public veut une « conférence de consensus » – Le Parisien.

6 Conclusions du Ségur de la santé – dossier de presse.

7 Dr. Jerome Frenkiel, administrateur de l’INPH.

8 Rapport d’information sur l’objectif national d’assurance maladie – Sénat.

9 Dossier de Presse – Conclusions Ségur de la santé.

10 Jean Castex – Déclaration de politique générale – 16 juillet 2020, Sénat.

11 « Ségur de la santé » : « La crise sanitaire et sociale doit amener à un rebond » – Le Monde – Aurelien Rousseau, Directeur Général de l’Agence Régional de Santé d’Île-de-France.

12 Recommandations Rapport Notat.

13 Territoires unis : après le Sénat, les élus locaux plaident à leur tour pour un « nouvel élan de décentralisation » – banque des territoires.

14 « La FHF pointe les insuffisances d’un PLFSS 2021 qui « ne semble pas tenir ses promesses » – Réseau Hôpital.

15 Tribune « non ce n’est pas d’argent dont l’hôpital a besoin prioritairement! » – Jean-Paul Ségade; Bernard Accoyer ; Pr Jean-Michel Dubernard ; Pr Alain Bernard – Crapslog Juin 2020.

16 Transcription du discours sur la transformation du système de santé « prendre soin de chacun » du Président de la République, Emmanuel Macron – 18 septembre 2018.

17 Le Bûcher des Illusions. Nota Bene.