Osons redéfinir le champ psychiatrique avec ses forces et ses faiblesses, sans tomber sur une liste à la Prévert

Dr Rachel Bocher

Psychiatre, Chef de service au CHU de Nantes & Présidente de l’INPH

La psychiatrie de demain

Définition

La psychiatrie est une discipline médicale où la pression sociale est très forte : la période Covid-19 et les confinements nous le prouvent.

Notre discipline se trouve confrontée à une double préoccupation, d’une part les prises en charge personnalisées, d’autre part, la nécessité d’intégrer les problématiques sociétales de la vie collective, sans oublier les facteurs d’environnement. Si la psychiatrie est une discipline médicale, la santé mentale est une question de santé publique. 50 ans après la sectorisation, il est nécessaire de continuer d’évoluer en poursuivant l’intégration des différentes contraintes liées aux facteurs d’environnement, aux facteurs économiques, aux facteurs sociétaux pour poser la psychiatrie de secteur qui, loin d’être un concept à revisiter, doit remettre en avant une logique de parcours et une culture en réseau.

Psychiatrie de pointe, discipline d’avenir

A – Plus que tout autre discipline médicale, la psychiatrie est concernée par la santé publique (adolescents, addictions, suicide, personnes âgées, etc.) : plus de 10  % des dépenses de santé y sont consacrées.

B – Les données épidémiologiques confortent son avenir, l’OMS estime que 5/10 des maladies les plus préoccupantes sont des maladies mentales (schizophrénie, TOCs, maladies bipolaires, addictions, états dépressifs). En prévalence, un individu sur 5, sur sa vie entière, développera une maladie mentale (en période de Covid : un individu sur 4). Un quart des invalidités sont en lien avec une maladie mentale.

C – À l’horizon 2030, le bilan s’alourdira de 50 % de la contribution des maladies mentales, si rien n’est fait.

D – En plus, n’oublions pas le changement sociétal du XXIe  siècle qui entraîne chez les individus un hyperindividualisme contemporain, un repli sur soi, le primat de l’individu avec en face une société en perte de lien social avec une faiblesse des valeurs et des normes sociétales : les individus sont en quête de nouveaux repères.

Psychiatrie, discipline condamnée à investir

A – Aucun dispositif de soin n’abolira la souffrance psychique ; bien entendu, en aucun cas cette souffrance ne doit s’enraciner dans la psychiatrie au risque d’être instrumentalisée au niveau politique sous la forme d’un contrôle social.

B – L’originalité de la psychiatrie publique tient beaucoup à la qualité de ses acteurs, d’où l’importance de la formation et de la culture qui restent la condition première d’une identité décisive dans la socialisation des professions.

C – La psychiatrie doit rester une pratique au carrefour de la médecine et des sciences sociales ; il s’agit d’une théorisation des pratiques critiques et transformatives qui requiert un projet pour notre société. Rappelons que seuls, les psychiatres ne peuvent pas résoudre tous les problèmes actuels comme l’inégalité d’accès aux soins, la morbidité, la démographie.

D – Osons redéfinir le champ psychiatrique avec ses forces et ses faiblesses, sans tomber sur une liste à la Prévert…

1 – Tout le monde se dit en souffrance, mais quelle est la limite de nos actions thérapeutiques y compris pour les groupes à risque, les avatars de la normalité… (les migrants, les exclus). Va-t-on vers une société aseptisée ?

2 – Le service public hospitalier ne peut pas répondre à tout, les priorités restent bien l’inégalité d’accès aux soins dans le cadre d’une territorialisation. Il s’agit de mettre en œuvre et promouvoir des alternatives à l’hospitalisation dans le cadre d’une médecine de parcours (dont la rançon de la gloire est 300 % de soins psychiques en 20 ans).

3 – Redéfinir l’hospitalisation temps plein et souligner le poids de l’offre de soins avec les familles et les usagers. Il y a un déséquilibre attesté, puisque trois quarts des moyens sont utilisés à l’hospitalisation temps plein qui ne concerne qu’un quart des patients.

4 – La réflexion sur la prise en charge de la crise doit être réaffirmée, si l’on compare avec d’autres pays tel le Royaume-Uni. Mais, le NHS finance à 90 % les équipes mobiles, le constat restant clair : pour 100 000 habitants en France nous avons 1 000 admissions et 100 lits, en Angleterre pour 100 000 habitants, 300 admissions et 20 lits.

5 – Il faut préciser les centres de référence régionaux et interrégionaux pour les grandes orientations de santé publique et les groupes-cibles de pathologie en cas de résistance.

6 – Renforcer les liens entre la culture de la prévention et la culture des soins, autrement dit entre la psychiatrie et la santé mentale.

7 – Favoriser la culture psychiatrique autour des concepts de crise, d’alternatives à l’hospitalisation ou de médecine de parcours, permettra une diversification plus large d’alternatives à l’hospitalisation comme l’HAD, l’UHCD, les soins intensifs en ambulatoire ou les hôpitaux de jour de crise.

8 – Rééquilibrer les réponses entre l’ambulatoire, l’hospitalisation publique, le système libéral favorisera des réorganisations diversifiées et complémentaires, notamment en incluant le médicosocial et le social.

Quels enjeux pour les 5 ans à venir ?

1 – La formation initiale et le développement professionnel continu avec la question : aujourd’hui jusqu’où la psychiatrie soigne et doit soigner ?

N’oublions pas que l’enveloppe des symptômes marque une époque donnée (le tout sécuritaire ou même de l’addictologie), au risque d’insister beaucoup trop sur les troubles du comportement, sur la pathologie de l’agir avec des déterminants neurogénétiques.

2 – Indissociables de la formation et du domaine de la recherche… Formation à quoi ? Pour quelles recherches ? Avec quelle ligne budgétaire ? Il est important de cibler une double formation chercheur et médecin. Quel type de centre expert en recours ?

3 – Bien entendu, aux rendez-vous doivent être présents les moyens financiers et politiques afférents, à l’heure où de nombreuses annonces sont attendues autour des assises de la psychiatrie, cet été.

4 – L’ouverture du secteur doit se faire par le développement d’une culture partagée de réseaux qui doit permettre l’accès aux soins précoces et une sensibilisation des intervenants de première ligne.

5 – La psychiatrie française a toujours été évolutive et inventive, soutenue par un militantisme professionnel qui a toujours lutté pour une meilleure organisation des soins adéquats au projet de soins, il s’agit d’un travail de convictions et d’engagement qui repose sur la capacité des acteurs à faire émerger un problème, à trouver des solutions et à les mettre en acte.

L’hybridation féconde des différents courants  (pharmacologie, politique de sectorisation, psychanalyse, psychothérapie institutionnelle, neurosciences) a permis et continue de permettre à la psychiatrie française d’innover. Pour ce faire, ce travail bouscule autant les frontières interprofessionnelles que la représentation sociétale et même les collaborations inédites telles au sein du médicosocial avec les collectivités territoriales, voire aussi les médiations dans ses collaborations avec le milieu artistique et citoyen.

6 – Le vrai levier de changement sera la démocratie participative avec la mise en relief de nos valeurs communes (autonomie, respect, innovations, reconnaissance) sous-tendant la déstigmatisation de la maladie mentale.

7 – Le numérique sera, bien sûr, largement contributeur de cette transversalité et de ces innovations.

Conclusion

Projetons-nous sur une nouvelle étape avec Elsa Triolet, « L’avenir n’est pas une amélioration du présent mais bien autre chose » : il s’agit d’aller vers une authentique culture de santé publique et de psychiatrie innovante, posant la question du lien psychiatrie/santé mentale avec les réorientations nécessaires pour l’avenir. Il n’y a pas de place pour l’échec, il n’y a pas de place pour la dépression.