Tribune

« l’absence de planification et de cadre stratégique pluriannuel – au-delà du seul financement – freine la mise en oeuvre des évolutions indispensables à la pérennité de notre système de santé »

Par
Sophie Beaupère
Déléguée générale d’Unicancer

Le financement et l’organisation de notre système de santé reposent historiquement sur un cadre annuel, incarné depuis 1996 par la création de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Ce cadre budgétaire établit un objectif annuel de recettes et de dépenses pour la Sécurité sociale et est voté chaque année par le Parlement dans le cadre des lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS). La logique court-termiste qu’il embrasse contraint aujourd’hui la capacité de notre système de santé à anticiper les besoins de santé et à calibrer les ressources nécessaires pour y répondre de manière durable. Plus largement, l’absence de planification et de cadre stratégique pluriannuel – au-delà du seul financement – freine la mise en oeuvre des évolutions indispensables à la pérennité de notre système de santé, et limite sa capacité à répondre durablement aux enjeux de santé publique, parmi lesquels la lutte contre le cancer.

La mise en oeuvre d’une stratégie pluriannuelle en santé répond tout d’abord à un impératif de transformation des politiques de prévention et de dépistage organisé. Le cancer est aujourd’hui la première cause de mortalité par maladie en France, avec près de 150 000 décès chaque année, et son incidence a doublé au cours des trente dernières années. Alors que 40 % des cancers pourraient être évités en agissant sur les principaux facteurs de risque – tabac, alcool, malnutrition et surpoids/obésité -, les politiques traditionnelles de prévention et de dépistage se heurtent à des difficultés persistantes, la France accusant un retard important eu égard aux résultats de participation aux trois programmes de dépistage organisé. Cette transformation exige un changement d’échelle et de paradigme global en faveur d’une politique de prévention personnalisée basée sur les risques individuels, et ne pourra se concrétiser qu’au travers de l’adoption d’une stratégie de long terme, fondée sur une vision pluriannuelle et dotée de financements pérennes.

En parallèle, alors que les besoins en santé croissent, sous l’effet conjugué du vieillissement de la population et de la progression des maladies chroniques, les inégalités territoriales d’accès aux soins persistent, accélérées par la crise de démographie médicale. Une situation héritée à la fois d’un manque d’anticipation de l’évolution démographique et épidémiologique, et d’une planification stratégique insuffisante des formations médicales, paramédicales et administratives. En France, le secteur de la santé emploie plus d’1,3 million de professionnels au service de l’intérêt général de la santé de la population. Les enjeux de démographie médicale et de fidélisation des professionnels sont ainsi centraux pour maintenir l’excellence de la prise en charge. Salaires, formation, qualité de vie au travail, reconnaissance professionnelle, sont autant de leviers pour redynamiser l’emploi en santé et consolider les équipes de soins à travers tout le pays. Ils sont actionnables à condition d’adopter une véritable politique d’investissements pluriannuels dans les ressources humaines.

Offrir un cadre de long terme aux acteurs en matière de financement et de capacité d’investissement est indispensable afin d’accélérer la recherche, et pour garantir l’accès de tous les patients sur l’ensemble du territoire aux innovations en oncologie. À titre d’illustration, il conviendrait de rendre encore plus accessibles les actes de biologie moléculaire, outils devenus indispensables pour orienter les parcours de soins et les stratégies thérapeutiques proposées aux patients atteints de cancer, éviter l’errance diagnostique et les pertes de chance, et accélérer la recherche clinique. À ce jour, l’absence de trajectoires de financement pérennes nuit considérablement au développement de nouveaux tests sur le territoire national, et à l’élargissement de leur recours, alors même qu’ils constituent un levier important d’économies pour le système de santé. La construction d’un environnement propice à l’innovation est un levier stratégique majeur afin de répondre aux enjeux d’attractivité, de compétitivité et de souveraineté nationale.

Unicancer se réjouit des discussions engagées en vue de la signature d’un nouveau protocole de pluriannualité. Cet outil constitue un levier stratégique majeur pour garantir la pérennité et la pertinence des actions menées par les Centres de lutte contre le cancer dans la déclinaison de la stratégie décennale de lutte contre le cancer. En assurant la prévisibilité des ressources et en définissant des priorités ainsi que des engagements réciproques, ce protocole pluriannuel permettra de renforcer la coordination entre les établissements de tous statuts, d’optimiser l’impact des projets, et de soutenir la recherche et l’innovation au service des patients.

Il apparaît toutefois que la mise en place d’une loi de programmation en santé, à l’instar de ce qui existe dans d’autres secteurs stratégiques comme la défense ou la recherche, est désormais un jalon nécessaire pour répondre aux défis de l’organisation des soins face aux impératifs démographiques, de prévention ou encore d’innovation. Le virage vers une programmation pluriannuelle doit guider la transformation de notre système de santé grâce à une stratégie affirmée afin d’engager les réformes clés visant à une prise en charge d’excellence, globale et coordonnée des patients, partout dans les territoires, dans une logique de pertinence, d’efficacité et d’économies indispensable à la soutenabilité du modèle de santé français.