Interview

« Face aux mutations rapides des métiers, la formation professionnelle est devenue un pilier stratégique pour l’intérim »

Par
Térence Hamel et Lila Safraoui
Directeur général France et Directrice Relations Publiques et Impact Social du Groupe Adéquat

Pouvez-vous présenter en quelques mots le groupe adéquat ?

Entreprise familiale française, Adéquat s’impose aujourd’hui comme un acteur majeur du travail temporaire et du recrutement. Forte de près de 2 000 collaborateurs (ont 1 400 en France), l’entreprise est présente dans 7 pays, en Europe et au Canada, et poursuit activement son expansion à l’international par le biais d’acquisitions régulières. Avec un réseau de 350 agences réparties sur le territoire, Adéquat intervient principalement dans l’industrie, le BTP, la logistique, ainsi que dans des domaines de technologies de pointe tels que l’aéronautique ou le nucléaire. Chaque année, Adéquat accompagne plus de 160 000 intérimaires auprès de 15 000 clients. Notre action repose sur un ancrage local fort, une relation de proximité avec les entreprises comme avec les candidats, et un engagement affirmé en faveur de la performance sociale et de l’impact économique au niveau territorial.

Au-delà du coeur de métier – l’intérim représentant environ 80 % de son activité – , Adéquat intervient également sur des prestations de recrutement en CDI et CDD, ainsi que sur des missions de conseil RH, couvrant des enjeux essentiels pour les entreprises tels que la santé et la sécurité au travail, les politiques de diversité et d’inclusion, ou encore la valorisation de la marque employeur.

En tant qu’acteur de l’intérim et du recrutement, comment répondez- vous aux défis du marché de l’emploi ?

Notre rôle principal est d’accompagner sur le temps long les transitions profondes de l’économie en anticipant l’évolution des différentes formes d’emploi, et d’accompagner sur le temps court les fluctuations du marché de l’emploi, en particulier dans les périodes de transition ou de crise. Ces dernières années ont été marquées par une succession de chocs économiques, dont la crise sanitaire liée à la COVID- 19. À la sortie de cette période, le marché a connu une reprise marquée par une forte accélération des recrutements, à laquelle les agences d’intérim ont su répondre, confirmant notre rôle de levier stratégique dans l’adaptation des entreprises aux évolutions économiques.

Nous vivons actuellement une situation inédite avec un marché de l’intérim en baisse pour la quatrième année consécutive, du fait notamment du ralentissement économique (ex. : conséquences de la guerre en Ukraine, etc.). Pour autant, les entreprises continuent d’avoir du mal à recruter en raison d’un décalage entre les compétences disponibles, les besoins réels des entreprises et le manque d’innovation dans les méthodes de recrutement. Cela s’explique notamment par la transformation rapide des métiers et l’évolution des besoins en compétences (ex. : digitalisation, nouveaux enjeux stratégiques liés à la transition écologique). Dans ce contexte, notre rôle vise à accompagner les candidats de manière personnalisée et à co-construire, avec nos clients, des parcours de formation adaptés aux réalités du terrain.

Face aux mutations rapides des métiers, la formation professionnelle est devenue un pilier stratégique pour l’intérim. Les coûts de formations sont partagés entre les entreprises et différents partenaires de l’emploi (notre OPCO AKTO, Adéquat, entreprises clientes, France Travail, missions locales, Régions…). Le partage des investissements en formation est d’autant plus essentiel dans des secteurs comme l’aéronautique ou le nucléaire, où les exigences techniques sont élevées et les formations particulièrement coûteuses. Chaque année, nous investissons 15 millions d’euros dans la montée en compétences des intérimaires, avec plus de 15 500 personnes formées en 2024.

Selon notre Baromètre de l’emploi 2025, 61 % de nos intérimaires interrogés sont en recherche active d’emploi (qu’ils soient ou non en activité), tandis que 39 % sont satisfaits de l’intérim qui leur apporte un bon équilibre entre stabilité et flexibilité. Pour répondre à cette diversité d’attentes, nous proposons également des dispositifs comme le CDI intérimaire, dont 2 000 contrats ont été signés en 2024. Ce format permet de sécuriser les parcours professionnels tout en préservant la souplesse appréciée par de nombreux intérimaires.

L’intérim joue aussi un rôle essentiel comme tremplin vers l’emploi. Selon une étude de l’Observatoire de l’intérim et du recrutement, 84 % des salariés étaient hors du marché du travail avant leur première mission en intérim. Un an après, 69 % d’entre eux ont accédé à un emploi (41 % en intérim, 5 % en CDI intérimaire, 6 % en CDD et 17 % en CDI), confirmant la dynamique d’accès à l’emploi par l’intérim.

Quelles actions mettez-vous en place pour favoriser l’accès à l’emploi des populations les plus fragiles ?

L’insertion des publics éloignés de l’emploi – jeunes sans qualification, personnes en situation de handicap, seniors, personnes habitant dans des territoires urbains ou ruraux défavorisés – constitue un pilier de notre engagement. Ces démarches s’ancrent dans une conviction forte : les réussites les plus durables sont souvent locales, bâties sur l’engagement partagé entre candidat, entreprise et agence. Il faut avant tout remettre la compétence et le potentiel de chacun au coeur de ces démarches pour ne pas enfermer les candidats sous des étiquettes.

Cet enjeu est particulièrement crucial alors que de nombreux jeunes se heurtent à un décalage entre leurs compétences et les attentes du marché du travail. Chez Adéquat, où 40 % de nos intérimaires ont moins de 25 ans, cette réalité est prise en compte à travers des approches innovantes : recrutement sans CV, coaching, événements sportifs comme l’« Adéquat Challenge Tour », ou encore des immersions sur le terrain. L’objectif : ouvrir des perspectives d’emploi en s’affranchissant des méthodes traditionnelles, souvent inadaptées à certains profils.

Avec la réforme des retraites, la question du maintien dans l’emploi des profils seniors est également devenue un sujet majeur, d’autant que la France affiche l’un des taux d’emploi les plus faibles en Europe pour les 55-64 ans. Pour répondre à cet enjeu, nous avons signé une charte d’engagement avec le Club Landoy, soulignant le rôle que peut jouer l’intérim pour prolonger une carrière, en proposant des formations pour la reconversion ou des missions à temps partiel souvent mieux adaptées aux besoins de ces publics.

Pour faciliter le retour à l’emploi des publics les plus fragilisés, il est essentiel de mobiliser des dispositifs spécifiques qui dépassent les méthodes classiques du CV et de l’entretien. Des outils développés avec France Travail comme la méthode de recrutement par simulation (MRS), les Préparations opérationnelles à l’emploi (POE) ou encore les immersions professionnelles ont fait leurs preuves. Ces outils permettent d’évaluer concrètement les aptitudes des candidats à occuper un poste et de construire des parcours personnalisés, en partenariat avec les entreprises clientes, France Travail et les missions locales.

Au sujet de l’inclusion et de la diversité, la transformation des métiers ouvre également de nouvelles perspectives à certaines populations. La mécanisation de nombreux postes rend désormais accessibles à des femmes des métiers qui ne leur étaient pas ouverts jusqu’ici pour des raisons de réglementation du port de charges lourdes. Et au-delà de la mécanisation, nous devons aussi mener un véritable changement culturel aux côtés de nos clients et de nos candidates intérimaires. Nous menons des actions spécifiques pour encourager la féminisation des métiers techniques. Depuis 2023, la campagne « Nos jobs n’ont pas de genre » a été lancée pour sensibiliser le public et promouvoir l’accès des femmes à ces professions. Elle s’appuie notamment sur des immersions féminines en milieux industriels, des témoignages de salariées et la mobilisation active des entreprises partenaires.

Quelles sont, selon vous, les conditions d’un partenariat efficace avec France Travail ?

Le rapprochement entre France Travail et les agences d’intérim constitue un levier stratégique pour mieux appréhender les besoins des entreprises et ouvrir le champ des possibles à tous les demandeurs d’emploi. Cette complémentarité entre acteurs de l’emploi est essentielle pour répondre aux attentes des employeurs tout en sécurisant les parcours professionnels.

Sur le terrain, les coopérations locales entre France Travail et Adéquat sont efficaces et constructives. Pour autant, nous souhaitons renforcer ce partenariat avec une structuration plus forte au niveau national, avec pour objectif de bâtir un cadre partagé pour déployer à grande échelle des coopérations sur le sourcing, la formation et l’accompagnement des publics éloignés de l’emploi. Dans ce contexte, une convention-cadre est en cours de finalisation. Parmi les intérimaires interrogés pour notre Baromètre, une minorité nous indique avoir trouvé une mission via France Travail. Cela nous interpelle et doit nous amener à renforcer nos liens, au service de ces candidats. Pour nous, une convention nationale permettrait de donner plus de lisibilité, de continuité et de poids aux coopérations déjà à l’oeuvre localement. Par ailleurs, il nous semble important que France Travail, en tant qu’opérateur de service public, puisse conventionner avec des entreprises familiales comme Adéquat, car nos valeurs de proximité et de liens durables se rejoignent.

Ce rapprochement a également contribué à faire évoluer le regard porté sur les agences d’intérim, longtemps perçues comme un vecteur de précarité. Ce repositionnement s’appuie à la fois sur les résultats concrets de l’intérim comme tremplin vers l’emploi durable, et sur une approche humaine, personnalisée et ancrée dans les territoires – un socle que France Travail et Adéquat souhaitent consolider ensemble.