Tribune

« La protection sociale, en ce qu’elle vise à garantir le bien-être et la sécurité de tous les individus, doit nécessairement prendre en compte les défis relatifs à l’eau »

Olivier Toma
Fondateur de Primum Non Nocere© et Directeur associé Grant Thornton

L’accès à l’eau potable et sa gestion durable sont des questions cruciales pour le bien-être de l’humanité et la santé de notre planète. 

Voici les 10 principaux défis majeurs que nous devons relever d’ici 2030 concernant nos ressources en eau :

Le dérèglement climatique :  ce dérèglement augmente la variabilité des précipitations, exacerbe les sécheresses dans certaines régions et augmente les inondations dans d’autres. Nous le savons tous, nous devons nous engager dans la lutte contre ces dérèglements, c’est également un moyen de préserver nos ressources en eaux actuelles et à venir.

La surutilisation de l’eau : dans de nombreuses régions, l’eau est surexploitée pour l’agriculture, l’industrie et l’utilisation domestique, ce qui entraîne un épuisement des aquifères et une diminution des débits des rivières.

Les infrastructures vieillissantes : dans de nombreux pays développés, les infrastructures de distribution d’eau sont vieillissantes et nécessitent des rénovations importantes. Le gouvernement va débloquer 180 millions d’euros par an pour aider les collectivités à réduire les fuites dans les canalisations. Les pertes sur les réseaux d’eau potable représentent aujourd’hui un litre sur cinq !

Conservation et utilisation efficace de l’eau : encourager la conservation de l’eau et développer des technologies et des pratiques pour une utilisation plus efficace de l’eau est crucial. Dans notre secteur, nous utilisons des lave-bassins, des piscines, des autoclaves, des plonges en cuisine, des dialyseurs, des milliers de litres d’eau pour nettoyer du linge… Une politique d’achat adaptée permet de réduire très fortement ces consommations et ce durablement.

La pollution de l’eau : de nombreuses sources d’eau sont polluées par les déchets industriels, agricoles, médicamenteux et ménagers. La protection des ressources d’eau contre ces diverses sources de pollutions est l’affaire de tous. Le secteur de la santé est particulièrement polluant et énergivore, un plan global de réduction des consommations et des rejets est majeur pour la suite… Chaque établissement, chaque professionnel de santé peut intégrer la réduction des effluents liquides et médicamenteux dans son quotidien… La Suède a intégré un indice PBT dans la prescription, la délivrance et la substitution des médicaments. Nous travaillons actuellement à la création d’un éco-score pour les médicaments… Cela sera peut-être la solution pour l’hexagone…

L’accès à l’eau potable et le recyclage des eaux usées : selon l’ONU, environ une personne sur trois n’a pas accès à de l’eau potable en toute sécurité. L’extension de l’accès à l’eau potable est un défi clé, en particulier dans les pays en développement, mais aussi en Europe. À l’inverse, ne devrait-on pas utiliser de l’eau non potable pour les bouches à incendie, les espaces de lavage de voitures, des toilettes, les arrosages des espaces verts, des golfs ?

La protection des écosystèmes aquatiques : les écosystèmes aquatiques fournissent de nombreux services écosystémiques précieux, mais sont souvent menacés par la pollution, la surexploitation et le changement climatique. Leur protection est une nécessité pour la durabilité de l’eau.

Le plancton, par exemple, joue un rôle crucial dans la production d’oxygène et le cycle du carbone sur Terre. Il est composé d’organismes minuscules, généralement microscopiques, qui dérivent dans les eaux douces et salées du monde. Le plancton peut être divisé en deux grandes catégories : le zooplancton, qui est composé de petits animaux, et le phytoplancton, qui est composé de plantes microscopiques.

Le phytoplancton, comme toutes les plantes, réalise la photosynthèse. Au cours de ce processus, il utilise la lumière du soleil pour convertir le dioxyde de carbone (CO2) et l’eau (H2O) en glucides (sucres), en libérant de l’oxygène (O2) comme sous-produit. Il est estimé que le phytoplancton contribue à environ 50 % de la production totale d’oxygène de la planète, bien qu’il ne représente qu’une petite fraction de la biomasse végétale totale. C’est une contribution significative, sachant que les forêts tropicales humides, qui sont souvent citées comme les « poumons de la planète », contribuent également à environ 28 % de l’oxygène terrestre.

Le phytoplancton joue également un rôle crucial dans le cycle du carbone. Il absorbe une grande quantité de CO2 lors de la photosynthèse. Lorsque le phytoplancton meurt, il descend vers le fond de l’océan, emportant le carbone qu’il a absorbé. 

Intégrer la notion d’eau virtuelle : il s’agit de l’eau utilisée pour produire des biens et des services, souvent de manière indirecte. Par exemple, l’eau utilisée pour cultiver les céréales qui seront utilisées pour nourrir le bétail est considérée comme de l’eau virtuelle dans la production de viande. Cette eau n’est pas directement consommée ou polluée, mais elle est utilisée dans le processus de production.

L’un des défis majeurs pour la gestion de l’eau d’ici 2030 est de comprendre et de gérer l’eau virtuelle. Cela comprend la réduction de l’eau utilisée dans la production de biens et de services, la création de chaînes d’approvisionnement plus durables et la prise en compte de l’eau virtuelle dans les accords commerciaux et les politiques de gestion de l’eau.

Cela peut impliquer des changements dans la manière dont nous cultivons nos aliments, comme l’adoption de pratiques agricoles plus durables qui utilisent moins d’eau, le développement de cultures plus résistantes à la sécheresse, ou même le changement de nos habitudes alimentaires pour consommer moins de produits qui nécessitent beaucoup d’eau pour leur production. Pour cela, il est important d’inventer un outil de mesure, tel que le « bilan carbone » pour le CO2, un « Bilan H2O » permettrait à n’importe quelle organisation d’avoir des indicateurs, précis pour réduire son empreinte hydrique.

L’éducation et la sensibilisation du public sont également importantes, car de nombreuses personnes ne sont pas conscientes de la quantité d’eau utilisée pour produire les biens qu’elles consomment au quotidien. En prenant conscience de notre « empreinte eau », nous pouvons faire des choix plus éclairés et durables.

Prenons l’exemple du lait infantile. Un litre de lait en poudre nécessite 5 000 litres d’eau potable et 1,4 kg d’équivalent CO2 pour sa fabrication, c’est le fruit de l’analyse du cycle de vie de cet aliment. Une campagne nationale de sensibilisation sur le soutien à l’allaitement maternel aurait un impact positif colossal en termes de santé humaine et de préservation des ressources naturelles…

La gestion de l’eau transfrontalière : de nombreux systèmes d’eau douce traversent les frontières nationales, et leur gestion efficace nécessiterait une coopération internationale.

L’équité en matière d’eau : assurer un partage équitable de l’eau entre différents utilisateurs – villes, agriculture, industrie – et entre différentes régions et pays est un défi complexe, mais nécessaire pour la suite de notre aventure humaine.

Quels sont les risques à court terme si nous n’agissons pas ?

Au-delà des risques liés au manque d’eau potable, aux conflits entre les peuples face à cette pénurie dans certaines zones du globe, à l’augmentation du coût de l’accès à l’eau, un des risques les plus inquiétants est celui qui concerne les éventuelles futures pandémies liées à l’eau.

Il existe, en effet, un risque de pandémies causées par la pollution de l’eau ou le manque d’assainissement de l’eau. De nombreuses maladies graves et potentiellement mortelles peuvent être transmises par l’eau contaminée, notamment le choléra, la dysenterie, la typhoïde et la poliomyélite. Ces maladies peuvent se propager rapidement dans les populations où l’eau potable et l’assainissement sont insuffisants, causant des épidémies de grande ampleur.

En outre, le réchauffement climatique pourrait augmenter le risque de telles pandémies. Le réchauffement des températures peut favoriser la croissance et la propagation de certains pathogènes dans l’eau, tandis que les événements météorologiques extrêmes, tels que les inondations, peuvent propager les maladies en contaminant l’eau potable avec des eaux usées.

L’augmentation des antibiotiques, désinfectants, médicaments et leurs métabolites dans l’eau peuvent concourir à la prolifération de bactéries multirésistantes. Un rapport de l’OMS estimait à 700 000 le nombre de décès dans le monde chaque année en raison de la résistance aux antimicrobiens. L’OMS a également averti que ce nombre pourrait atteindre 10 millions par an d’ici 2050, si aucune action n’est entreprise pour combattre ce problème !  En ce qui concerne la France, selon l’ANSM, environ 12 500 décès par an seraient attribués à des infections dues à des bactéries résistantes aux antibiotiques.

Nous retrouvons également de nombreux perturbateurs endocriniens avérés dans les eaux de boissons, certes en doses infinitésimales, mais ce sont des doses récurrentes… Réduire les consommations d’eau et les rejets d’effluents liquides est un véritable geste de santé publique…

La protection sociale et les défis relatifs à l’eau sont étroitement liés. L’eau est une ressource essentielle à la vie humaine et à la santé, et l’accès à une eau potable sûre et à des services d’assainissement est un droit humain reconnu par les Nations unies. La protection sociale, en ce qu’elle vise à garantir le bien-être et la sécurité de tous les individus, doit nécessairement prendre en compte les défis relatifs à l’eau.

Quelques données chiffrées à connaître : 

Selon l’Organisation mondiale de la santé, chaque personne a besoin d’au moins 20 à 50 litres d’eau par jour pour assurer ses besoins de base, y compris la boisson, la cuisine et l’hygiène personnelle.

Hôpital : selon le baromètre IDD du C2DS, un hôpital consomme près de 500 litres d’eau potable par jour (hors dialyse). Un autoclave peut rejeter 1 000 litres d’eau stérile dans les égouts, tous les jours…

Toilettes : nous consommons 100 à 150 litres d’eau par personne en France par jour, dont environ 30 litres d’eau potable pour les « toilettes ». Avec une population d’environ 67 millions d’habitants, cela équivaut à 734 milliards de litres d’eau potable par an…

L’agriculture représente environ 70 % de l’eau douce utilisée dans le monde, selon la FAO. Il faut environ 1 000 à 3 000 litres d’eau pour produire un seul kilogramme de riz et environ 15 000 litres pour produire un kilogramme de viande de bœuf.

L’industrie consomme environ 20 % de l’eau douce mondiale. Par exemple, il faut environ 39 000 litres d’eau pour produire une voiture et environ 10 litres d’eau pour fabriquer une feuille de papier A4.

Alimentation : un hamburger de 150 grammes a une empreinte eau d’environ 2 400 litres, en prenant en compte l’eau utilisée pour la production de viande, de pain et des garnitures.

Accès à l’eau : selon l’UNICEF et l’OMS, en 2019, environ 2,2 milliards de personnes dans le monde n’avaient pas accès à des services d’eau potable gérés en toute sécurité.

Maladies liées à l’eau : selon l’OMS, environ 485 000 décès par an sont dus à la diarrhée causée par la consommation d’eau contaminée. De plus, des maladies comme le choléra, la dysenterie, le typhus ou la polio peuvent être directement liées à l’eau contaminée.

Pollution plastique : selon une étude publiée dans la revue Science en 2015, environ 8 millions de tonnes de plastique se retrouvent dans les océans chaque année. Cela équivaut à déverser le contenu d’un camion à ordures dans l’océan chaque minute.

Déversements d’hydrocarbures : l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis estime qu’environ 136 millions de gallons (soit environ 515 millions de litres) d’hydrocarbures sont déversés dans l’eau chaque année.

Eaux usées non traitées : selon l’UNESCO, environ 80 % des eaux usées dans le monde sont déversées dans l’environnement sans traitement, ce qui contribue à la pollution de l’eau.