Tribune

Les administrations pourraient ainsi davantage orienter leurs actions avec pour but d’accompagner, d’informer et de conseiller

ABRAHAM HAMZAWI

PARTNER ASSURANCE MALADIE À SOPRA STERIA NEXT

Comment le service public peut-il fonctionner en limitant les contacts au strict nécessaire ? Dans le domaine de la Protection sociale se pose la qualité des interactions dans les agences qui accueillent du public. Dans quelle mesure ces contacts sont-ils indispensables ? Combien d’interactions pourraient être évitées si la manière de servir l’usager avait été pensée différemment tout en permettant d’atteindre le même objectif (accéder à un droit, par exemple une couverture maladie) ?

La crise sanitaire liée au Covid-19 nous donne une opportunité unique de repenser l’expérience humaine. Dans certains cas les contacts en face à face semblent incontournables et les conditions de sécurité (sanitaire) sont alors primordiales. Mais pour une très large majorité des contacts il y a ceux qui devraient être effectués à distance, voire ne devraient pas avoir lieu. Plus généralement il s’agit de réduire les risques tout au long du parcours usager. 

L’on nous dit que « le meilleur service client est celui où le client n’a pas besoin de vous appeler ». Comment cette affirmation peut-elle être transposée dans le cadre des démarches administratives ? 

Les meilleurs services clients mettent le client au premier plan. Alors, si l’on mettait l’usager au premier plan nous pourrions penser qu’il n’aurait plus de démarches à accomplir. En tout cas sur le plan strictement administratif (collecte de données, remplissage de formulaires, transmission de pièces justificatives).

Dans le cadre de la crise liée au Covid-19 certaines administrations de la Sécurité sociale ont procédé à la prolongation systématique des droits. Ce qui a permis de basculer davantage vers le contrôle a posteriori. L’usager conserve ses droits et l’administration vérifiera une fois les conditions de sécurité sanitaire rétablies si cette conservation est fondée. Cette situation inédite aide très largement à repenser les procédures opérationnelles. La montée en puissance du contrôle a posteriori suppose une meilleure utilisation des données détenues par les administrations. Non seulement celles de la Protection sociale mais celles des autres sphères de l’action publique.

Les administrations pourraient ainsi davantage orienter leurs actions avec pour but d’accompagner, d’informer et de conseiller. Si les démarches s’effectuent sans contact elles n’en demeurent pas moins humaines : elles sont conçues à partir de l’usager. Ce qui suppose de bien connaître ses attentes. Rien n’est plus difficile. Il est en effet assez difficile d’anticiper, de penser et de planifier la manière de faire pour répondre aux attentes. Il faut expérimenter, sans galvauder le principe car si vous savez que cela va fonctionner alors ce n’est pas une expérimentation. Il faut accepter de prendre des risques. C’est le prix de l’innovation. S’il y a échec alors il doit être circonscrit et sans impact significatif. Si l’on échoue il faut échouer vite, comprendre pourquoi, afin de rectifier et recommencer une nouvelle expérimentation. Ce qui suppose que l’on ait bien explicité les hypothèses de travail et l’objectif à atteindre. Le problème c’est que l’échec n’est pas acceptable dans la culture administrative. Ce qui représente un frein à l’innovation. La crise sanitaire à cet égard nous fait réfléchir…

Dans cette démarche d’innovation il s’agit de mettre l’usager au premier plan. Puis d’inventer. Enfin, il faut avoir beaucoup de patience. à cet égard l’analyse des motifs de contact est primordiale. Une meilleure collecte des informations relatives à ces contacts est déterminante. C’est le prérequis pour engager un processus d’amélioration en continue de la manière d’interagir avec les usagers.

Si nous souhaitons véritablement instaurer un mode de travail à distance, y compris pour les agents du service public, les démarches de type « design thinking » doivent être mise en œuvre effectivement. Ce qui implique de comprendre vraiment l’usager, partir de son point de vue, de se mettre à sa place, de vivre son expérience. C’est ainsi que le service sans contact mais humain pourra se développer. Il faut se réinventer et questionner profondément la manière dont les procédures et démarches administratives sont conçues et mises en œuvre. 

Les technologies relatives à l’intelligence artificielle et à l’automatisation des tâches (robotic process automation, on parle même d’hyperautomation, c’est-à-dire qui comporte des modules d’analyse de données avancés) vont contribuer à réduire les activités répétitives sans valeur ajoutée et permettre aux agents de passer plus de temps à analyser, comprendre la situation des usagers afin de mieux les conseiller. 

Paradoxalement le développement des interactions sans contact avec les administrations va conduire à placer l’humain au centre des solutions technologiques mises en œuvre. Car si l’on veut que le service public sans contact réussisse il faut qu’il soit conçu à partir de l’humain et pour lui.