INTERVIEW

EN CE QUI CONCERNE LES AGENTS EN ACTIVITÉ EN REVANCHE, IL EST VRAI QU’ILS SE TROUVAIENT EN PREMIÈRE LIGNE

Benoît Briatte

PRÉSIDENT DE LA MUTUELLE GÉNÉRALE DE LA POLICE (MGP)

En deux mots, quel est le métier de la MGP ?

La MGP protège la grande majorité des forces de sécurité, c’est-à-dire un peu plus de 230 000 personnes, essentiellement des agents du Ministère de l’Intérieur. Nous employons 450 personnes. Je suis Président de cette mutuelle depuis 2011, dont je suis également administrateur depuis 2004. 

Vos adhérents ont été particulièrement exposés au risque au pic de la crise : dans quelle mesure ont-ils été touchés ?

Il faut distinguer deux types de populations. Nous couvrons non seulement les agents en activité, mais aussi les agents à la retraite. Ces derniers représentent un peu plus de 40 % de nos adhérents et ont été ni plus ni moins touchés que le reste des retraités français. 

En ce qui concerne les agents en activité en revanche, il est vrai qu’ils se trouvaient en première ligne. Pour eux, les impacts sont de deux ordres : psychologiques et physiques. 

Psychologiques d’abord, parce que ces agents ont été confrontés à un risque inconnu. Un risque face auquel, comme beaucoup, ils disposaient d’informations minces, parfois contradictoires, et de moyens de protection limités. La question du port du masque par les policiers a même été un temps débattue dans les médias, certains craignant que cela ne traumatise encore davantage la population… 

Physiques ensuite, parce que les agents en service ont été directement exposés au virus. Sur ces impacts, nous disposons encore de peu de données. Cela surprendra peut-être, mais à date nous constatons en réalité, comme la plupart des complémentaires santé, une baisse des demandes de remboursement. Toutefois, il faut se garder de conclure hâtivement que les forces de sécurité ont été épargnées par la maladie car aucun flux ni aucun document ne nous est encore parvenu des hôpitaux, qui ont consacré l’essentiel de leurs forces vives aux soins des malades.

La MGP va-t-elle faire face à une vague de demandes de remboursement dans les jours, les semaines qui viennent ou bien est-ce que cette vague n’arrivera jamais ? 

Impossible à dire aujourd’hui. 

En tout cas, il faut avoir à l’esprit que la prise en charge moyenne des complémentaires santé en soins d’urgence et de réanimation est en moyenne de 637 euros par jour (20 % du tarif). Avec 21 jours en moyenne pour les malades du Covid-19 et 7 jours en réanimation, l’enveloppe pourrait être conséquente.

Aujourd’hui, la MGP est dans l’incapacité de mesurer avec précision l’impact du virus sur les forces de sécurité ?

Oui. Nous disposons d’informations sur la médecine de ville, mais les hôpitaux constituent encore à ce jour un angle mort. Et les retards de traitement dans les hôpitaux pourraient ne pas être les seuls en cause : depuis le début de la crise, le volume de courrier entrant est largement en-dessous du volume habituel. Peut-être a-t-il été retenu dans quelques entrepôts de La Poste ? Si c’est le cas, ce stock nous parviendra peut-être dans les semaines qui viennent…

Même constat sur les décès que sur les demandes de remboursement : on observe une baisse de 40 % par rapport aux années passées sur la même période. Selon moi, c’est bien le signe que les chiffres dont nous disposons sont encore largement incomplets. Nous restons donc vigilants. Toutefois, à date, nous savons avec certitude que six agents sont décédés des suites du Covid-19 dans le cadre de leur service.

Le métier des mutuelles ne se limite pas au remboursement des dépenses de santé : elles ont aussi une vocation sociale. Comment cela se manifeste-t-il en temps de crise ?

Dans un premier temps, pour lutter contre les impacts néfastes de la crise sur le mental des agents de sécurité, nous avons rappelé à nos adhérents et à l’ensemble des forces de sécurité que nous proposions une plateforme de soutien psychologique dans le cadre de notre garantie « Réflexe Prévention Santé ».

Ensuite, nous avons décidé, sans attendre la fin des négociations entre le ministère de l’Intérieur et les syndicats, de classer le Covid-19 comme maladie professionnelle et de tripler le capital décès Covid-19 sans augmentation des cotisations de prévoyance. Et nous avons voulu aller plus loin : nous avons voulu protéger les 11 % d’adhérents qui ne disposaient pas de couverture prévoyance en leur offrant une couverture et en triplant, de la même manière, le capital décès Covid-19. 

Enfin, deux Conseils d’Administration ont eu lieu à distance pendant la crise. Les économies réalisées sur les frais de transport et d’hébergement ont été injectées dans un fonds de secours exceptionnel qui pourra servir à soutenir les adhérents en difficulté. Et même si nos élus restent attachés à la rencontre, et que toutes les réunions ne pourront continuer à se tenir à distance dans la durée, cela ouvre indéniablement des pistes de réflexion.

Les crises sont souvent un moment de réinvention. Est-ce que cette crise vous donne de premières idées sur la prévention et l’action sociale de demain ?

Nous avons en effet précipité un projet que nous méditions avant la crise, celui d’inscrire demain la MGP comme la première mutuelle à Mission (comme le prévoit la loi Pacte, ndlr.).

Le Conseil d’Administration estime que la société de demain ne sera plus celle que nous avons connue avant la crise et qu’il est urgent de réaffirmer ce qui se trouve inscrit dans les gènes de la mutuelle : notre vocation sociale, mais aussi une conscience environnementale, qui devront se doubler à l’avenir d’une plus grande réactivité devant les besoins de nos adhérents. À titre d’exemple sur ce dernier point : alors que les mutuelles sont traditionnellement caractérisées par un temps long, lié principalement à leur mode de gouvernance démocratique, pendant la crise la MGP a su prendre parfois dans l’heure les décisions qui s’imposaient. Les élus souhaitent que cela continue.

La crise a-t-elle précipité un retour aux fondements du projet mutualiste des origines ? 

Je crois qu’on peut le dire en effet. Le projet mutualiste remonte à la charte de 1898. En 1898, cette vocation sociale a été inscrite dans nos gènes. En 2011, la loi sur l’Économie sociale et solidaire nous a offert une première opportunité de réaffirmer ce qui, en tant qu’acteur sans but lucratif, nous différenciait d’une entreprise libérale. Et je crois que la loi Pacte nous permet aujourd’hui une fois encore de revenir à ces valeurs, qui sont des valeurs humaines tout simplement.

Justement, les mutuelles et les assurances sont-elles égales face à la crise que nous traversons ?

Aujourd’hui, la réglementation qui s’impose à nous fait de nous des assureurs à but non lucratif. Par conséquent je crois qu’il faut, au lendemain de la crise, se saisir de la loi Pacte pour se différencier. Car malgré les campagnes de communication de notre fédération, le mot « mutuelle » reste galvaudé. Pour la plupart des gens, une mutuelle c’est une complémentaire santé. Ce qui fait de tous les acteurs proposant une complémentaire santé… des mutuelles. Pourtant il y a bien une différence entre un assureur et une mutuelle, mais cette différence a été gommée petit à petit par les assureurs…

Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure : comment comptez-vous vous préparer aux crises comparables qui pourraient survenir dans les décennies à venir ?

En plus de chercher à prolonger et à renforcer la réactivité et la capacité d’adaptation dont nous avons su faire preuve au pic de la crise, nous cherchons aussi à mieux connaître nos adhérents – et c’est pour cela que nous travaillons avec vous sur le baromètre Santé des forces de l’ordre – pour répondre au mieux à leurs besoins et à leurs attentes, et pour mieux les protéger si une crise devait se reproduire. Rembourser une boîte de médicaments ou une radio c’est la base du métier de complémentaire santé. Demain ce qui fera notre différence c’est notre relation à l’autre. Notre capacité à rassurer dans un monde incertain. Notre capacité aussi à faire en sorte que nos adhérents se sentent bien chez nous, tout simplement, et qu’ils n’aient pas envie de nous quitter, sachant qu’ils perdraient quelque chose, ne serait-ce qu’un état d’esprit et cette considération tout à fait spécifique que voulons leur apporter.