DOSSIER
Comment expliquer cette incapacité typiquement française de transformer le travail en emploi, ces résultats aussi mauvais et durables ?…

Hervé Chapron

MEMBRE DU COMITÉ DIRECTEUR DU CRAPS EX DGA DE PÔLE EMPLOI

Quelques brèves… d’histoire 

Une brève histoire de l’Unédic (Union Nationale pour l’Emploi dans l’Industrie et le Commerce)

Rare exemple de création d’une couverture d’un risque social alors que personne ne le perçoit tant chaque Français goûte en 1958, avec volupté, le charme ensorceleur des « Trente Glorieuses » encore balbutiantes !

André Bergeron, père fondateur de l’Assurance-chômage, relate devant l’Institut Supérieur du Travail, les réflexions qui ont mené à la création du régime d’Assurance-chômage: « Après la Seconde Guerre mondiale, l’aide d’un montant forfaitaire très faible que pouvait percevoir le chômeur était subordonnée à des conditions de ressources. Elle relevait de l’assistance. Les fonds communaux qui en avaient la responsabilité n’existaient pas partout. Supportant une partie du coût de leur fonctionnement, les municipalités ne manifestaient aucun empressement pour en créer ! Ainsi, deux catégories de chômeurs, de fait, coexistaient. Ceux qui résidaient dans les communes, nanties d’un fonds public, de l’ordre de 25 000 et ceux qui ne percevaient rien sinon parfois des secours par les bureaux d’aide sociale des mairies. La France du plein emploi compte alors 250 000 chômeurs. »

La France était la lanterne rouge des pays industrialisés en matière de couverture du chômage. Non sans fondement et avec de plus en plus d’insistance, le mouvement syndical revendiquait un système d’aide aux « sans travail ». De leur côté, les dirigeants patronaux en admettaient la nécessité. 

C’est ainsi que, dès 1957, des contacts se sont noués entre le CNPF1 (Conseil National du Patronat Français) et plusieurs confédérations syndicales sous l’égide plus ou moins officielle d’Albert Gazier, ministre du Travail dans le gouvernement de Guy Mollet. 

La période est pour le moins incertaine. Le général de Gaulle, nouveau Président du Conseil, dans son intervention télévisée du 1er août 1958, rassure les protagonistes et ouvre la porte à des négociations entre partenaires sociaux, puisqu’il a été précisé que la gestion du futur système leur serait confiée: « Le paritarisme est la clef de voûte du régime d’Assurance-chômage. En 1958, il s’inscrivait dans l’idée de la participation très chère au général de Gaulle2 ».

En moins de deux mois, d’octobre à fin novembre, le CNPF, la CGT-FO, la CFTC et la CGC ratifient un accord qui sera signé symboliquement le 31 décembre! Le régime d’Assurance-chômage et l’Unédic étaient nés ! dans l’indifférence générale ! La CGT, qui souhaitait que la couverture de ce nouveau risque s’inscrive dans le cadre général de la Sécurité sociale, le signera quelques mois plus tard. 

Le régime d’Assurance-chômage est un système assurantiel, décentralisé et paritaire : 

• D’abord, assurantiel et sur une base déclarative. Seuls les salariés à ce jour, peuvent être éligibles à une indemnisation à durée limitée. Depuis le 1er octobre 2018, c’est par le biais de la CSG que la part salariée des cotisations est financée. Le fait générateur de l’indemnisation est la rupture du contrat de travail qui ne peut être à l’initiative du salarié. 

• Ensuite, décentralisé. « Il y eut une discussion au début pour savoir si le système devait être décentralisé ou non. Moi, j’étais plutôt pour un système centralisé, alors que le Directeur de l’Unédic était d’un avis contraire. Et, je dois dire qu’il m’a convaincu avec l’argument suivant : si on ne donne pas suffisamment de responsabilités aux gens sur le plan régional, ils ne se conduiront pas en responsable… » André Bergeron en mai 1999. « Le système décentralisé a de nombreuses vertus puisqu’il permet à la fois une forte proximité et une prise en compte des spécificités de l’environnement régional. Enfin, il est vecteur de responsabilisation des acteurs régionaux… » Christian Poncelet, ancien Président du Sénat.

Ainsi, le régime d’Assurance-chômage, conçu en 1958, sera jusqu’en 2008, composé d’un ensemble d’institutions décentralisées ayant le statut d’association privée (loi 1901) – les Assédic (Association pour l’Emploi dans l’Industrie et le Commerce) – à compétence géographique limitée, fédérées au plan national par l’Unédic. 

L’Unédic s’assure de la cohérence du fonctionnement de l’ensemble du régime d’Assurance-chômage et coordonne les actions des Assédic. Elle garantit une homogénéité dans la gestion des différentes institutions, veille à l’application uniforme de la règlementation et au besoin l’interprète, et assure enfin la gestion financière en répartissant l’effort financier à l’échelle nationale afin de garantir l’équilibre global du système. 

Au niveau local, plus proche des différents partenaires, les Assédic affilient les employeurs, recouvrent les contributions, inscrivent les demandeurs d’emploi et versent les prestations, conseillent et informent les allocataires. Elles procèdent à toutes les études et recherches dans le domaine de l’emploi et assurent une liaison avec les différents services publics et organismes dont l’activité concerne l’emploi afin de leur apporter leur savoir-faire. 

• Enfin, paritaire. Après la création des régimes complémentaires de retraites, ce fut la deuxième grande réalisation paritaire traduisant la réelle volonté de collaboration des représentants des employeurs et des salariés. Paritaire au niveau national, paritaire au niveau local : 

« Le paritarisme, principe fondateur, garantit l’établissement de règles équilibrées, allant dans le sens de l’intérêt commun des entreprises, de leurs salariés et des demandeurs d’emploi. » écrit Denis Gautier-Sauvagnac3.

Ardent défenseur de la négociation collective, André Bergeron, premier Président de l’Unédic ayant assuré ce mandat pour le collège salarial jusqu’en 1990, déclarait, au moment de son départ, dans le rapport moral du Conseil d’Administration de l’Unédic, « Nous nous sommes toujours réunis sur l’essentiel… je demeure convaincu que nous avons bien fait de nous engager dans la voie du paritarisme. Si c’était à refaire, je le referais. ».

C’est arc-bouté sur ces principes que l’Unédic et son réseau, les Assédic, vont pendant près de cinquante ans faire face à des situations complexes, toujours inédites, que ce soit l’afflux des rapatriés d’Algérie, conséquence des accords d’évian, les premières vagues de licenciements économiques des années 70, puis les délocalisations, conséquences des chocs pétroliers et de la constante augmentation du coût du travail entraînant le déclin de l’industrie, concomitamment à l’apparition de nouvelles formes de travail. Leur objectif sera constant et double : prémunir les salariés contre le risque du chômage tout en privilégiant les démarches qui favorisent le retour à l’emploi. 

L’organisation des structures, les taux de cotisation, le niveau d’indemnisation, seront en permanence adaptés au regard des transformations à la fois durables et souvent brutales des évolutions économiques du pays. Grâce à leur capacité d’anticipation et d’adaptation, préservant l’esprit qui a prévalu lors de leur création, l’Unédic et les Assédic sont devenues au cours de la seconde partie du XXesiècle, des acteurs majeurs en matière de chômage et d’emploi, un formidable amortisseur de crise, un élément incontournable du paysage social français !

Les modalités d’indemnisation des demandeurs d’emploi mises en place par le régime d’Assurance-chômage résultent d’une convention conclue entre les partenaires sociaux. Mise en application, généralement pour une durée de trois ans, elle répond à quatre questions : qui contribue ? qui est indemnisé ? pour quel montant? pour combien de temps ? Depuis une vingtaine d’années, elle reflète beaucoup plus les préoccupations comptables des négociateurs à la recherche d’un hypothétique équilibre financier qu’une conception et une vision globales d’un système d’indemnisation. Les organisations patronales refusant toutes charges nouvelles pour les entreprises, prétextant le maintien impératif de leur compétitivité dans un environnement ouvert, les organisations syndicales voulant toujours plus de garanties pour les salariés, la convention d’Assurance-chômage est le fruit de compromis qui, s’il maintient un système en vie, le rend complexe et quelquefois porteur d’inégalités. 

La liberté de négociation des partenaires sociaux est doublement encadrée par les pouvoirs publics puisque d’une part, par définition dans un pays de droit, la loi détermine la structure du dispositif et d’autre part la convention conclue entre les partenaires sociaux ne peut entrer en vigueur qu’une fois approuvée par le ministère du Travail. En l’absence d’accord ou d’agrément, les mesures d’application sont fixées par décret. Ce fut le cas en novembre 1982, lorsque Pierre Bérégovoy, ministre des Affaires sociales, fixa et les taux de cotisations patronale et salariale et les modalités d’indemnisation. 

A côté du régime général (85 % des allocataires), différents régimes d’affiliation et d’indemnisation coexistent pour mieux « coller » à la réalité de certaines professions aux statuts particuliers. On citera à titre d’exemple, le régime des intermittents du spectacle ou celui des expatriés…

Il est possible de distinguer trois périodes dans l’Histoire de l’Unédic : 

• La première, allant de sa création au premier choc pétrolier, soit de 1958 au début des années 70, celle des « Trente Glorieuses », au cours de laquelle le plein emploi transforme financièrement le régime d’Assurance-chômage en véritable « sicav monétaire ». En effet, mis à part l’épisode des rapatriés d’Algérie pour lesquels l’admission au bénéfice des allocations spéciales sera acquise dès lors qu’ils sont à la recherche d’un emploi dans une branche d’activité relevant du champ d’application de la convention de décembre 1958, rien ne se passe. Des cotisations sont encaissées et la redistribution en allocations chômage est limitée. La France enregistre un taux de croissance en moyenne de 4 à 5 % par an. En 1962, le département de la Meuse compte huit chômeurs ! 

• La deuxième période couvre la période des années 70 aux années 2000. La France s’enfonce dans une crise que personne ne croît durable! Tout va bien dans le meilleur des mondes ! Fort de sa «cagnotte», le régime d’Assurance-chômage peut se permettre d’être généreux. La lecture du Figaro en date du 15 octobre 1974 est à cet égard éloquente : « L’accord paritaire intervenu hier entre le patronat et les syndicats doit être salué comme une très grande date des conquêtes sociales. Les experts s’accordent à penser que la barre pour la France se situe à 1 200 000 chômeurs. Au-delà de ce chiffre, le système ne pourra plus fonctionner » … « Et pourtant, elle tourne » ! Du moins, le système a fonctionné… Et comment! 

C’est à partir de 1980 que le régime d’Assurance-chômage commence à subir des difficultés majeures de nature financière. Le seuil des deux millions de chômeurs a été franchi à l’automne 1981. En un an, les dépenses d’indemnisation sont passées de 33 à 54 milliards de francs. En 1982, les allocataires subissent une première atteinte à leur pouvoir d’achat (cotisation assurance maladie et préretraite) et le déficit (impensable quelques années auparavant !) du régime d’Assurance-chômage s’élève désormais à 20 milliards de francs! Devant l’inexorable montée du chômage, dès 1984, le système assurantiel et celui de la solidarité sont désormais bien séparés, le système assurantiel étant du ressort de l’Unédic, la solidarité celui de l’État. 

Depuis lors, le régime d’Assurance-chômage sera en permanence à la recherche d’un équilibre financier inatteignable sauf lors de périodes très brèves. 1992 marque un tournant à cet égard. Devant le gouffre que représentent les 33 milliards de francs de déficit et la nécessité de recourir à un emprunt obligataire garantit par l’État, un important programme de modernisation est lancé. D’abord tous les comptes des Assédic seront certifiés légalement ainsi que ceux de l’Unédic qui les consolide. Ensuite, tant pour assurer l’uniformisation des procédures que pour les optimiser, la certification qualité structure tous les processus et crédibilise les méthodes de travail. C’est ainsi qu’en 1996 l’inscription des demandeurs d’emploi, confiée originellement à l’ANPE (Agence Nationale Pour l’Emploi), est transférée aux Assédic et qu’en 2001, pour conférer une taille critique à chaque structure, le nombre d’Assédic passe de 52 à 30. 

• La troisième et dernière période est dominée par le débat entre dépenses actives et dépenses passives. Le régime d’Assurance-chômage y prend pleinement sa part. Avec la création du PARE (Plan d’Aide au Retour à l’Emploi) lors de la convention de 2001, il consacre une partie de ses ressources au financement de formations dites conventionnées dont le but est de réduire de 21 jours la période de chômage du demandeur d’emploi. Avec le financement malgré lui des Maisons de l’emploi dont l’échec est patent, avec le financement d’une partie des recrutements de l’ANPE, il perd petit à petit son autonomie en finançant les politiques de l’emploi. La loi Borloo de 2005 pour la cohésion sociale fait entrer le régime d’Assurance-chômage et ses institutions dans le SPE (Service Public de l’Emploi), et le rapprochement opérationnel entre l’ANPE et lui sera fatal à son âme qui se dissoudra dans l’étatisme de Pôle emploi. 

Longtemps, le régime d’Assurance-chômage a cru que, tant qu’il maîtriserait ses ressources, tant qu’il afficherait un taux de recouvrement supérieur à celui des URSSAF (Union de Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocations Familiales), aucun danger ne pouvait l’atteindre… Grave erreur d’appréciation !

La loi n°2008-126 du 13 février 2008 relative à la réforme de l’organisation du SPE a créé une institution nationale publique, fusionnant l’ANPE et le réseau des Assédic, dont le nom « Pôle emploi» a été choisi en octobre 2008. Chargé de l’accompagnement des demandeurs d’emploi dans leur recherche d’emploi, d’appliquer les règles décidées par les partenaires sociaux et de verser l’indemnisation aux privés d’emploi, Pôle emploi devient le pivot de la mise en œuvre des politiques publiques de l’emploi. Les contributions seront recouvrées par les URSSAF !

Aujourd’hui, l’Unédic, avec une centaine de collaborateurs, remplit quatre missions statutaires :

• prescrit à travers les conventions, et garantit la mise en œuvre de ses prescriptions, les décisions des partenaires sociaux ;

• assure la gestion financière et participe au financement de Pôle emploi (deux tiers du budget global de l’opérateur public) ;

• produit des études nécessaires à la prise de décision tant aux partenaires sociaux qu’aux politiques dans le cadre de l’élaboration des politiques de l’emploi ;

• audite et contrôle la mise en œuvre des modalités de l’Assurance-chômage par Pôle emploi. 

Au vrai, l’Unédic a vu, avec la création de Pôle emploi, son rôle réduit à la portion congrue. Le paritarisme «étouffé » par l’affaire dite de l’UIMM (Union des Industries et Métiers de la Métallurgie), est d’autant plus phagocyté que les mêmes siègent et au Conseil d’administration de l’Unédic et au Conseil d’administration de Pôle emploi. Ainsi, les représentants de l’Unédic cautionnent nécessairement la stratégie de Pôle emploi. De facto, ne serait-ce qu’en termes d’image, s’est installée une certaine confusion aux yeux du grand public entre le rôle des uns et des autres. Par ailleurs, le régime d’Assurance-chômage et son gestionnaire l’Unédic, gèrent sous les fourches caudines de Bercy, un déficit annuel de l’ordre de 4 milliards d’euros, en cumulé proche de 35milliards d’euros dont personne ne voit comment dans les années à venir il pourrait être résorbé sauf à ce qu’une croissance forte soit de retour.

Une brève histoire des politiques de l’emploi : 1974-2019

Il est d’usage de considérer que le chômage de masse, qui compte aujourd’hui en France plus de 6millions d’individus, a commencé dès 1974 avec le premier choc pétrolier, concomitamment avec le premier budget voté en déficit. Considéré longtemps comme un phénomène passager, résorbable rapidement après quelques ajustements économiques, les politiques de l’emploi ont d’abord eu comme objectif non pas de réformer structurellement l’économie pour la rendre plus compétitive et donc de rechercher la création d’emplois mais de limiter les conséquences sociales de ce phénomène. 

Ainsi est né le concept de « traitement social du chômage », ce qui a fait dire à nombre d’observateurs que la France avait une « préférence pour le chômage » !

À cette époque, a pris corps le SPE, aujourd’hui composé sous l’autorité du ministère du Travail, de Pôle emploi issu de la fusion Assédic et ANPE en 2009 (accompagnement des demandeurs d’emploi et versement des allocations chômage), de l’Unédic (gestion de l’Assurance-chômage), de l’Afpa (Agence nationale pour la formation professionnelle pour adulte). 

Jusque dans les années 90, les politiques de l’emploi se sont, pour la majeure partie d’entre elles, concentrées sur la mise en place de mesures passives dont le but était d’une part de rendre le chômage supportable à celles et à ceux qui le subissaient et d’autre part d’offrir pour un même volume d’activité un accès à l‘emploi plus ouvert. La plus spectaculaire d’entre elles étant le partage du travail par la réduction du temps de travail (loi Aubry en France avec les 35 heures) à laquelle on ajoutera dans le même esprit les « pré-retraites ». À noter qu’à ce jour seules les « pré-retraites » ont été supprimées mais un demandeur d’emploi de plus de 50 ans dispose toujours de trois ans d’indemnités chômage !

Depuis cette date, sans exclure pour autant les dépenses passives, la France a développé progressivement une politique de dépenses actives significatives visant à obtenir une croissance plus riche en emplois en introduisant une plus grande flexibilité sur le marché du travail. Ainsi, à l’initiative de l’Unédic, en 1991 à travers la mise en place du PARE, le financement sur sa propre trésorerie de formation visant à réduire le temps d’indemnisation des demandeurs d’emploi, ainsi la suppression de l’autorisation administrative de licenciements en 1996 par Philippe Seguin. La récente réforme du Code du travail visant à sécuriser l’entrepreneur en cas de chute d’activité par un assouplissement des procédures et coût de licenciement s’inscrit dans cette perspective. 

Le coût des politiques de l’emploi s’élèvent à plus de 100milliards d’euros par an soit à 5 % du PIB. Elles se décomposent comme suit :

• les dépenses « passives » représentent très majoritairement les dépenses consacrées au soutien des revenus sous forme, principalement, d’allocations chômage pour à elles seules 34,3 milliards d’euros en 2017 auxquels s’ajoutent les 3 milliards d’allocations de solidarité spécifique ; à noter, le déficit préoccupant cumulé de l’Assurance-chômage de près de 35 milliards d’euros ;

• les dépenses « actives » qui sont principalement les mesures de formation professionnelle (35milliards d’euros soit l’équivalent du budget du ministère des Armées); 

• les exonérations de taxes en faveur des entreprises s’élevant à plus de 40 milliards d’euros, pour à la fois leur redonner de la compétitivité et soutenir, voire créer de l’emploi ;

• les budgets de fonctionnement des différents organismes gérant toutes ces mesures, Pôle emploi (à lui seul plus de 5 milliards par an), l’APEC (Association Pour l’Emploi des Cadres), les missions locales, les Maisons de l’emploi…

L’État est le grand ordonnateur des politiques de l’emploi. Il les initie directement en saisissant le législateur ou par décret mais peut également déléguer une mission de service publique pour leur mise en œuvre. Cependant, on constate qu’à Pôle emploi une gouvernance tripartite a, dès 2009, été installée (État, syndicalisme ouvrier, syndicalisme patronal), et que l’Unédic qui gère l’Assurance-chômage est paritaire (syndicats patronaux et ouvriers). Cette articulation du SPE est déclinée à l’identique en région sous l’autorité des Préfets.

Aujourd’hui, suite à l’élection présidentielle et au taux de chômage toujours très élevé, et de 3 points supérieurs à celui de l’Allemagne, une importante réflexion est initiée devant déboucher sur des réformes particulièrement importantes. 

Il convient désormais de rendre l’Emploi à l’Économie, de s’éloigner autant que faire se peut du traitement social qui a prévalu en France depuis près de 40 ans. Après l’ère des « dépenses passives » (1974-1990), l’introduction des dépenses actives (1990-2017), une troisième phase commence à être initiée. La décision du Président de la République de supprimer définitivement dès 2019 et de diviser de moitié pour 2018 le nombre de « contrats aidés » est un signal fort qui va bien évidemment dans ce sens.

Si la France, malgré un taux de chômage de 9 % a su préserver la cohésion de son tissu social et de facto, limiter la précarité – ce qui n’est pas rien ! – que tous les pays européens subissent, il n’en demeure pas moins vrai que deux phénomènes aussi structurants que la persistance d’un chômage élevé et l’apparition des nouvelles technologies, qui irrémédiablement « ubérisent » la société, modifient en profondeur la donne.

Le Gouvernement actuel entend revisiter les concepts et les modalités de mise en place des politiques de l’emploi et ceci en trois étapes qui couvrent le spectre complet d’interventions tant au regard des mesures dites « passives » que celles dites « actives ». Ceci marque une rupture fondamentale avec les politiques précédentes qui toutes ont été plus des ajustements, certes quelquefois importants mais ponctuels sans pour autant modifier la philosophie et la pratique du système.

Après l’annonce de la fin des contrats aidés pour le 1er janvier 2020, le Gouvernement, avec les cinq ordonnances relatives au renforcement du dialogue social prises en septembre 2017, entend libérer les entreprises des contraintes administratives, à répercussions financières, afin de fluidifier leur gouvernance (Comité d’Entreprise, Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) et de faciliter le licenciement qui apparaissait un frein à l’embauche.

La deuxième étape est une réforme profonde de l’Assurance-chômage ayant pour but de l’adapter à l’évolution du monde du travail. « Je veux une France de startup » : un des slogans de campagne du candidat devenu Président doit se concrétiser par l’éligibilité des entrepreneurs créateurs à l’Assurance-chômage, c’est-à-dire, offrir une Protection sociale à ceux qui osent, qui prennent des risques. Rupture avec le passé au cours duquel seuls les salariés étaient protégés. Et, pour répondre aux besoins du marché, à cette fluidité dont il a désormais besoin, tout salarié pourra, à condition d’avoir un projet professionnel crédible, démissionner tous les cinq ans et rester pour autant éligible à l’Assurance-chômage. Par ailleurs, le contrôle des demandeurs d’emploi, sujet tabou qui l’est de moins en moins, doit comme en Allemagne devenir une réalité. Les décrets du 30 décembre 2018 actent cette volonté. 

Enfin, la formation professionnelle, avec 80 000 organismes de formation (contre 8 000 en Allemagne), atomisée à l’extrême, avec seul un chômeur sur dix formé et dont seuls 50 % après formation trouveront un emploi durable et qui assez dramatiquement forme ceux qui en ont le moins besoin, creusant ainsi des inégalités inacceptables, doit être reconfigurée. Avec 6 millions de demandeurs d’emploi, la France subit paradoxalement un besoin de main d’œuvre assez inexplicable aux yeux du grand public mais qui s’explique par les déficiences de notre système. La loi du 5 septembre 2018 pour « la liberté de choisir son avenir professionnel » doit remédier à cette situation.

Ainsi, après la phase « traitement social » et la phase « dépenses actives », l’une n’excluant pas l’autre, c’est une nouvelle phase que la France entame ; celle de considérer qu’au couple emploi/chômage ce n’est pas une thérapie administrative qu’il convient de prescrire mais bien une thérapie économique. D’une guerre de position, la France entre dans une guerre de mouvement dont les effets bénéfiques doivent dans un délai de deux ans se faire sentir aux dires de l’actuel ministre de l’Économie.

Du Munich social au pognon de dingue : de 1993 à 2019

C’est du bout des doigts que les Français choisissent en 1974 ce qu’ils croient être un changement au parfum de modernité. Rares sont ceux qui entrevoient que les « Trente Glorieuses » ne seront pas éternelles. Certes, le baril de pétrole passe de 115 francs à 375 francs ! Mais peu comprennent que ce premier choc pétrolier vient irrévocablement changer le logiciel de l’activité économique d’autant que la France a encore de quoi rêver : la dernière circulation du train commercial à vapeur coïncide – adieu la Lison ! – avec le lancement du programme du nucléaire civil, l’émergence des femmes dans la société se concrétise par la création d’un secrétariat d’État à la condition féminine et l’adoption, non sans peine, de l’autorisation de l’interruption volontaire de grossesse.

Au plan social, la saga « Lip », emblématique de l’Histoire du mouvement ouvrier de la seconde moitié du XXe siècle, débutée dans les années soixante-dix, est en voie d’achèvement. Elle est annonciatrice à la fois de la fin des « Trente Glorieuses », du débordement des syndicats par leur base avec la séquestration de dirigeants, l’occupation d’usines, la tentative de mettre en place et de faire vivre le concept d’autogestion… Petit à petit, les grands combats vont se raréfier pour laisser place à un syndicalisme d’accompagnement.

Les temps changent mais l’illusion est toujours là ! Rien n’y fera, la France entre dans un déni de réalité4 ! 

Pourtant, « la croissance de notre pays n’a pas brutalement chuté depuis un, ou cinq, ou dix ans… Elle s‘affaisse depuis un demi-siècle: 5% dans les années 1960, 4% dans les années 1970, 3% dans les années 1980, 2% dans les années 1990 et… 1% depuis 20005 ! »

Pourtant, « Il va y avoir bientôt 20 ans que la preuve est faite chaque jour que nous ne renouerons jamais avec les modèles anciens. Il faut donc en inventer de nouveaux. ». C’est par cette phrase que Philippe Séguin, alors Président de l’Assemblée nationale terminait un discours devant la fondation du Futur en 1993, discours qui restera dans l’Histoire sociale comme étant celui de la dénonciation du Munich social.

Dès 1993, vingt ans après le premier choc pétrolier, année noire pour l’emploi au cours de laquelle pour la première fois, l’Unédic est contrainte de recourir au marché financier pour financer les allocations chômage, certains, en effet, commencent à tirer la sonnette d’alarme. Ils sont encore rares ceux qui comme Philippe Seguin, comme le journaliste économique Yann de l’Ecotais6 qui, dans son ouvrage «L’urgence: le chômage n’est pas une fatalité», écrivait avec consternation : « La progression du chômage ne paraît guère influencer le discours officiel. À droite comme à gauche, la langue de bois reste d’usage. On attend la reprise, mais même si elle arrive serait-elle réellement porteuse d’espoir dans un proche avenir ? »… 

On connaît désormais la réponse! L’auteur conclut d’une plume coléreuse : « C’est le manque de courage de politique, l’absence de détermination dans la prise de risque qui menacent de coûter à la France son rang international. ». 

1993-2019 : plus d’un quart de siècle s’est écoulé et ces lignes sont toujours actuelles… rien n’a changé à ce jour !

André Bergeron, ancien Secrétaire général de la CGT-FO, père fondateur de l’Unédic écrivait avec ironie : « Le lecteur se souviendra du temps où Valéry Giscard d’Estaing apercevait «le bout du tunnel », où Pierre Mauroy voyait toujours les clignotants passer du rouge au vert et où Yvon Gattaz, Président à l’époque du CNPF de 1981 à 1986, sautait d’une télévision à une autre pour vendre la méthode qui, selon lui devait créer 400 000 emplois et qui, en fait, n’ont jamais vu le jour7. ». 

Si Yvon Gattaz se faisait fort de créer 400 000 emplois, son fils Pierre, Président de la même organisation, de 2013 à 2018, devenue le Medef (Mouvement des entreprises de France), à 35 ans de distance promet lui d’en créer 1 million… Atavisme, promesse… irresponsabilité ! 

Entre temps, de 1981 à aujourd’hui, les demandeurs d’emploi sont trois fois plus nombreux, le chômage des jeunes et des seniors est devenu dramatique tout autant que le chômage de longue durée !!! Là encore, rien n’a changé ! Si, la situation n’a fait que de s’aggraver ! « Le chômage en France a toujours été supérieur à 8 % depuis 25 ans ! … 20 % de la jeunesse est sans emploi depuis 1980. », plus du double pour l’outre-mer. Près de 40 % des chômeurs le sont de longue durée ! 

Ainsi, « tout au long de ces années, gauche et droite nous ont raconté des histoires en cachant la poussière sous le tapis8 ». « Quand l’art de gouverner consiste à reporter les problèmes, à reculer les échéances et à peupler l’avenir de bombes à retardement, il est raisonnable de prévoir des explosions9. » … « Toujours est-il qu’affirmer que les maux français trouveraient leur origine dans une mondialisation sauvage, à travers une Europe ultra libérale laissant se développer voire encourageant le dumping social, vilipendée pour son abolition des frontières, par la création de l’espace Schengen, ne résiste pas à l’analyse, ne serait-ce que par comparaison avec nos voisins soumis aux mêmes conditions que nous. Et d’ailleurs, si puissantes et déstabilisantes soient-elles, ces transformations de l’économie monde ne devraient pas trop nous surprendre. Elles s’inscrivent dans le développement du capitalisme de marché fort bien décrit par les économistes et en particulier deux d’entre eux : Ricardo et Schumpeter… Oui le monde se transforme et nous sommes loin de la vision caricaturale et unilatérale souvent présentée en France d’une mondialisation réduite à la seule concurrence déloyale que les pays en voie de développement feraient peser sur nos entreprises, les conduisant à délocaliser leurs activités, à baisser les salaires, à faire pression sur l’État pour qu’il réduise la Protection sociale.10 ». 

Qui plus est, la France ne manque pas d’atouts. Chacun se plaît à le reconnaître : aéronautique, luxe, travaux publics, télécommunication, grande distribution, infrastructure, tourisme, etc. font de notre pays un vivier non seulement de talents mais un formidable réservoir de capacités à imaginer le futur. Et la France enregistre une démographie favorable. Ce que Pierre Nora exprime à travers une formule lapidaire : « La France se sait un futur, mais elle ne se voit pas d’avenir11 ».

Mais les chiffres sont têtus ! En 2014, « Le chômage se retrouve à peu près à son niveau record de 1993 ? Vingt ans sans progrès12 ! ». Et on avait encore rien vu ! La crise de 2008 a été ravageuse ! Rien que durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy et malgré sa réforme du SPE, qu’il qualifiait lui-même d’emblématique, malgré la création de Pôle emploi, malgré la promesse du plein emploi pour 201213, le chômage a cru de 750 000 demandeurs d’emploi et de 26 % supplémentaires pendant le quinquennat de son successeur qui voulait inverser la courbe !

Comment expliquer cette incapacité typiquement française de transformer le travail en emploi, ces résultats aussi mauvais et durables ?

Dès 1994, Denis Olivennes14 répond à cette question en publiant dans la revue Débat un rapport dont le titre est un véritable électrochoc, « La préférence française pour le chômage» : « Nous avons assumé la crise, depuis le milieu des années soixante-dix, grâce à un consensus social fondé sur le partage des revenus à travers les transferts sociaux plutôt qu’à travers le travail : les hauts niveaux de rémunération (salaires et cotisations) et de productivité des actifs occupés favorisaient la progression du chômage non qualifié; en même temps, ils rendaient cette progression relativement indolore en permettant de financer une Protection sociale étendue qui lui servait d’amortisseur. Le chômage n’était donc pas une fatalité. Pour le dire brutalement, il était et demeure l’effet d’une préférence collective, d’un consensus inavoué… Jusqu’à présent, nous avons privilégié la protection du pouvoir d’achat, au prix d’un chômage persistant. ».

La dénonciation des rigidités du marché du travail, de la sanctuarisation des avantages acquis, du niveau du Smic, des minima sociaux, des carences de la formation, etc. aboutit au constat que les freins à l’emploi revêtent une dimension culturelle que les politiques refusent de combattre considérant que ce combat est politiquement suicidaire… Jugement que Philippe Séguin et « son Munich social » confortent : « Et c’est précisément dans cet ordre inversé des priorités qu’il faut chercher l’explication des échecs successifs des politiques conduites. Et c’est bien à un renversement complet des valeurs et des choix fondamentaux qu’il faut nous atteler de toute urgence. En réalité, et je pèse mes mots, nous vivons depuis trop longtemps un véritable Munich social. Cette comparaison avec Munich s’impose d’autant plus que nous retrouvons sur la question du chômage tous les éléments qui firent conjuguer en 1938 la déroute diplomatique et le déshonneur: aveuglement sur la nature du péril, absence de lucidité et de courage, cécité volontaire sur les conséquences des décisions prises. Et le silence gêné, l’indifférence polie que nous affectons tous aujourd’hui vis-à-vis des générations d’exclus que fabriquent consciencieusement nos sociétés n’est pas d’une autre nature que le « lâche soulagement » des démocraties dans les années 1930, face aux ambitions territoriales du système nazi. ».

La France s’est donc enfoncée dans un traitement social du chômage, contrairement à notre principal partenaire l’Allemagne15

Impuissants devant le phénomène du chômage de masse, encore plus devant son inéluctable et très régulière montée, déversant des milliards chaque année depuis un demi-siècle pour lutter contre un phénomène soi-disant en permanence en cours de résolution, et donc toujours perçu comme non pérenne, analysé systématiquement dans une acception « court terme», donnant bonne conscience aux politiques qui achètent ainsi la paix sociale, la classe politique dans son ensemble, tel un auteur en mal d’inspiration s’est résolue à écrire désormais des anthologies confirmant de facto et définitivement « la préférence française pour le chômage ». 

Faire croire qu’administrer les aides est curatif ! 

En désespoir de cause, pour tenter de satisfaire une population souvent résignée, les politiques multiplient à la fois les fausses thérapies comme les inefficaces contrats aidés et les aides de toutes sortes. Au-delà de l’Assurance-chômage, de l’allocation spécifique de solidarité, la litanie des différents outils constituant le traitement social du chômage est éloquente16 :

1977

Raymond Barre, alors Premier ministre, propose des mesures pour aider l’emploi des jeunes. Pour la première fois, le Premier ministre propose alors une exonération de la part patronale des cotisations de la Sécurité sociale pour tout employeur qui embauche des jeunes de moins de 25 ans. Taux de chômage des jeunes : 9,7 %

1984

Les TUC (Travaux d’Utilité Collective) de Laurent Fabius, contrat aidé pour les jeunes sans emploi ayant entre 16 et 25 ans et leur permettant d’avoir le statut de stagiaire en formation professionnelle. Taux de chômage des jeunes : de 20,7 % contre 8,4% pour l’ensemble de la population.

1989

Le CES (Contrat Emploi Solidarité) de Michel Rocard vient remplacer les TUC. C’est un contrat de deux ans maximum dans le secteur public non lucratif pour lesquels l’État prend en charge l’essentiel de la rémunération du salarié. Une première ! Taux de chômage des jeunes : 15,3 %.

1994

Le CIP (Contrat d’Insertion Professionnelle) d’Édouard Balladur, le « Smic-jeune », est un contrat d’insertion professionnelle à destination des jeunes qualifiés (bac+2) permettant à des entreprises de les payer à hauteur de seulement 80 % du Smic. Finalement, le Premier ministre annonce devant les manifestations, le retrait du CIP et son remplacement par une aide mensuelle de 1 000 francs versée pendant neuf mois aux entreprises qui embaucheront un jeune de moins de 26 ans pour une durée minimale de dix-huit mois. Taux de chômage des jeunes : 22,6 %.

1997

Les « Emplois jeunes » de Lionel Jospin sont issus d’une loi du 16 octobre 1997 relatif au développement d’activités pour l’emploi des jeunes ; Elle prévoit la création de 350 000 emplois pour les moins de 26 ans (notamment 50 000 en 1997, 100 000 en 1998) dans les secteurs public, parapublic et associatif. Leur forme : des contrats de cinq ans, rémunérés sur la base du Smic, financés à 80% par l’État. L’innovation consiste à élargir la base de recrutement aux 26-30 ans. Lionel Jospin est alors Premier ministre et Martine Aubry est sa ministre de l’Emploi et de la Solidarité. Le taux de chômage des jeunes : 22,7 %.

2002

Le CJE (Contrat Jeunes en Entreprise) de Jean-Pierre Raffarin vient suspendre toute création de nouveaux postes d’emplois jeunes, pour favoriser l’embauche des 16-25 ans. Le dispositif dure cinq ans puis est supprimé. Taux de chômage des jeunes : 17%.

2006

Le CPE (Contrat Première Embauche) est une nouvelle formule inventée par Dominique de Villepin pour tous les jeunes de moins de 26 ans qualifiés ou non. Non seulement l’employeur bénéficie de tous les avantages habituels (exonération de charges…), mais il peut aussi, pendant deux ans, licencier le jeune embauché, quand il veut et sans aucun motif. Ce dispositif entraîne une très forte mobilisation étudiante, lycéenne et syndicale. Le 10 avril 2006, un communiqué de l’Élysée annonce le remplacement de l’article 8 de la loi sur « l’égalité des chances » relatif au CPE par un dispositif en faveur de l’insertion des jeunes en difficulté. Taux de chômage des jeunes : 22,2 %.

2008

Des multiples « plans », « mesures d’urgence » et « missions » de Nicolas Sarkozy sont élaborés pour combattre le chômage des jeunes. En 2009, il annonce notamment un « plan d’urgence pour les jeunes » qui parie sur l’apprentissage. Taux de chômage des jeunes : 20,3%.

2012

Les « emplois d’avenir » de François Hollande qui sont alors « la priorité des priorités » du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Lancé officiellement le 1er novembre 2012 par la publication d’un décret au Journal officiel, « l’emploi d’avenir » (100 000 en 2013 puis 50 000 en 2014) est un contrat d’aide à l’insertion destiné aux jeunes de 16 à 25 ans particulièrement éloignés de l’emploi en raison de leur défaut de formation ou de leur origine géographique. Le coût du dispositif s’élève à 1,5 milliard d’euros. Au total, début 2016, c’est plus de 500 000 emplois aidés pour 3,5 milliards d’euros qui contribuent au traitement social du chômage. Pire, lors de la dernière année de son quinquennat, François Hollande opérera un transfert des fonds dédiés à l’apprentissage au profit du financement de contrats aidés ! Taux de chômage des jeunes: 22,7 %.

2019

Dès sa prise de fonction, Emmanuel Macron annonce pour fin 2019 la suppression des contrats aidés puisqu’il suffit de « traverser la rue pour trouver un emploi17 », voulant ainsi rendre l’Emploi à l’Économie. Pour autant, arrivera-t-il à supprimer le traitement social du chômage, concept désormais partie intégrante de l’ADN de la société française, comme le souhaiterait Denis Kessler dont l’objectif consiste à défaire méthodiquement le programme du CNR (et de ses prolongements !) ?

« Le problème de notre pays est qu’il sanctifie ses institutions, qu’il leur donne une vocation éternelle, qu’il les « tabouise » en quelque sorte. Si bien que lorsqu’elles existent, quiconque essaie de les réformer apparaît comme animé d’une intention diabolique. Et nombreux sont ceux qui s’érigent en gardien des temples sacrés, qui en tirent leur légitimité et leur position économique, sociale et politique. Et ceux qui s’attaquent à ces institutions d’après-guerre apparaissent sacrilèges… Désavouer les pères fondateurs n’est pas un problème qu’en psychanalyse18. ».

La Cour des comptes ne dit pas autre chose dans son rapport du 22janvier 2014 mettant en évidence l’inefficacité des politiques en faveur du marché du travail et des 50 milliards d’euros consommés annuellement. La critique de l’existant est sans appel !

Le document s’intéresse notamment aux « instruments de politique de l’emploi parfois obsolètes dont l’efficacité s’est révélée décevante » : c’est presque l’ensemble de la « boîte à outils » qui est remis en question. Une fois de plus !

À commencer par les contrats aidés : « Utilisés en France alors qu’ils ont quasiment disparu dans les autres pays, les contrats aidés, particulièrement ceux du secteur non marchand, n’ont pas permis par ailleurs d’obtenir des résultats satisfaisants en termes d’insertion durable dans l’emploi ». Ils seront définitivement supprimés fin 2019.

La formation professionnelle est également jugée inefficace et coûteuse : il s’agit en effet de «plus de 31 milliards d’euros, dont près de la moitié est consacrée à l’indemnisation des stagiaires pendant la formation. Cet effort a tendance à reproduire, voire amplifier, les inégalités engendrées par le fonctionnement du marché du travail, la formation bénéficiant plus aux salariés déjà les mieux formés. L’effort de formation des demandeurs d’emploi est particulièrement insuffisant19 ». En d’autres termes, la France forme peu, forme « â côté» et forme cher. Et pourtant, l’effort de formation professionnelle des Allemands et des Britanniques est triple. Mais ce chiffre de 31 milliards en impose… il suppose l’action, la pertinence de sa conception et l’efficacité de ses résultats.

Il s’agit pourtant du principal levier des politiques « actives » de l’emploi (outre l’information, le conseil, l’aide à la recherche d’emploi) qui visent à agir avant tout sur l’offre de travail, à travers la formation professionnelle, afin de la rapprocher des niveaux de qualification attendus par les employeurs.

Mais l’État dépense également massivement pour agir sur la demande de travail via les incitations à l’emploi, le financement d’emplois protégés, la création directe d’emplois notamment publics ou encore les aides à la création d’entreprise. Y compris par des exonérations de charges fiscales et sociales. Ce qui bien souvent rend, au demeurant, difficile le discernement entre politique active et action passive.

Enfin, « last but not least », les Sages de la rue Cambon contestent directement le régime d’indemnisation chômage jugé «plus protecteur que dans beaucoup d’autres pays : plus accessible en raison d’une durée minimale de cotisation courte et d’une période de référence assez longue ; son niveau d’indemnisation est plus élevé pour les salariés situés aux deux extrémités de l’échelle des revenus ; il offre une durée maximale d’indemnisation plus longue quoique réservée aux salariés les mieux insérés dans l’emploi ». En outre, dans le système français, les droits ouverts étant globalement proportionnels aux cotisations versées, le taux de remplacement se réduit à mesure que les salaires – et niveaux d’indemnisation – s’élèvent… contrairement à ce qui est observable dans les autres pays européens.

En d’autres termes, pour être provocateur, le système français achète du chômage !

Pour autant, le déficit du régime d’Assurance-chômage est devenu hors de contrôle : 9 milliards en 2010, 17,6 milliards en 2013, 25milliards fin 2015, il pourrait atteindre 35 milliards en 2018, à règles d’indemnisation constantes.

Les politiques dites « passives » de l’emploi, c’est-à-dire ayant pour objectif d’accompagner socialement le chômage en l’indemnisant, n’ont jamais coûté aussi cher. Il a pourtant été largement considéré depuis la fin des « Trente Glorieuses» que les revenus de substitution réduisent les risques d’implosion sociale et de spirale récessionniste associés au chômage de masse. Là aussi, l’injection massive de revenus alternatifs à ceux du travail a longtemps été associée à du volontarisme politique et de la responsabilité sociale.

Pourtant, à ce jour, les principales recommandations majeures de la Cour des comptes (incitations au retour à l’emploi, accroissement des réformes du régime) sont restées ignorées des grands décideurs avant tout soucieux de laisser assumer ce naufrage financier… par les partenaires sociaux.

En réalité, à défaut de politiques à impacts socio-économiques réellement mesurables, la tentation est grande de mettre « le paquet » sur les mesures favorisant la flexibilité du marché du travail, c’est-à-dire de politiques de dérèglementation visant à flexibiliser le travail, mais aussi à en réduire le coût (ce qui a représenté en 2015 environ 2,6 % du PIB en crédits d’impôt et exonérations de cotisations employeurs sur les bas salaires, CICE et pacte de responsabilité).

À défaut de politique économique globale, ancrée dans les dynamiques territoriales, et soutenue par un levier robuste de flexisécurité, il y a donc loin de la coupe aux lèvres en matière de « reprise et de croissance ».

Alors restons sur les valeurs sûres : consommer… c’est encore agir !

Alors… « Vive le pognon de dingue20» !

et ailleurs ?

Emploi & international

Le constat est clair. Il est sans équivoque. Dramatiquement sans équivoque. Quel que soit l’angle à partir duquel on analyse le chômage, la France est le mauvais élève de l’Europe. Un cancre. Àpreuve…

Selon Eurostat, 16,49 millions de personnes étaient au chômage dans l’Union européenne en novembre 2018 (6,7 % de la population active), dont 13,04 millions au sein de la zone euro (7,9 %). Comparé à novembre 2017, le chômage a baissé de 1,489 million de personnes dans l’Union européenne et de 1,135 million dans la zone euro.

En matière d’emploi, les contrastes en Europe sont marqués : une amplitude de 16,7 points sépare les extrêmes. Quand la République tchèque connait un taux de chômage de 1,9%, que l’Allemagne et les Pays-Bas enregistrent respectivement 3,3 % et 3,5 %, celui-ci culmine en Grèce avec 18,6 % en septembre 2018, et en Espagne 14,7 %. La France, elle, se classe en quatrième position des États les plus touchés par le chômage (8,9%) tandis que la moyenne de la zone euro est à 7,9 %.

Sur un an, le taux de chômage a baissé dans tous les États membres, à l’exception de l’Estonie où il stagne à 5,3 % d’octobre 2017 à octobre 2018. Les baisses les plus marquées ont été observées en Grèce (de 20,8% à 18,6 % de septembre 2017 à septembre 2018), en Croatie (de 10% à 7,8%), en Espagne (de 16,5 % à 14,7 %), en Slovaquie (de 7,6 % à 6 %) et au Portugal (de 8,1% à 6,6 %).

En novembre 2018, 15,2 % des jeunes Européens sont sans emploi dans l’Union européenne. Les taux de chômage des moins de 25 ans demeurent élevés.

En novembre 2018, un peu plus de 3,44 millions de jeunes de moins de 25 ans sont au chômage dans l’Union européenne, dont 2,45millions dans la zone euro. Par rapport à novembre 2017, le nombre de jeunes chômeurs a diminué de 189 000 dans l’UE28 et de 90 000 dans la zone euro.

Le taux de chômage des jeunes s’est ainsi établi à 15,2 % dans l’UE28 et à 16,9 % dans la zone euro, contre respectivement 16,1 % et 17,8 % en novembre 2017. Pour l’ensemble de la population active européenne, ce taux atteint 6,7 % dans l’UE28 et 7,9 % en zone euro.

Là encore, les différences entre les États sont très importantes. Les taux les plus faibles en novembre 2018 ont été observés en République tchèque et en Allemagne (respectivement 4,9% et 6,1 %) ainsi qu’aux Pays-Bas (6,9 %), tandis que les plus élevés ont été enregistrés en Grèce (36,6 % en septembre 2018), en Espagne (34,1 %) et en Italie (31,6 %). En France, selon les chiffres du trimestre publiés par l’Insee, le taux de chômage des 15-24 ans s’établit à 20,1 %, son plus bas niveau depuis début 2009. C’est un recul de 2,4 points en un an contre -0,4 point seulement pour le taux de chômage toutes catégories d’âge confondues.

Chaque pays dans le cadre de la lutte contre le chômage a créé des structures qui ou gèrent l’accompagnement des demandeurs d’emploi ou distribuent des salaires de substitution, quelquefois les deux. 

Tour d’horizon…

Suède

Arbetsförmedlingen (Agence suédoise de l’emploi) 

Sous tutelle directe du ministère de l’Emploi et créée le 1er janvier 2008, l’Agence a son siège à Stockholm (Hälsingegatan – Vanadisplan). Elle a succédé à l’Arbetsmarknadsstyrelsen (AMS). Son budget annuel est d’environ 9 milliards de couronnes, soit 900 millions d’euros pour 12500 employés et plus de 300 agences locales. Outre une activité classique d’intermédiation du marché du travail, l’Arbetsförmedlingen est également prescripteur de formation. Elle n’a en revanche pas d’activité d’indemnisation chômage, qui relève de caisses paritaires sectorielles qui assurent 20 % du financement assuranciel, l’État en assumant en complément 80 %. En revanche le versement des allocations chômage est solidarisé de la bonne exécution du projet personnel (« handlingsplan») du demandeur d’emploi défini avec un conseiller rémunéré en partie à la performance, c’est-à-dire au placement. Ce projet personnel très complet précise notamment les objectifs à atteindre, ainsi que les moyens associés (stages, formations, accompagnements spécifiques).

Autriche

Arbeitsmarktservice (AMS)

L’AMS intervient comme opérateur d’intermédiation du marché du travail entre demandeurs d’emploi et entreprises. La création de l’AMS, entreprise de services de droit public, a ainsi été la pierre d’angle de l’installation du nouveau service public de l’emploi autrichien. Le SPE autrichien associe, outre neuf directions régionales dans chaque Bundesland, 101 établissements territoriaux et 67 centres d’information sur l’emploi, également les partenaires sociaux (Chambre de commerce, Chambre fédérale du travail, Fédération syndicale autrichienne et Association de l’industrie autrichienne). Les politiques et « programmes » pour l’emploi mis en œuvre sont définis par région et adaptés aux territoires, impliquant directement l’ensemble des partenaires du SPE, tant en termes d’exécution que de contrôle des opérations. Fin 2015, l’AMS employait environ 5600 collaborateurs pour un budget global de 1,14 milliard d’euros. Outre sa mission d’intermédiation, et d’indemnisation chômage, l’AMS assume également une activité de prescription et de financement de formation. L’Agence gère ainsi environ 50 000 chômeurs en formation chaque fin de mois. Le chiffre est particulièrement significatif. En effet, au 31 décembre 2015, 475435 demandeurs d’emploi étaient recensés, soit un taux de chômage selon les standards du pays de 10,6% affectant particulièrement les non-nationaux et les seniors. 

Danemark

Arbejdsmarkedsstyrelsen (Autorité nationale du Marché de l’emploi) 

L’Autorité Nationale du Marché de l’Emploi est l’un des principaux acteurs pour la mise en place de la politique de l’emploi danoise. Le ministre pour l’Emploi ayant la responsabilité suprême de l’action sur le marché du travail, l’AMS est responsable de l’effort mené par le service public pour l’emploi et par les municipalités. Les principales tâches de l’AMS danoise émanent de la loi sur la politique active du marché du travail et de la loi sur la politique sociale active.

Allemagne

la Bundesagentur für Arbeit (Agence fédérale de l’emploi) 

La Bundesagentur für Arbeit est l’administration fédérale en charge des demandeurs d’emploi en Allemagne, tant en termes d’indemnisation (Assurance-chômage) qu’en termes d’accompagnement (agence pour l’emploi). Son siège administratif se trouve à Nuremberg et elle s’appuie dans chaque Land sur des directions décentralisées. Fondée par la réforme « Hartz III » entrée en vigueur en janvier 2004, la Bundesagentur für Arbeit a réagrégé les précédents instituts fédéraux pour l’emploi (Bundesanstalt für Arbeit), en un dispositif plus autonome tant en termes budgétaires qu’en termes de gestion territoriale. L’agence comptait en 2014, 95 000 collaborateurs (équivalent temps plein) pour un budget d’intervention d’environ 53 milliards d’euros. Actrice de la politique de formation continue, l’agence fédérale pour l’emploi finance chaque année environ 20% du coût global de formation des demandeurs d’emploi (la moitié étant prise en charge par les entreprises, 20 % par les particuliers eux-mêmes et 5 % par des caisses publiques notamment régionales). 

Tchéquie

ÚRad práce CR (Bureau international du travail de la République tchèque) 

Créée le 1er avril 2011, l’Úrad práce est l’autorité administrative nationale des politiques de l’emploi relevant du ministère tchèque de l’Emploi (« Ministerstvo Práce a Sociálních Vecí »). Il se compose d’une direction générale située à Prague et d’établissements régionaux, dont le plus important est celui de Prague. Ce dernier est constitué de 8 bureaux sectoriels. Il coordonne l’activité des 77 bureaux territoriaux de l’emploi et eux-même gérant 167 agences et points de contact locaux, dont certains sont des guichets sociaux. Outre la publication d’offres d’emploi et le paiement d’allocations chômage, ces derniers sont compétents en matière de soutien à la reconversion et à la formation des demandeurs d’emploi. La politique de l’emploi de la République tchèque repose sur des conceptions très libérales du marché du travail, dont les opérateurs sont souvent privés, en particulier en termes d’intermédiation. Cette politique est souvent justifiée par un taux de chômage particulièrement bas. En 2017, il était en effet de 2,9 % (représentant 297 000 demandeurs d’emploi), à égalité avec l’Allemagne, soit le taux le plus favorable de l’Union européenne.

Toutefois, malgré des moyens dévolus au service de l’emploi national plus limités que dans d’autres pays de l’UE (157 millions d’euros affectés aux politiques de l’emploi en 201421), le SPE tchèque a placé en formation 41 438 demandeurs d’emploi et assuré le placement via des contrats aidés de 21 716 demandeurs et de 21 839 autres demandeurs d’emploi dans des emplois publics au titre de l’exercice 2014. 

USA

Bureau of Labor Statistics (BLS)

Le Bureau of Labor Statistics (BLS), dont le siège est à Washington, a été créé en 1984. Il est l’agence de production de données économiques et statistiques du département du travail américain (US Department of Labor). Les statistiques du BLS sont suivies avec attention par les marchés européens et fréquemment rapprochées des données nationales (Pôle emploi, INSEE), européennes (Eurostat) ou internationales (BIT).  Fin novembre 2015, le Bureau of Labor Statistics recensait 7,9 millions de demandeurs d’emploi, soit 5 % de la population active (157 millions de personnes), soit une situation proche du plein emploi. Pourtant, la même agence identifiait 94,4 millions d’Américains de plus de 16 ans qui étaient sans emploi, et ce tous motifs confondus : formation, retirés du marché du travail, sans recherche active, etc. Car en effet, afin de rapprocher les situations de part et d’autre de l’Atlantique, il convient de prendre en compte, non seulement les différences socio-économiques structurelles, mais aussi certains biais comparatifs portant sur : 

– Les « self-employed » (auto-entrepreneurs) dont la moitié a plus de 45 ans. Il s’agit également d’environ la moitié des créations d’emploi chaque année aux états-Unis. Ils représentaient environ 15 millions d’emplois fin 2015 (dont 5 millions de « seniors»), soit au total avec leurs employés plus de 44 millions d’individus, c’est-à-dire près d’un tiers de l’emploi américain. 

– Les « part-time workers » et la composante de temps partiel subi. Fin novembre 2015, près de 28 millions d’Américains étaient employés à temps partiel dont 8,5 millions de temps partiel subi. 

– Les « marginally attached to the labour force » et les « discouraged workers » : les demandeurs d’emploi non recensés. Il s’agit, pour les premiers, d’une part de demandeurs d’emploi qui n’avaient pas effectué d’actes positifs de recherche au sens du BLS, soit 1,7 million d’individus et, pour les seconds, les demandeurs d’emploi non considérés en situation de recherche active, soit 0,6 million d’individus.

Les enjeux de la négociation

L’Assurance-chômage : vache sacrée, vache à lait… et fourches caudines et jeu de dupes !

La négociation entre les partenaires sociaux pour une nouvelle convention d’Assurance-chômage a d’abord piétiné. Prenant acte de cette léthargie, le Président de la République, dans le cadre du débat national, a réitéré sa volonté de voir se mettre en place aussi rapidement que possible un bonus-malus au regard de la prolifération des contrats courts.

Reçue comme une provocation par les délégations patronales, celles-ci ont suspendu leur participation à cette négociation… pour revenir à la table des négociations 48heures après…

Il n’avait fallu que trois séances de diagnostic, un groupe paritaire politique et seulement huit réunions pour que le « dur » ou la « vraie » négociation Assurance-chômage soit abordée aux dires des participants… 

Certes, l’enjeu était capital. Au-delà des modalités d’indemnisation des demandeurs d’emploi, au-delà de l’épineuse question du coût donc du financement des contrats courts, c’est un système que l’on présente comme agonisant, étouffé par son propre endettement, qui devait impérativement se régénérer. 

Qui, cette fois-ci, a la mémoire courte ? Qui pourrait oublier que ce système aujourd’hui accablé de tous les maux, a toujours su relever les défis économiques jusqu’à effacer la frontière entre dépenses passives et dépenses actives dans un souci d’efficience?

Certes, le défi était tout autre. Il ne s’agissait plus de rechercher un énième ajustement pour une réforme cosmétique mais de repenser, c’est-à-dire de penser autrement les bases d’une indispensable refondation. à cet égard, il n’y avait guère de surprise. Au cours de sa campagne électorale, le candidat Macron a été clair. Déficit, éligibilité des indépendants, prise en compte des démissionnaires, incitation à reprendre rapidement le travail, contrôle des chômeurs, voilà les pistes incontournables… Il entend appliquer son programme.

Certes, mais n’oublions pas…

Formidable amortisseur social des « Trente piteuses », pièce maîtresse du Service Public de l’Emploi, pivot du traitement social du chômage, l’Assurance-chômage est confrontée au nouveau monde qui feint d’en reconnaître son Histoire…

Au risque de transgresser le politiquement correct, l’Assurance-chômage vache sacrée des « Trente piteuses » a pour autant et peut être pour cette raison-là été une vache à lait…

Elle n’a cessé d’être pillée, ses fonds détournés de leur véritable objet.

D’abord par le patronat, chantre en toute circonstance de l’effet d’aubaine ! 

Très tôt, dès les années 80, sensibilisés au chômage des seniors, les partenaires sociaux ont conçu des systèmes d’indemnisation spécifiques s’appliquant au plus de 50 ans. À ce jour, ils bénéficient toujours de 36 mois d’indemnisation leur permettant autant que faire se peut pour la plupart d’entre eux de passer naturellement du « statut de chômeur » à celui de « retraité », d’autant que l’Assurance-chômage paye en lieu et place les cotisations retraite22 dues par les indemnisés. Et pendant deux décennies, la dispense de recherche d’emploi, supprimée désormais – mesure sans aucune signification opérationnelle pour autant – a facilité cette transition en douceur. 

Exceptionnel système mis en place pour atténuer les ravages de politiques industrielles désastreuses justifiées par « l’état du monde », sous-tendues par la foi, à la fois naïve et coupable, en un possible développement économique sans industrie, en une société de services et de loisirs ! Délocalisations, vente de fleurons nationaux et pire encore… Mais aussi, de facto, opportunité à n’en pas douter, de renouveler à peu de frais les cadres de l’Entreprise. Licencier les plus âgés, sécurisés par ce système avantageux pour des yeux extérieurs, embaucher si nécessaire à leur place des plus jeunes, plus dynamiques, mieux formés et moins rémunérés…

C’est ainsi qu’une couverture sociale, légitimement conçue pour les salariés les plus âgés, cumulant nombre d’handicaps au regard des exigences du marché du travail, a permis au patronat de restructurer à bas prix sa pyramide des âges et ceci malgré un droit social soi-disant protecteur ! 

Dans le même esprit, la multiplication des embauches en CDD, justifiée par la volatilité des marchés, les contraintes de la demande, la saisonnalité des commandes, à ce jour à hauteur de 75 % des embauches tous contrats confondus et son corollaire, le renouvellement rapide des contrats courts, c’est-à-dire la structuration de la flexibilité23 « sauvage » de l’emploi détériore les finances de l’Unédic : les cotisations sociales prélevées sur un CDD ne couvrent pas – loin s’en faut ! – les montants versés au titre de l’indemnisation une fois que le salarié précaire se retrouve au chômage… Morceau de choix de l’actuelle négociation !

Ensuite, par les pouvoirs publics par un tour de passe-passe spectaculaire !

Faisant financer certaines de leurs politiques par l’Assurance-chômage. Il en est ainsi de la politique culturelle sanctuarisée à travers le concept d’exception… culturelle. Il en est ainsi du régime des intermittents du spectacle, régime particulier qui répond certes à l’intermittence de l’activité dans le spectacle vivant mais dérogatoire du régime général de l’Assurance-chômage et à la fois constitutif et conséquence de l’exception culturelle française. Inspiré par l’ancien statut des dockers, il a été conçu par le Front populaire pour permettre de proposer des prix de vente de spectacle abordables dans le but d’une diversité et d’une décentralisation culturelle et incorporé par la suite au sein du régime d’assurance sous l’appellation annexes 8 et 10.

Jusqu’en 2003, il était possible de travailler trois mois par an et d’être indemnisé le reste du temps et pendant plusieurs années ! Ce n’était plus une assurance mais un statut ! Et toutes les entreprises publiques ou privées du spectacle bénéficiaient d’un bon moyen pour éviter de recruter des effectifs permanents en utilisant une main d’œuvre temporaire mais régulière et financée par l’Assurance-chômage. N’évoquons pas ici les fortunes constituées en peu de temps par les animateurs producteurs… Quand bien même la réforme de 2003 et les aménagements de la convention de 2014 ont permis d’éviter le renouvellement automatique annuel, de limiter les effectifs à leur niveau de 2002 et de figer le déficit au milliard d’euros, il n’en demeure pas moins vrai que ce régime particulier, conçu pour 100 00024 personnes, affichant un déficit d’un milliard d’euros soit financé par les seuls salariés et employeurs du secteur privé via l’Assurance-chômage. Professions libérales et indépendantes, fonctionnaires ou parlementaires ne cotisent en rien au système qui leur permet pourtant de bénéficier de spectacles vivants !

Enfin par le Service Public de l’Emploi lui-même en ayant créé l’outil miracle ! avec la loi de février 2008 portant réforme du Service Public de l’Emploi et création de Pôle emploi. Au-delà de tous constats et de toutes critiques, Pôle emploi, l’opérateur central à défaut d’être l’unique du Service Public de l’Emploi représente un désengagement financier de l’état. En effet, aux 100% de financement de l’ex-ANPE par l’état, celui-ci ne subvient désormais qu’à un peu plus de 28 % du budget de fonctionnement du nouvel opérateur, laissant à l’Unédic le soin de financer ce même budget à hauteur de 63 %, étant entendu que cette contribution est au moins égale à 10 % des contributions encaissées annuellement au titre de l’Assurance-chômage ! Ainsi, pour l’exercice 2015, l’Assurance-chômage a financé à hauteur de 3,2 milliards d’euros le budget de fonctionnement de Pôle emploi… et accusé pour le même exercice un déficit de 4 milliards d’euros !

Enfin par le biais de conventions internationales pour l’élaboration desquelles les partenaires sociaux ne sont pas légitimement invités, les transfrontaliers cotisent dans le pays dans lequel ils sont actifs et l’Unédic les indemnise en cas de perte d’emploi pour 750 millions d’euros annuels !!! 

Ainsi, l’exercice à laquelle se sont livrés les partenaires sociaux avait-il encore un sens ? Sans aucun doute tant au regard des textes, de leur mission et de leur responsabilité. Pour autant, est-il déraisonnable de penser qu’on a assisté à un remake des « Bourgeois de Calais»…

De tout temps, les conventions de l’Assurance-chômage ont dû être validées par le ministère du Travail pour leur mise en oeuvre. Dans ces conditions, la responsabilité de la situation actuelle n’est-elle imputable qu’aux seuls partenaires sociaux ? Dans le même esprit qui peut croire qu’un beau matin, les pouvoirs publics ont découvert un déficit alors qu’un contrôleur financier émanant de la super structure de Bercy siège en tant que membre de droit au Conseil d’Administration de l’organisme, que les comptes de l’Unédic sont certifiés depuis 1992 et que l’État accepte de garantir les emprunts finançant la dette depuis l’origine, soit 1993 !

Alors que la situation se compliquait, que les positions autour de la table se figeaient, l’État devenait plus pressant… Il a fait connaître par écrit ce sur quoi la négociation devait porter et ce vers quoi elle devait aboutir. À cet égard, la Ministre en charge du dossier n’a pas hésité à dire et à redire la détermination du gouvernement. À la question des journalistes de Challenges le 17 janvier dernier : « Sur l’Assurance-chômage, êtes-vous prêt à lancer une réforme radicale des règles d’indemnisation, si la négociation entre les partenaires sociaux échoue ? » sa réponse est sans appel : « Oui car c’est une prérogative de l’État. Notre objectif est clair : favoriser la reprise d’un emploi durable. Actuellement, la règle du cumul emploi-chômage n’incite pas à la reprise d’un travail. En effet, une personne qui travaille à mi-temps au Smic perçoit un salaire de 740 euros par mois. Mais si elle alterne 15 jours de chômage et 15 jours de travail dans un mois, elle percevra un revenu de 960 euros. Ce n’est pas normal. On ne doit pas gagner plus en étant au chômage qu’en travaillant. Il faudra expliquer aux Français pourquoi il faut changer ces règles qui enferment dans la précarité. ».

En réalité, si l’enjeu de la négociation était bien une refondation de l’Assurance-chômage, il portait sans aucun doute également sur l’avenir du paritarisme. À ce jour, l’Unédic gère depuis plus de 60ans, l’Assurance-chômage à travers un paritarisme non dénaturé. à ce titre, elle fait figure de rescapée. Le nouveau monde, centralisateur et technocratique, a volontairement ou non, opportunément ou non, tendu aux partenaires sociaux ce qui ressemble fort à un piège… Vous avez dit fourches caudines, Bourgeois de Calais… L’Histoire ne serait-elle qu’un éternel recommencement ?

Certes, le patronat, toutes tendances confondues, ne peut accepter l’idée même de la mise en place d’un bonus-malus concernant les contrats courts, qui sera une nouvelle usine à gaz. Mais en refusant d’entrer dans le jeu gouvernemental, d’accepter de se mettre la corde autour du cou, non seulement le patronat se lançait dans un bras de fer avec le Gouvernement, ce qui n’est en rien choquant – c’est souvent le propre d’une négociation – mais bien plus encore puisque cette opération lui donne l’occasion de mettre fin définitivement au paritarisme… 

De fourches caudines, la scène prenait alors des allures de jeu de dupes… Élu avec le soutien de la Fédération des assurances, la nouvelle équipe dirigeante du Medef, qui a mené sa première négociation nationale, ne peut ignorer que l’homme fort de cette fédération n’est autre que Denis Kessler, celui-là même qui veut « détricoter » le programme du CNR fondé précisément sur une gouvernance animée par les représentants des bénéficiaires… En d’autres termes, le gouvernement aura « nationalisé » l’Assurance-chômage ce qui est conforme à sa pensée jacobine et le patronat mis fin à ce qui restait à ses yeux une anomalie – le paritarisme -, portée à bout de bras depuis de nombreuses années par l’UIMM et dont il ne voulait plus… La défaite de son candidat aux dernières élections du Medef et la victoire du candidat soutenu par la Fédération des assurances explique sans aucun doute l’attitude du patronat. Finalement, chacun aura obtenu assez facilement ce qu’il n’osait espérer !

Désormais donc et toute chose égale par ailleurs, la seule question qui se pose est de savoir qui aux yeux de l’opinion et de l’Histoire portera la responsabilité de la rupture avec 60 ans d’Histoire sociale.

SOURCES

1 Ancêtre du Medef.

2 Christian Poncelet, ancien Président du Sénat, en mai 1999 à l’auteur de ces lignes.

3 À l’occasion des 40 ans du régime d’Assurance-chômage. Président de l’Unédic.

4 Cf. Petite histoire illustrée des apprentis sorciers ou le mensonge ne serait-il pas un monopole d’État ? p.23

5 Bernard Attali, Si nous voulions, Flammarion/Café Voltaire. 2014.

6 Yann de l’Ecotais, L’urgence : le chômage n’est pas une fatalité, Grasset, 1993.

7 André Bergeron, C’est ainsi, Esope, 1998.

8 Bernard Attali, Si nous voulions, Flammarion/Café Voltaire, 2014.

9 François de Closets, Le compte à rebours, Ed. Fayard, 1998.

10 Pascal Lamy, Quand la France s’éveillera, Odile Jacob, 2014.

11 Pierre Nora, Recherches de la France, Gallimard, 2013.

12 Philippe Plassard, Nouvel Economiste, 30 mai 2014.

13 Laurent Wauquiez, Secrétaire d’État à l’emploi, 17 juin 2008.

14 Normalien, agrégé de l’Université, énarque, conseiller ministériel, chef d’entreprise.

15 Cf. Zoom sur l’Allemagne. p.40

16 Clara Beaudoux pour le site de France Info en dresse la liste (8 novembre 2012).

17 Emmanuel Macron lors d’un déplacement le 18 septembre 2018.

18 Denis Kessler dans la revue Challenges le 4 octobre 2007.

19 Formation Professionnelle : du marché à l’individu, CRAPS.

20 Emmanuel Macron, 12 juin 2018.

21 Source : National Reforme Programme of the Czech Republic – 4/2014 report.

22 De l’ordre de 3 milliards par an.

23 Il y aurait 10 000 CDD chez Renault !

24 Il y avait 9 060 allocataires en 1984, 41 038 en 1991, 106 000 en 2013, 117 000 en 2016.