La crise sanitaire actuelle nous aura au moins appris que l’unité de lieu n’est pas strictement nécessaire à la tenue des différentes réunions et instances

Baptiste Gaudelus

Infirmier en pratique avancée Santé Mentale et Psychiatrie au Pôle Centre Rive Gauche au CHS Le Vinatier

Le rétablissement des usagers comme concept organisateur de la psychiatrie

Le regard porté sur le devenir des personnes présentant des troubles psychiatriques sévères a considérablement changé ces 20 dernières années.

Ce changement, amorcé dès les années 70, n’a pas été induit par les soignants, tant s’en faut. L’idée d’un rétablissement possible de la schizophrénie a été d’abord défendue par les usagers, le plus souvent en opposition au système de santé psychiatrique.
Le rétablissement peut se définir comme un parcours personnel qui permet à la personne de mener une vie satisfaisante, pleine et entière au regard de ses propres critères en étant libre de symptômes invalidants. Le rétablissement se distingue donc du concept médical de guérison ou de rémission, dans la mesure où il est axé sur des critères relevant du bien-être et de la qualité de vie, et non de réduction ou d’absence de symptômes.

Dans les années 1980, la réhabilitation psychosociale, modèle d’intervention né outre-Atlantique dans le contexte de la désinstitutionalisation, est venue soutenir l’idée d’un rétablissement possible des usagers. Ce mouvement, resté très discret en France jusqu’au début du XXIe  siècle, a pris un essor important, accompagnant notamment le développement de nouvelles pratiques issues des neurosciences.
La réhabilitation psychosociale part du principe que tous les usagers peuvent acquérir des compétences pour améliorer leur autonomie et leur qualité de vie subjective. Elle intègre l’ensemble des interventions de soins ayant fait la preuve empirique de leur efficacité pour favoriser le rétablissement personnel en plaçant la priorité des interventions sur l’amélioration de la qualité de vie subjective des usagers et des capacités de fonctionnement psychosocial.

Cependant, cette transformation du regard sur l’évolution au long cours des personnes présentant une maladie psychiatrique n’est pas totalement accomplie et nombre de soignants restent largement marqués par l’idée d’une incurabilité et d’une évolution chronique et délétère des troubles. L’organisation de l’institution psychiatrique elle-même a été conçue sur ce principe, et nous proposons ici notre réflexion sur son évolution possible.

En termes d’organisation et de structure, il paraîtrait intéressant de conserver le découpage territorial en secteurs et pôles pour garder la proximité, la facilité d’accès aux structures de soins ambulatoires, et le partenariat étroit entre les différentes structures qu’apporte l’organisation du secteur.

En revanche, cette organisation ne devrait plus être «  pilotée  » depuis un centre hospitalier, a fortiori spécialisé. En effet, le passé asilaire de la plupart des hôpitaux psychiatriques peut constituer un frein important pour l’accès aux soins dans la mesure où ils restent fortement stigmatisés. Du point de vue des soignants, le fait que la structure centrale de l’organisation des soins demeure l’hôpital psychiatrique continue insidieusement d’en faire un lieu central dans le parcours de soins, alors qu’il ne devrait plus être aujourd’hui que le lieu de traitement de la crise.

Pour autant, la structure organisationnelle actuellement représentée par les directions, les instances décisionnaires et de représentations des personnels des hôpitaux psychiatriques d’un département devrait être maintenue afin de garantir une cohérence et une équité dans l’offre de soins. La crise sanitaire actuelle nous aura au moins appris que l’unité de lieu n’est pas strictement nécessaire à la tenue des différentes réunions et instances.

Au sein de ces instances, la place accordée aux représentants des usagers devrait être largement renforcée afin qu’ils puissent se prononcer et peser sur la définition d’une offre de soins correspondant à leurs besoins et leurs attentes, et participer aux organes de contrôle des institutions.

Ainsi, les services d’hospitalisation et les services administratifs et de direction de chaque pôle géographique gagneraient à être localisés au sein des hôpitaux généraux du territoire, facilitant ainsi l’accès aux soins de la population, le travail de liaison entre soins généraux et soins psychiatriques et la déstigmatisation de la psychiatrie. Au sein des unités d’hospitalisation, une logique de non-recours à la contrainte devrait primer, avec, pour les situations où une contrainte sera restée nécessaire, la prise en compte rapide et systématique du trauma lié à l’exercice de cette pratique. La proposition systématique de rédaction de directives anticipées quant aux interventions et traitements que l’usager accepte ou refuse en cas d’hospitalisation, rédigées à distance de la crise, devrait permettre de limiter la fréquence de la nécessité de contraindre les usagers aux soins. De même, la présence d’ex-usagers devenus pairs-aidants professionnels au sein des équipes de soins constituerait une plus-value en termes de qualité des soins et une garantie quant à leur orientation vers le rétablissement.

En termes d’offre de soins, l’une des limites de l’organisation actuelle du secteur est de ne pas pouvoir proposer à tous une offre diversifiée en termes d’approches. En effet, chaque secteur est marqué par une culture qui lui est propre, ce qui constitue certes une richesse, mais ce qui détermine aussi des axes de prises en charge, non en fonction de l’usager et de sa problématique, mais en fonction de la localisation de son habitation.

Il serait donc important de garantir une offre de soins diversifiée et accessible parmi les différents modèles thérapeutiques ayant fait la démonstration de leur utilité et de leur efficacité dans l’accompagnement des personnes en souffrance, permettant aux usagers d’exercer un réel choix concernant les méthodes et les soignants qui leur conviennent. Quelle que soit la méthode thérapeutique proposée, le projet de soins de l’usager devrait être individualisé et tourné vers les objectifs et les attentes qui lui sont propres, en lui accordant le même « droit au risque » d’échouer ou de réussir dans ses projets que tout autre citoyen.
En parallèle des structures de proximité de première ligne, il paraîtrait important de bénéficier de structures transversales spécialisées dont le rôle sera de proposer les interventions spécifiques qui ne peuvent être présentes sur l’ensemble des secteurs parce que trop onéreuses ou nécessitant des compétences très spécifiques, et d’assister les équipes de première ligne dans le choix des thérapeutiques pour les usagers qui ne répondent pas aux traitements habituels. Ces structures, en lien étroit avec les services universitaires et les associations d’usagers, devraient aussi participer à l’élaboration et l’évaluation de pratiques innovantes en psychiatrie.

Enfin, le recours à la psychiatrie publique devrait être pensé comme une étape dans le parcours de soins et de santé des usagers, avec, dès le début des soins, la perspective d’un relais vers la médecine de ville (générale et/ou spécialisée) une fois les objectifs de soins de l’usager atteints, avec la possibilité d’un recours rapide aux équipes spécialisées en cas de nécessité. Dans cette perspective, le développement actuel des infirmières de pratique avancée en santé mentale (IPA) constituerait un atout important en termes d’offre de suivi pour les personnes présentant des formes chroniques de maladies psychiatriques ; toutefois, cette possibilité est actuellement limitée par l’impossibilité, dans le champ de la psychiatrie, d’un partenariat entre le médecin traitant et l’IPA (l’IPA ne peut suivre un usager que sur orientation d’un psychiatre) contrairement à ce qui est proposé pour l’ensemble des autres maladies chroniques.

L’ensemble de ces propositions poursuit un objectif central de déstigmatisation de la psychiatrie, au sein de la population générale, mais aussi de la population soignante. Cette «  réhabilitation  » de la place de citoyens des personnes vivant avec des maladies psychiatriques engendrerait aussi une amélioration de l’efficacité des soins et une diminution du handicap associé aux troubles en permettant des interventions plus précoces. Afin d’avancer dans cette direction, un travail important reste aussi à mener sur la formation des soignants en général et des soignants en psychiatrie, avec, là aussi, une large place faite à la transmission directe du vécu de leur expérience et de leur savoir par les usagers.