L’impact sur la santé mentale des étudiants est préoccupant

François Flottes

Infirmier UPRM au Pôle SMAUP au CHS Le Vinatier

La crise sanitaire liée à la Covid-19 interroge et met à l’épreuve des notions essentielles du soin en psychiatrie. La rencontre à l’autre est limitée, la reconnaissance des émotions d’autrui est rendue difficile par le port du masque, les sentiments d’anxiété et de morosité sont aujourd’hui généralisés et les restrictions de liberté partagées. Cette situation inédite a peut-être permis de rapprocher la population générale des patients en psychiatrie : peu de personnes sont assurées de ne pas franchir leur seuil de vulnérabilité, de ne pas « basculer » de l’autre côté. Une nouvelle prise en compte de la santé mentale des populations est aujourd’hui d’actualité. Là où la rencontre est devenue limitée, voire prohibée, les sentiments se rejoignent et se partagent : la peur d’être contaminé, la réduction des projections et un éventuel sentiment coercitif face aux restrictions des libertés individuelles.

L’offre de soins en psychiatrie s’est déjà largement adaptée à la crise sanitaire avec le déploiement des téléconsultations, l’émergence de dispositifs d’orientation en ligne ou à distance, l’anticipation des situations de crises afin d’éviter le recours à l’hospitalisation à temps complet. Deux grands principes du soin en psychiatrie sont d’autant plus sollicités : la prévention primaire (ou secondaire) et la réhabilitation, réinsertion dans la cité des patients atteints de troubles psychiques sévères.

Depuis les urgences psychiatriques, où j’exerce en tant qu’infirmier depuis deux ans et demi, nous constatons de nombreuses nouvelles demandes de consultations depuis le mois de mars 2020. Des personnes qui méconnaissaient totalement les hôpitaux psychiatriques auparavant sont amenées à franchir leur seuil de vulnérabilité en raison des bouleversements engendrés par la crise sanitaire sur nos modes de vie et nos défenses psychiques. L’entrée dans les soins est parfois difficile, a fortiori si elle doit s’effectuer en intra-hospitalier où la cohabitation avec des patients plus « chronicisés » est souvent source d’anxiété. La prévention en amont de la crise pourrait parfois éviter d’en arriver à ce stade. L’impact sur la santé mentale des étudiants est préoccupant. Un déploiement plus massif de professionnels de santé formés et sensibilisés à la prévention des troubles psychiques sur les établissements scolaires, dès le secondaire et jusqu’à l’université, me semble primordial à ce jour. Afin de parvenir à un dispositif efficace, il s’agirait de pouvoir former davantage les personnels, notamment paramédicaux, aux enjeux de santé publique auxquels nous sommes confrontés. L’encouragement à la démarche de recherche en soins infirmiers, la valorisation des domaines d’expertise via l’expérience du terrain doivent être mis en avant. Une impulsion en ce sens tend à se répandre dans les hôpitaux psychiatriques de France. L’accès à la formation continue, l’arrivée d’infirmiers de pratiques avancées ou de recherche clinique ou encore les « cases managers  », autant de possibilités de rencontrer plus efficacement les patients et de maintenir le contact ainsi que l’accès aux soins.

Le modèle des soins par secteur, censé favoriser l’accès aux soins psychiatriques à proximité de son lieu d’habitation et une meilleure insertion dans la cité, tend à être reconfiguré afin de répondre au mieux aux besoins de la population. Parmi les axes proposés, l’accent est mis sur la mobilité des équipes de soins et la coopération avec le réseau de santé en ville, la participation des usagers aux décisions et l’anticipation de la survenue des situations de crise amenant à des hospitalisations et la réinsertion dans la cité. La professionnalisation de la pair-aidance permet, elle aussi, de « communautariser » le soin et de pouvoir déstigmatiser les personnes atteintes de troubles psychiques. Elles aussi détiennent un savoir précieux, à condition de pouvoir le transmettre à d’autres en étant accompagnées par des professionnels de santé. Le fonctionnement pyramidal du système hospitalier traditionnel tend à s’estomper. Les savoirs et connaissances sont partagés, l’autonomisation via la formation et la professionnalisation doivent être encore plus encouragées afin de permettre une mobilité. Car c’est sans doute ce qui fait encore douter beaucoup de professionnels : la possibilité qu’a un patient de pouvoir sortir de l’hôpital, de déambuler dans un couloir, d’être hors-cadre puis hors des murs. Mais également la possibilité offerte aux équipes de pouvoir prendre soin à l’extérieur, de se faire confiance et de capitaliser sur les ressources des patients.

Malgré tous les efforts déjà consentis pour réhabiliter les patients à pouvoir s’insérer dans la cité, la maladie chronique conserve sa part d’incertitude et de potentielle rechute. Lorsqu’elles ne sont pas anticipées, ces situations amènent les accompagnants, les familles mais aussi les soignants à des positions inconfortables. Les urgences psychiatriques révèlent toute la dramaturgie de la maladie mentale, sans filtre et dans un condensé de situations diverses. Les états de crises aiguës existeront toujours. Mais comment pouvoir les traiter convenablement ? Certaines villes françaises ont déjà pris le parti d’intégrer des professionnels de la santé mentale dans les équipes du Samu, d’autres ont pu créer leur propre « Samu psy » afin de pouvoir répondre rapidement aux situations qui le nécessitent. Lorsque la capacité du patient à reconnaître ses troubles est altérée, les proches, famille ou voisinage se retrouvent dans l’obligation de faire appel aux forces de l’ordre, secours mobile, SOS Médecins pour prévenir d’un danger imminent. Ces professionnels volontaires mais peu formés font de leur mieux pour (re)accompagner le patient à l’hôpital ou parfois simplement pour garantir une consultation par un médecin spécialisé en psychiatrie. Ils sont parfois amenés à « contraindre  » le patient physiquement, afin qu’il puisse bénéficier d’une consultation physique aux urgences. Le plus large déploiement d’équipes mobiles spécialisées permettrait d’éviter cette contrainte éthique pour les soignants et souvent délétère pour le patient. Pourquoi ne pas imaginer l’émergence d’équipes de liaison mobile de ville, sollicitables 24 h/24 pour des avis spécialisés avec des outils permettant d’orienter le patient en fonction de l’évaluation clinique.

Dans tous les cas, l’offre de soin psychiatrique doit rester accueillante et ouverte à la parole des patients et encourager le dialogue entre professionnels. La « vague » psychiatrique en lien avec la crise sanitaire et ses retentissements commence à déferler et est amenée à perdurer dans le temps. L’absence de professionnel de la santé mentale dans la composition du conseil scientifique chargé d’orienter les décisions gouvernementales liées à la crise sanitaire a de quoi interroger. Encore plus aujourd’hui, les enjeux de santé mentale nous concernent tous. La tendance actuelle visant à favoriser le soin hors des murs de l’hôpital, au plus près des patients et de leur environnement grâce à la mobilité des équipes doit être plus que jamais encouragée.