psychiatrie les idées des acteurs
C’est bien la téléconsultation stricto sensu qu’il faut promouvoir dans les services avec ce que cela nécessite de formation, d’équipement informatique et de notions d’éthique

Dr Victor Souffir

Psychiatre, Ancien médecin-directeur de l’Hôpital de jour de l’ASM 13, Membre de la Société Psychanalytique de Paris et Président de Psyway

Le numérique dans l’accompagnement thérapeutique

La main forcée par l’épidémie Covid, les psychiatres et de nombreux services de psychiatrie ont fait un pas décisif vers les nouvelles technologies. Conscients de la nécessité absolue de ne pas laisser les patients dans l’isolement voire la déréliction, ils ont osé introduire dans leur vie professionnelle ce dont ils se servent couramment dans leur vie personnelle. Un tabou est peut-être tombé… Il était temps. Ce progrès de la civilisation qu’a été la psychiatrie humaniste, basée sur la relation interpersonnelle et l’approche empathique de la conflictualité psychique, semblait ériger des barrières infranchissables entre la pratique psychiatrique et le monde environnant déjà transformé par le numérique.

La téléconsultation n’est pas utilisée dans toutes ses possibilités dans les services de psychiatrie. Certes, la téléconsultation a commencé à s’installer mais c’est surtout l’usage du téléphone qui a permis le maintien du contact avec les patients. Or, il était très clair dans l’esprit et la lettre de l’arrêté du 1er août 2018, autorisant la télémédecine et son remboursement, que l’établissement du contact visuel est essentiel. En aucun cas, la téléconsultation ne pouvait être réduite à une conversation téléphonique. De fait, il est essentiel de voir le visage du patient : c’est un élément de sécurité mais aussi une source d’informations cliniques absolument considérables, surtout en psychiatrie : (expression du visage qui renseigne sur l’humeur, soin corporel et physique, établissement d’une relation visuelle qui renforce le lien, capacités pragmatiques du moment, ponctualité, regard possible sur l’environnement du malade…). Donc, c’est bien la téléconsultation stricto sensu qu’il faut promouvoir dans les services avec ce que cela nécessite de formation, d’équipement informatique (encore faible dans nombre de CMP) et de notions d’éthique.

Un autre aspect de cette loi, c’est la création de la notion de téléexpertise. Les médecins généralistes, en cabinet et en Ehpad, la réclament aux psychiatres. Ils souhaitent pouvoir coopérer avec les spécialistes dans l’évaluation de la situation des patients qu’ils suivent en ville. Au lieu de chercher à « joindre quelqu’un au CMP ou à l’hôpital », ils souhaitent des rendez-vous précis avec le médecin responsable de leurs patients, lorsqu’il y en a un, ou avec un autre intervenant. Mais aussi avec la possibilité d’échange sécurisé de documents cliniques. Il est probable qu’un certain nombre de rechutes et de réhospitalisations pourrait être évité, si nous avions une liaison facile et organisée avec les médecins généralistes. Ceci nécessite une volonté, une organisation, une infrastructure, une prise de conscience par les services de soins de l’importance du lien avec la médecine de ville.

Autre aspect : avec les séjours hospitaliers trop courts, des sorties parfois prématurées, la mise en place d’un système de téléconsultations instauré, dès avant la sortie de l’hôpital avec un interlocuteur soignant stable, pourrait faciliter considérablement la transition et la sécurité de la sortie, qui est un moment particulièrement risqué. Une infirmière expérimentée peut aider beaucoup un patient et sa famille à affronter la nouvelle vie qui doit reprendre, dans de nouvelles coordonnées matérielles, familiales et psychiques à la sortie de l’hôpital. Là aussi, la prévention des rechutes et des réhospitalisations ferait un progrès. Le télésoin, autorisé pour les professions paramédicales, pourrait constituer un autre développement intéressant. Signalons le remarquable dispositif de veille post-hospitalière des suicidants développé par VigilanS qui utilise des rappels par SMS. Plusieurs applis sont à l’étude, dont celle du Centre hospitalier Sainte-Marie au Puy-en-Velay adaptée aux états schizophréniques et labellisées par l’ARS).

L’accompagnement dans la prise de conscience des troubles

Plusieurs équipes de qualité ont mis au point des applications gratuites pour smartphone, dont nos patients sont largement équipés comme 75 % des Français. Leur utilisation est un premier pas dans la prise de conscience souvent difficile de certains troubles : anxiété, dépression, insomnie, mais également pensées étranges, troubles du comportement alimentaire, idées suicidaires, addictions. Elles permettent au sujet d’objectiver sans recours à un spécialiste, un vécu qui le trouble, de mesurer ses différences d’état d’un jour à l’autre, ou ses consommations sur un mode d’autant plus acceptable qu’elles ne sont nourries que par ses apports personnels. Citons :

• Mon suivi psy (Dr Lya Pedron – Centre Barthélémy Durand – ARS Île-de-France) ;
• Stopblues (Pr Karine Chevreul – Inserm) pour la dépression ;
• Mon Coach Sommeil (Réseau Morphée) pour l’insomnie ;
• Stop-alcool et Stop-cannabis (Hôpitaux universitaires de Genève) ou Blue Buddy – (Centre TCA de l’hôpital Sainte-Anne – Paris) pour les troubles des conduites alimentaires.

Certaines proposent un premier moyen thérapeutique auto-administré, sans médicament : exercices respiratoires, méditation, relaxation, mise en condition pour le sommeil, etc. Très souvent, ces applications mettent à disposition des informations sur le trouble, indiquent des possibilités de contact, des conseils d’orientation.

Car il est clair pour tout le monde que la phase suivante sera une consultation et un suivi par un(e) praticien (ne) ou une équipe. L’utilisation de ces applis pourrait être potentialisée par l’organisation de visioconférences réunissant des personnes concernées par le trouble avec toutes les possibilités d’échange, de réassurance, de reconnaissance mutuelle que permet le groupe, d’apports réciproques. Sans concurrencer des modules d’éducation thérapeutique, il peut s’agir d’un premier pas, économe en moyens pour les équipes et dont l’efficacité doit être évaluée.

Ici, encore, revient le leitmotiv de l’équipement, de la formation, de l’adhésion des soignants qui ne pourra être que progressive, à ce genre d’actions. On peut penser qu’ils y trouveront de nouvelles motivations pour un travail de prévention, en amont de l’éclosion des troubles graves et de leurs conséquences catastrophiques. Dans cette perspective, des objets connectés pourront aussi être utilisés.

Le numérique a ses dangers qu’il faut repérer et combattre. Cela ne doit pas nous empêcher de voir ce qu’il peut y avoir d’utile dans les pratiques issues du numérique tout en les encadrant, ce qui est déjà le cas en France. Mais, avant d’en avoir peur et de les fuir, il faut les décrire, en parler, échanger sans préjugés et ne pas considérer la technologie comme obligatoirement déshumanisante.

C’est pour accompagner la prise de conscience par les professionnels, les usagers et leurs aidants de ce gisement important de possibilités que nous avons créé en 2017 le site Psyway.fr, site totalement indépendant de tout intérêt commercial.