Interview

Portrait de Jean-Marc Ayoubi, Gynécologue Obstétricien, Chef du service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction à l’Hôpital Foch
Nous avons réalisé à l’hôpital Foch la première greffe utérine à partir d’une donneuse qui était la mère de la patiente greffée. Cette intervention principalement réalisée par chirurgie robotique a duré plus de 19 heures

Pr Jean-Marc Ayoubi
Gynécologue Obstétricien, Chef du service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction à l’Hôpital Foch

Vous êtes pionnier sur la greffe de l’utérus en France. Pouvez-vous nous raconter cette prouesse médicale ?

Pr Jean-Marc Ayoubi : Nous avons réalisé à l’hôpital Foch la première greffe utérine à partir d’une donneuse qui était la mère de la patiente greffée. Cette intervention, principalement réalisée par chirurgie robotique, a duré plus de 19 heures. La patiente a ensuite été suivie avec un traitement immunodépresseur et le transfert d’embryon a été réalisé un an après la greffe afin de s’assurer qu’il n’y ait pas de rejet de l’utérus greffé. Cette dernière a finalement donné naissance, après huit mois de grossesse, à un bébé en parfaite santé. C’est un très beau projet, parce qu’il a abouti mais aussi parce qu’il a débuté il y a une quinzaine d’années avec une équipe d’une vingtaine de personnes autour de moi à Foch. Il est le fruit d’un long travail. L’équipe a travaillé sans relâche le week-end, le soir, et tout cela en plus de leur travail quotidien. C’est aussi un bel exemple de cohésion pour dynamiser la recherche, de collaboration multidisciplinaire entre l’université, l’hôpital, la fondation, et de collaborations internationales très fructueuses. Nous savions que des équipes travaillaient déjà sur la greffe utérine, nous avons donc décidé d’oeuvrer avec l’équipe suédoise pionnière en la matière. Toute une dynamique de recherche s’est alors installée et c’est le plus important car même si la greffe utérine ne va pas plus loin, nous avons plus de cinq thématiques de recherche autour de la greffe qui ont été initiées et qui ont donné des résultats que ce soit avec l’INRA, au niveau de l’implantation ou encore de l’amélioration des résultats de fécondation in vitro des grossesses.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

JM.A. : La partie la plus complexe était liée aux démarches administratives, médico-légales et juridiques. La greffe utérine concerne la reproduction et recouvre plusieurs dimensions : psychologique, médicale, chirurgicale, biologique mais aussi éthique et juridique. Comme nous étions dans un processus novateur, il a bien sûr fallu s’adresser à toutes les instances, que ce soit l’Académie de médecine, le Comité national d’éthique, l’Agence de biomédecine… et à la fin à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé pour l’autorisation. À partir du moment où nous avons initié les démarches administratives jusqu’à ce que nous obtenions l’autorisation de réaliser un projet à l’essai thérapeutique chirurgical pour réaliser la greffe utérine à partir de donneurs ou donneuses vivants, nous avons mis pratiquement neuf ans. Pendant ce temps, nous avons continué notre expertise en chirurgie robotique, notre collaboration au niveau international avec nos équipes partenaires et nous avons débuté la greffe utérine sur le plan animal, chez la brebis. Lorsque nous avons enfin obtenu l’autorisation, nous avons dû sélectionner des patientes, avec le moins de risques possibles pour espérer un succès et répondant à certains critères car on ne greffe pas simplement pour réaliser une prouesse chirurgicale. Il faut un projet de grossesse, un conjoint, une fonction reproductive normale… sinon la greffe n’a pas de sens.

Quelle est la place de l’innovation et ses apports dans le processus de greffe?

JM.A. : L’hôpital Foch a une longue histoire en matière de greffe et de transplantation. Notre service de chirurgie gynécologique est le premier à utiliser la chirurgie robotique et nous disposons de l’expertise la plus importante en France sur la chirurgie robotique appliquée à la gynécologie. Cette chirurgie tend à devenir la technique de référence et va générer des progrès dans la reproduction humaine mais aussi dans d’autres domaines. Elle va dynamiser la recherche sur différentes thématiques autour et améliorer la technique chirurgicale en la rendant plus simple et accessible. Finalement, ce projet au-delà de la prouesse médicale a permis plusieurs avancées scientifiques significatives dans les domaines de la transplantation, de la reproduction, de la perfusion des organes prélevés et dans le domaine de l’implantation sur la partie immunologique et infectieuse. Ce projet de recherche de greffe utérine s’est concrétisé, mais il n’est pas terminé. Nous avons l’autorisation de réaliser 10 greffes. Il faut donc continuer à mener cette recherche et à sélectionner les patientes. Le défi est de réussir les prochaines greffes utérines en développant, en simplifiant et en perfectionnant la technique que nous avons développée à Foch avec l’équipe suédoise.

Pourra-t-on encore opérer à l’avenir sans robot ?

JM.A. : L’utilisation du robot est une bonne chose. Son bras permet en effet des interventions très précises, des gestes moins invasifs et une meilleure visibilité du champ opératoire grâce à la vision en 3D. Il faut toutefois être en mesure d’utiliser la chirurgie « classique » en cas de problème. Il est à cet égard important de pouvoir enseigner aux internes la chirurgie robotique mais aussi classique puisqu’ils en ont besoin si une intervention manuelle est nécessaire. Il est, par ailleurs, aujourd’hui prouvé que la chirurgie robotique est plus facile que les autres. Pour l’apprentissage de la technique, il faut seulement 20 procédures pour 100 en coelioscopie. Le risque que la chirurgie classique soit délaissée au profit de la robotique est bien réel. Il faudra donc avoir une réflexion sur la façon de sécuriser au mieux cette technique. Cependant, il ne faut jamais avoir peur de l’innovation, il faut l’accompagner et l’adapter.