Interview

Portrait de ÉLISABETH HUMBERT-BOTTIN, Directrice générale du Groupement d’Intérêt Public pour la Modernisation des Déclarations Sociales
Il y a un enjeu majeur de bonne compréhension par tous du sens des données utilisées et des ressources prises en compte »

ÉLISABETH HUMBERT-BOTTIN
Directrice générale du Groupement d’Intérêt Public pour la Modernisation des Déclarations Sociales (GIP-MDS)

En quoi, selon vous, l’usage des données sociales est une des clefs pour la modernisation des prestations soumises à condition de ressources ?

Tout d’abord, je constate qu’il y a une confusion qui s’installe lorsque l’on parle de « prestation », entre la couche assurantielle historique (Laroque) de la Sécurité sociale (la retraite, la maladie, le chômage qui sont des risques « inhérents » au fait de travailler) et le système d’aides pour lutter contre la pauvreté qui mélangent désormais le minima servi par la Sécurité sociale et le minima décent pour vivre (comme le RSA, inspiré d’une approche universaliste, plus beveridgienne). Ces minima viennent normalement en « complément » des revenus du travail et de la première couche assurantielle de la protection sociale. Si l’on raisonne bien, les données sociales peuvent ainsi en effet être un outil pour éclairer la manière de traiter les situations difficiles et de précarité, pour les cas où un complément à la partie couverte par le travail et la composante assurantielle de la protection sociale est nécessaire.

Pour définir et tendre vers une « juste prestation », il faudrait donc au préalable que les notions d’« assurantiel » et d’« aides » soient toutes deux clairement distinguées et définies ?

Oui, il est important de clarifier ces deux notions pour construire un système d’ensemble cohérent. Une piste pourrait être, grâce à l’usage des données, de repérer les personnes qui, lorsque l’on cumule les éléments issus du revenu du travail direct ou du revenu indirect (les prestations sociales générées par le travail – les IJ par exemple), n’atteindraient pas un seuil suffisant pour vivre (seuil à définir par le politique). Il est ensuite nécessaire de situer les modalités pour contacter ces personnes et examiner avec elles si d’autres revenus existent ou une aide en complément pour atteindre le seuil qui les ferait sortir de cette situation de précarité. Cette approche permettrait de construire un fonctionnement d’ensemble clarifié au niveau des systèmes en gestion et plus lisible pour les usagers.

Comment, justement, prendre en compte les données sociales pour identifier les besoins en aides et les attribuer au mieux ?

Il faut définir une utilisation qui respecte les caractéristiques des données sources. Premier exemple : respecter le fait qu’un salaire est annuel, bien qu’il soit transmis mensuellement, et doit être examiné sur une période de 12 mois glissants. Ce n’est pas incompatible avec le caractère contemporain de la donnée, attendu aujourd’hui pour les prestations délivrées via le Dispositif de gestion des ressources mensuelles (DRM) à l’échelle du dernier trimestre : on peut être dans l’actualité en considérant que l’on examine les données sur 12 mois glissants. Cela permettrait de stabiliser le montant des aides et de favoriser une meilleure visibilité pour les bénéficiaires, sachant que cela n’empêche pas que les situations d’urgence (quand par exemple rien n’a été perçu sur les 2 derniers mois) donnent lieu à un traitement spécifique pour ne pas laisser les personnes démunies au motif que les 10 mois précédents étaient confortables.

L’extension du périmètre des prestations dont la délivrance est modernisée entraîne de nouvelles demandes en termes de collecte de données. Jusqu’où est-il raisonnable d’aller ?

Attention, le niveau de collecte doit être posé par l’acte et le système source qui génèrent la donnée : le système de paie doit générer les données utiles à la paie ; les systèmes opérant le paiement des prestations, celles utiles au paiement des prestations, et c’est tout. Je recommande que l’on s’inspire plutôt du système belge : le message déclaratif y évolue très peu, sauf en cas de réforme importante. Il convient de rester extrêmement vigilant sur ce point : pour que les réformes de délivrance des prestations fonctionnent, il ne faut pas déformer l’objet premier qui est l’objet de collecte à la source. Il ne faut pas considérer que l’on peut enrichir à l’infini un flux considéré comme « technique » : la DSN n’est pas un flux technique, c’est un sous-produit de la paie.

Quels sont, selon vous, les critères de réussite de ce vaste chantier de modernisation des prestations ?

Il y a un enjeu majeur de bonne compréhension par tous du sens des données utilisées et des ressources prises en compte. À ce jour, la façon dont le système est construit ne permet pas aux bénéficiaires de bien comprendre. Il faut garantir une compréhension de la donnée source servant au calcul jusqu’à la prestation versée, partagée par les bénéficiaires et également les gestionnaires. L’ajout de la mention du « net social » sur le bulletin de salaire, par exemple, n’est pas un élément suffisant, d’une part parce que la notion n’est pas utile en paie à ce jour et d’autre part parce que sa définition n’est pas à ce jour clairement posée. Il y a un vrai enjeu à ce qu’un bon fonctionnement sur ce point soit installé au plus tôt, sans quoi on prendra le risque de demander des éléments aux employeurs qu’ils ne comprendront pas, avec des gestionnaires qui ne pourront pas tracer la base du calcul et ne pourront pas l’expliquer, et des assurés qui ne comprendront pas l’origine de leur droit. Cela passe par un travail de montée en compétences des acteurs de la sphère sociale sur la compréhension du sens des données utilisées et également par des actions de pédagogie vis-à-vis des usagers. Un autre facteur de réussite majeur porte sur la trajectoire de simplification : pour atteindre l’étage de simplification réglementaire nécessaire au bon fonctionnement d’ensemble, il faudra dépasser l’approche de la réglementation qui est située aujourd’hui prestation par prestation, en mélangeant parfois les deux dimensions du minima (minima dans le calcul des prestations de Sécurité sociale et minima de lutte contre la précarité) et s’inscrire dans des analyses réglementaires décloisonnées, posant clairement la complémentarité entre les deux étages, avec assise du premier (Sécurité sociale) sur le brut puisque lié au travail de la personne et du second sur le net (lutte contre la précarité) puisque venant compléter les revenus perçus vers un niveau décent.