Tribune

Portrait de Lamine GHARBI, Président la Fédération de l'Hospitalisation Privée
« Il est fondamental de raviver la relation de confiance qui a pris forme dans la lutte contre le virus, et de donner de la substance à cette « nouvelle méthode » que le Président de la République appelle de ses vœux. »

Lamine GHARBI
Président la Fédération de l’Hospitalisation Privée

Désireux d’une présidence davantage participative, le Président de la République a annoncé une « Conférence des parties prenantes en santé », qui s’inscrirait dans le cadre plus général d’un Conseil National de la Refondation. Cette Conférence a vocation à être, dans le domaine de la santé, la matérialisation de sa volonté d’une « nouvelle méthode », destinée à « redonner à celles et ceux qui font au quotidien, la possibilité d’adapter les solutions aux réalités de terrain ». Il reviendra donc à la nouvelle ministre de la Santé et de la Prévention de faire émerger une véritable concertation et un dialogue nourri avec et entre les différents acteurs de santé, les patients et les élus. Brigitte Bourguignon aura ainsi l’opportunité unique d’impulser une profonde transformation du système de santé. Mais avant de s’y lancer, il est essentiel pour elle de tirer tous les enseignements des dernières expériences en la matière.

En premier lieu, il convient de dire que les constats sur notre système santé, ses atouts comme ses maux, sont largement partagés par les acteurs de santé, les élus et les citoyens-patients. La convergence des différentes plateformes politiques sur les principaux sujets évoqués pendant la dernière campagne présidentielle en atteste, ainsi que les conclusions plutôt homogènes d’une multitude de rapports. Aussi, nous savons déjà ce que la Conférence des parties prenantes ne doit surtout pas être : un énième état des lieux. L’heure est à l’action, sans omettre de prendre en compte les enseignements de la crise sanitaire.

Dans les priorités identifiées par la FHP, un certain nombre d’entre elles relèvent directement du pouvoir de décision du gouvernement telles que la réforme du financement, l’enjeu de la régionalisation et la conduite des réformes. Sur de tels sujets, l’État est légitime à prendre des décisions qui relèvent davantage de modalités de travail et des règles à discuter dans le cadre d’une concertation avec les fédérations et les syndicats, que de choix politiques. Cette concertation doit être fondée sur des principes de transparence et de confiance.

Mais la Conférence des parties prenantes porte une ambition de nature différente : celle d’une véritable démarche de « santé participative », qui pose les choix et les valeurs pour bâtir ensemble les priorités de santé pour le pays. En cela, elle ne doit être la reproduction ni du plan « Ma santé 2022 », ni du Ségur de la Santé. Ma Santé 2022 a été construit sur un train de mesures descendantes et cloisonnées, annoncées sans véritable priorisation des enjeux et pilotées en silo. Quant au Ségur de la Santé, il a au départ suscité de l’espoir et de l’enthousiasme, marqué par une extraordinaire mobilisation des acteurs de santé dans la démarche. Mais s’il est juste de dire que des moyens importants ont été donnés pour revaloriser les professionnels de santé, l’absence de réflexion véritablement prospective et systémique, avec peu de propositions reprises et une négociation majoritairement centrée sur l’hôpital public, a in fine généré beaucoup de désillusion au sein du monde de la santé. Une occasion partiellement ratée donc, qui fait dire au Sénat dans le rapport de la Commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et du système de santé de mars dernier que le Ségur aura été « un palliatif conséquent et tardif qui aura généré déceptions et frustrations ».

A contrario, l’architecture de la Conférence des parties prenantes doit permettre de considérer la voix et le rôle de chacun des acteurs de la santé et du soin dans la communauté, et de définir des priorités de santé claires pour le pays, en nombre limité, dans un cadre de valeurs partagées. Il faudra pour cela s’attacher à recréer du collectif, à fédérer, et à bâtir ensemble les fondamentaux de la transformation grâce à cette démarche.

La crise du Covid-19 a du reste posé les bases utiles pour réussir une telle démarche : elle a prouvé l’engagement sans pareil du monde de la santé et la formidable résilience de l’ensemble de ses acteurs pour répondre à l’urgence de la situation puis se mobiliser dans la durée. L’action commune au niveau territorial (coopérations exemplaires entre les secteurs public et privé sous l’égide des ARS, coopérations entre sanitaire, médico-social et ville…), au niveau national et au niveau européen (achats groupés de vaccins) a montré son efficacité et a su pallier les fragilités de notre système de santé. Toutes les leçons de cette crise sanitaire en termes d’organisation et de gouvernance, de ressources humaines, de décloisonnement de l’offre et de fluidité des parcours des patients, de souveraineté et de transformation, doivent être tirées.

La Conférence des parties prenantes doit œuvrer à dégager un consensus d’action et de valeurs sur trois grandes priorités de santé que sont : l’accès aux soins pour tous, la prévention et la santé publique dans une optique transversale « One Health », et l’organisation des parties prenantes sur les territoires pour un parcours du patient totalement fluide et simplifié. C’est d’ailleurs ce que plaide le rapport du Sénat de mars, qui souligne la nécessité de « fluidifier le système de soins et assurer un juste recours à l’hôpital », de « donner plus de cohérence au parcours de patient » et de « repenser l’organisation du système de santé sur le territoire ».

Pour y parvenir, cela suppose « de faire confiance et redonner confiance aux acteurs », et c’est sans doute là que réside le plus grand défi posé à cette Conférence des parties prenantes qui doit être fondée sur « une présomption de confiance ». D’abord en affirmant la primauté de la bonne réalisation des missions au service des patients sur les corporatismes et les statuts ; ensuite en donnant aux acteurs de santé et de soin des marges de manœuvre et un cadre agile pour s’organiser et coopérer sur le terrain, dans le respect mutuel, l’équité de traitement, et bien sûr à égalité de droits comme de responsabilités ; enfin, en reconnaissant l’empreinte territoriale et la contribution des offreurs de soin comme des industries de santé au développement économique et à la cohésion sociale des territoires.

Nous avons en France la chance d’un modèle qui fait coexister public, privé associatif et privé, médecine salariée et médecine libérale. À présent, il ne s’agit plus seulement de « coexister », mais de travailler ensemble au service du patient et de la santé publique. C’est un véritable choix politique, attendu et plébiscité par les Françaises et les Français, et ce sera le marqueur de la réussite de la Conférence des parties prenantes. Tout autre raisonnement serait à rebours des défis de santé de demain. Un exemple parmi beaucoup d’autres : aujourd’hui, le manque de professionnels de santé est tellement important que les opposer pour des prétendues raisons de « concurrence » n’a aucun sens. Il faut d’abord les rassembler et les reconnaitre à égalité : les nécessaires ajustements sur les organisations n’en seront ensuite que plus aisés.

Les femmes et les hommes engagés pour la santé et le soin sont comme tous les citoyens : ils ont besoin de vision, de concertation, de considération et de sens. Il est donc fondamental de raviver la relation de confiance qui a pris forme dans la lutte contre le virus, et de donner de la substance à cette « nouvelle méthode » que le Président de la République appelle de ses vœux. La Conférence des parties prenantes, comme tout exercice participatif, est un processus exigeant, qui ne peut se permettre de décevoir : les défis sont trop importants, et les attentes trop impérieuses. Lors du Ségur de la Santé, les mesures prises pour le public ont été déclinées pour le privé. À présent, il faut travailler pour tous et avec tous : c’est cela, l’essence même d’une « nouvelle méthode » qui associe pleinement, comme son nom l’indique, toutes les parties prenantes, les acteurs de santé et du médico-social, les élus, et bien sûr les patients eux-mêmes.

Il ne s’agit pas ni de faire une énième grand-messe qui égrènera les constats et juxtaposera les prises de positions corporatistes des acteurs ; ni de monter des ateliers en tuyaux d’orgue, au détriment d’une vision transversale de la santé. La Conférence des parties prenantes doit adopter une méthodologie nouvelle qui fasse émerger par l’intelligence collective des priorités de santé innovantes et ambitieuses sur un socle de valeurs partagées qui unit tous les acteurs de santé et de soin, en amenant à se délester des postures et des convictions préconçues. Il faut donc prendre le temps de la préparer avec soin, pour lui donner les meilleures chances de réussite.

Je ne doute pas que la ministre de la Santé et de la Prévention saura associer tous les acteurs à cette démarche et elle pourra compter sur l’hospitalisation privée !

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Synthèse : Cette Conférence des parties prenantes devra, grâce à une méthode de concertation innovante, poser en préambule le socle de valeurs qui unit tous les acteurs de santé et de soin, pour ensuite dégager grâce à l’intelligence collective, un nombre limité de priorités de santé ambitieuses qui embarque la mobilisation de la société pour le prochain quinquennat, autour de trois enjeux fondamentaux : accès aux soins pour tous, prévention et santé publique, et organisation au service du parcours sur les territoires.

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