Tribune

Tout système efficace, par exemple de santé, suppose de hiérarchiser des priorités d’actions et de laisser les acteurs locaux les mettre en œuvre

Par Christian Anastasy
Ancien Directeur Général de l’ANAP, ancien de l’IGAS et Président de Persan Conseil

Tout système efficace, par exemple de santé, suppose de hiérarchiser des priorités d’actions et de laisser les acteurs locaux les mettre en œuvre avec les marges de manœuvre nécessaires pour conjuguer le nécessaire passage à l’échelle et la prise en compte des singularités de chacun. Des ajustements sont apportés ensuite en fonction des retours d’expérience dans un but d’amélioration constante.

L’actuel système de santé, diamétralement opposé, ressemble quant à lui à s’y méprendre à cette galère où le magister s’évertuerait à contrôler grâce à des tableaux de bord méticuleux, la gestion cadentielle des battements de rames des galériens, tout en leur demandant de redoubler d’efforts, sans jamais pour autant leur indiquer la direction à prendre !

L’objet de la présente opinion qui se veut contributive pour les réflexions du CRAPS, est de mettre en perspective cinq améliorations nécessaires pour transformer le système de santé :

1. Développer une culture d’anticipation,
2. Valoriser les industries,
3. Prouver l’efficacité des moyens dépensés,
4. Décentraliser la gestion des investissements,
5. Promouvoir une stratégie de communication.

Principe 1 : Tout système de santé par nature fortement évolutif doit s’appuyer sur une culture d’anticipation

En à peine quelques décennies, il est permis de constater l’accroissement conséquent des effectifs de l’administration sanitaire avec la création récente de nombreuses agences ou services et une centralisation renforcée.

Mais l’appareil étatique reste essentiellement orienté vers la gestion administrative des soins aigus alors qu’il est confronté à l’émergence des pathologies chroniques. La prévention et l’éducation thérapeutique sont également absentes de ses préoccupations bien que la consommation de tabac et d’alcool soient parmi les plus élevées du continent européen.

À l’exception des efforts méritoires d’organismes très faiblement dotés en moyens comme la Drees ou le HCAAM, l’administration sanitaire manque d’une culture d’anticipation contrairement au ministère de la Défense qui dispose de la Direction générale des relations internationales et stratégiques dédiée à la prévision et à l’anticipation des crises et dotée de ressources conséquentes. Comment être éclairant pour l’avenir quand on ne s’est pas soi-même doté des moyens d’être éclairé ?

On aimerait un État stratège qui investisse dans le secteur de l’anticipation en santé des moyens conséquents !

Principe 2 : Tout système de santé dépend de l’économie et de l’industrie de son pays

Nonobstant le dogme du « quoi qu’il en coûte », chacun perçoit clairement que pour financer un système de santé efficace il convient d’avoir une économie robuste et, réciproquement, pour promouvoir une économie nationale solide les travailleurs doivent être en bonne santé et bénéficier de conditions de travail sécurisées !

Chacun perçoit aussi que le maintien d’un tissu minimum de compétences industrielles, même à un niveau échantillonnaire est nécessaire. Bien que notre pays reste innovant avec par exemple une balance commerciale du secteur des dispositifs médicaux globalement excédentaire, la pénurie d’équipements et matériels paraît d’autant plus intolérable.

En matière de défense, une politique de commande publique ciblée a permis le maintien d’une industrie d’armement au 4e niveau mondial. Il ne peut y avoir d’innovations sans industriels innovants reconnus et soutenus.

On aimerait que le pays des Droits de l’Homme soit aussi efficient dans le secteur des industries de santé et qu’une politique pertinente d’achats publics maintiennent des entreprises nationales dans le pays !

Principe 3 : Tout euro investi dans la santé doit être efficace

Sauf à considérer que les moyens publics sont illimités, le choix en faveur des dépenses de santé résulte toujours d’arbitrages tranchés au détriment d’autres besoins et équipements publics tous également éligibles au bénéfice de politiques de soutien public. Chaque euro investi dans la santé doit prouver son efficacité en termes de valeur de santé et de bien être pour les citoyens du pays.

Dans ce cadre le rôle de l’État est de promouvoir :

• La transparence quant à l’efficacité des politiques définies en les faisant évaluer par des tiers indépendants,

• L’équité pour tous les citoyens, en réduisant les considérables écarts actuels de moyens et de pratiques entre les Régions !

Cet effort de transparence apaiserait bien des débats abscons mais où sont les évaluations médicoéconomiques opposables ?

On aimerait donc cette transparence salutaire qui induit en corollaire une nouvelle tarification corrigeant la surenchère des actes de la T2A, ou l’immobilisme du budget global, et encourageant au contraire un financement des parcours de soins coordonnés entre le sanitaire, la ville et le médicosocial, prenant en compte « l’expérience patient » et encourageant la pertinence des pratiques !

Principe 4 : L’investissement en santé doit être décentralisé !

La gestion des investissements est en général déterminante pour l’avenir de toute organisation. Or, le bilan de la politique de surinvestissement dans l’immobilier hospitalier a été ruineuse pour le système de santé. La plupart du temps imposés par l’État (Plans Hôpital 2007 et 2012) des choix immobiliers bureaucratiques ont conduit à doubler les surfaces pendant que les durées de séjour étaient quant à elles divisées par deux en raison des progrès médicaux.

30 milliards de dettes ont été contractées que la collectivité doit aujourd’hui rembourser et qui privent de marge de manœuvre les hôpitaux. Cette gestion dispendieuse, mal évaluée, est à l’origine du malaise de nombre des professionnels dans les hôpitaux pourtant naturellement enclins à la loyauté car elle les prive de facto des moyens de financer les soins requis et les personnels.

Les principes posés en matière d’éducation lors des grandes lois de décentralisation des années 1981 – 1983 méritent une attention même critique car ils ont eu le mérite de permettre la rénovation des murs des lycées et collèges pour la satisfaction des élèves et de leurs parents en impliquant les élus. Cette politique au départ critiquée ne suscite plus de débats et a été bénéfique pour la démocratie en réduisant l’irresponsabilité et l’opacité des décisions des uns comme des autres.

On aimerait que l’État transfère vers les Régions les crédits d’investissement jusqu’alors à sa disposition ainsi que les pouvoirs afférents des ARS. Au sein du conseil de surveillance des GHT, les élus devront retrouver toute leur place et s’engageront à financer les investissements hospitaliers requis grâce à ces transferts de crédits. Le renouvellement des investissements hospitaliers comme la gestion et la création des lits devront être obligatoirement validés au niveau local par un avis dirimant des collèges de médecins et de soignants élus au conseil de surveillance des hôpitaux et des GHT sur toute décision en matière d’investissement ou de fermeture de lits et services. On substituera ainsi au pouvoir de l’administration d’État des décisions prises au plus près des territoires par des personnalités démocratiquement élues.

Principe 5 : Toute communication en santé s’appuie sur une stratégie

L’univers de la santé est complexe et multidimensionnel (éthique, soins, enseignement, recherche, prévention, éducation…). Il faut donc une parole publique clarifiante ne se résumant pas aux conférences de presse d’un ministre contrebalancées par l’expression d’experts souvent péremptoires et contradictoires au sein de multiples conseils scientifiques pendant que les réseaux sociaux véhiculent rapidement des messages faux et anxiogènes !

On aimerait que les finalités du système de santé soient débattues en toute transparence et concertation avec des représentants de la population selon la méthodologie rigoureuse des conférences de consensus. Le développement des thérapies géniques en tant que potentielles facteurs de progrès pour les malades pourrait par exemple constituer un sujet de débat.

Validées par le Parlement, les décisions nationales doivent être les plus consensuelles possibles pour être déclinées ensuite avec des acteurs locaux à qui la mise en œuvre est confiée.

Le Plan Cancer fut, en son temps, un exemple d’alignement de multiples acteurs sur des finalités partagées.

En conclusion

Et puisque d’aucuns parlent de guerre, dans « L’Art de la guerre » Sun Tzu préconise, quelle que soit la tactique, de bien connaître ses faiblesses afin de les transformer en force. Et il souligne également : « La guerre est semblable au feu, lorsqu’elle se prolonge elle met en péril ceux qui l’ont provoquée ».

Crédit photo : Philippe Chagnon – Cocktail Santé