recherche médicale les idées des acteurs
Dans certains pays, les directeurs d’établissements peuvent négocier directement les salaires et avantages des chercheurs

Alexandre Drezet

Directeur général adjoint au CHU de Caen

Difficile de parler de recherche en santé sans parler de recherche en tant que telle ! Et notamment de politique de recherche ; politique de recherche qui se doit de fixer le cap en conjuguant – tant bien que mal – performance, compétitivité et attractivité dans un secteur qui se veut hautement concurrentiel entre les principaux pays industrialisés du globe.

La recherche française présente des atouts importants, reconnus et non contestables qui lui permettent de rester compétitive et de conserver une place de premier rang au niveau mondial malgré la pression toujours plus importante imposée par les pays asiatiques (Chine et Inde entre autres). La dernière analyse bibliométrique effectuée par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) l’illustre bien1. La France y occupe la 8e place avec 3,1 % de la totalité des publications scientifiques parues mais sa position est néanmoins mise à mal puisqu’elle a reculé de 3 places en l’espace de 15 ans.
Afin de tenir – et d’idéalement d’améliorer – son rang dans la hiérarchie mondiale, la France se doit d’anticiper, de réagir pour inverser cette dynamique qui serait néfaste pour d’autres secteurs de son économie. Au-delà de la seule analyse de productivité bibliométrique à laquelle les hospitaliers sont bien sensibilisés via le logiciel SIGAPS et qui relève principalement de la recherche publique, la France se doit de dégager des avantages concurrentiels pour garder ses chercheurs mais aussi pour attirer les plus talentueux. Elle doit leur donner les leviers pour mieux innover, pour mieux leur permettre de grandir et de pouvoir conduire leur projet entrepreneurial quand le transfert technologique et industriel peut s’effectuer. Ce sont ces atouts qui lui permettront de se singulariser et d’enclencher une spirale du succès qui feront de la France une terre fertile de l’innovation.

Si cette base fait consensus, les moyens pour y arriver sont colossaux.

La récente loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 promulguée le 24 décembre dernier dessine de premiers engagements qui visent à lancer la dynamique de cette spirale positive. [Citation discours ministre de la Santé]

Cette loi a pour objectif de fixer le cadre stratégique de la recherche pour ces prochaines années. Elle est porteuse de trois ambitions principales : mieux financer et évaluer notre recherche publique, améliorer l’attractivité des métiers de la recherche et replacer la science dans une relation ouverte avec l’ensemble de la société.

En matière de financement, la loi consent à effectuer des dépenses intérieures de recherche et développement équivalentes à au moins 3  % de la richesse nationale pour les dix prochaines années.

Malgré une ambition affichée, explicitement assumée et en progression par rapport au ratio constaté jusqu’alors (la France a consacré 2,19  % de son PIB à la recherche entre 2006 et 2017), cette ambition pourrait être vaine voire insuffisante. Dans un contexte où le PIB va nécessairement évoluer à la baisse faute à une crise sanitaire sans précédent, il y a fort à parier que cet objectif ne sera pas priorisé à la sortie de cette dernière et donc, qu’au mieux les crédits seront renouvelés, qu’au pire, ils vont diminuer si la récession s’avère encore plus forte que prévu.

Même neutralisée de cet effet, cette ambition n’est qu’un copier-coller de celle de la stratégie de Lisbonne de 2010 qui a échoué par le passé. En 10 ans, le seuil de 3  % n’a pas été atteint. Ce qui a donc échoué par le passé a de grandes chances d’échouer dans le futur, et ce, d’autant plus que le contexte est défavorable.

En matière de carrières, la loi prévoit d’engager un choc d’attractivité en revalorisant les salaires des personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur et de créer de nouveaux dispositifs plus souples pour valoriser les carrières de chercheurs. Pour limiter l’hémorragie et pour éviter la fameuse « fuite des cerveaux » français, il est à craindre que même si ces mesures vont dans le bon sens, elles manquent de portée tant la marche est élevée. L’enquête EKTIS réalisée en 2013 pour le compte de la Commission européenne rapportait qu’en parité de pouvoir d’achat, le salaire annuel brut d’entrée moyen d’un chercheur en France était inférieur de 63 % au salaire moyen d’entrée perçu par les chercheurs en Europe et dans les pays de l’OCDE. La loi répond en précisant que les chargés de recherche et les maîtres de conférences ne seront plus recrutés en dessous de 2 SMIC et qu’ils bénéficieront d’un accompagnement de 10 000 euros en moyenne pour démarrer leurs travaux.

S’ajoute à ce constat, le manque de latitude laissé aux directeurs de recherche français. Dans certains pays, les directeurs d’établissements peuvent négocier directement les salaires et avantages des chercheurs les plus talentueux et qui sont, par voie d’extension, les plus à même d’enrichir intellectuellement et économiquement leur pays. En France, seul le secteur privé peut se permettre ces largesses.

La comparaison tant en termes de rémunération que de pilotage ne tient pas et le décrochage – tellement il est important – ne sera pas résolu malgré les avancées consenties par cette nouvelle loi.

Cette loi ne traite par ailleurs que d’une partie des difficultés rencontrées par les chercheurs. Elle ne donne pas un cadre incitatif pour que les chercheurs s’engagent dans l’entreprenariat – seul moyen qui vaille pour valoriser leurs inventions. Le manque de coopération entre université et industriels et le manque de formation et d’accompagnement à l’entreprenariat est bien documenté en France. Il faut d’urgence que les industriels puissent se rapprocher des universités comme c’est le cas d’usage aux États-Unis pour qu’une idée innovante aboutisse à sa production manufacturée selon un plan structuré et partagé entre acteurs publics et privés.

Ce manque d’échange est couplé à un manque de soutien financier puisque les jeunes pousses françaises restent très dépendantes des fonds d’investissement étrangers. La culture française, qui a peu d’appétence au risque, ne va pas de pair avec le secteur de la biotech/medtech qui est un secteur à fort besoin capitalistique. Tous les moyens – notamment d’acculturation – doivent être mis en œuvre pour accentuer la croissance du capital-risque pour que les start-up françaises disposent de fonds français ou européens plutôt que nord-américains.

Le cas de l’entreprise Valvena en est finalement l’exemple cruel. En pleine crise Covid-19, où chaque pays compte minutieusement ses doses de vaccins, la start-up franco-autrichienne localisée à Nantes et qui a disposé de fonds du gouvernement britannique pour développer son vaccin anti-Sars-CoV-2 disposera de doses avant même l’État français.

La France devra donc très largement dépasser le cadre de cette loi pour devenir la terre d’accueil des chercheurs les plus prometteurs mais également des industriels en devenir. Elle doit agir vite tant l’enjeu est important. Sans actions fortes, les chercheurs français continueront de s’exporter avec leurs innovations et la déclaration de Mme Charpentier, Prix Nobel de Chimie 2020, – « La France aurait eu du mal à me donner les mêmes moyens qu’en Allemagne » – restera tristement d’actualité.

1 Dynamics of scientific production in the world, in Europe and in France, 2000-2016. Science and Technology Observatory. Disponible : https://www.hceres.fr/sites/default/files/media/downloads/rappScien_VA_web04_12.pdf