Notre pays a plus que jamais besoin d’une recherche médicale forte, créative et compétitive, face à cette épidémie diffuse et diverse que forment les cancers

Clara Ducord

Directrice du Canceropôle Provence-Alpes-Côte d’Azur

Des travaux scientifiques l’ont montré : métaphoriser les cancers par un vocabulaire guerrier engendre le stress plutôt que la ténacité chez les patients. À l’heure où l’on guérit un cancer sur deux, la question n’est plus de gagner ou perdre un combat face à la maladie. L’enjeu est de tirer le meilleur enseignement de chaque cancer, personnaliser les traitements, pour semer d’espoirs les pistes tracées par la recherche médicale. D’ici la fin de cette décennie, ces pistes nous mèneront à des solutions de dépistages, de diagnostics et de soins qui permettront de prévenir, éviter ou guérir deux cancers sur trois ; et possiblement trois sur quatre, la décennie suivante. Au moment où ces lignes sont écrites, la pandémie de Covid-19 continue de bouleverser nos habitudes, nos certitudes… Mais apporte tout de même son lot d’enseignements. Et en particulier deux inconfortables vérités.

La première est qu’avec 4 millions de Français·e·s vivant avec la maladie, ou en rémission, le cancer reste le problème de santé n°1 dans notre pays. Une, ou même deux années de crise sanitaire n’auront fait que l’empirer. Des études documentées montrent les pertes de chances pour les patients, du fait des perturbations et des retards engendrés par la pandémie dans le dépistage, la prise en charge et le suivi. La seconde vérité, c’est l’échec français dans la course aux vaccins qui l’a mise en lumière. Notre pays a plus que jamais besoin d’une recherche médicale forte, créative et compétitive, face à cette épidémie diffuse et diverse que forment les cancers depuis des siècles. S’agissant de la cancérologie, trois espoirs sont permis. Les Plans Cancer successifs ont, depuis 2003, structuré une organisation unique au monde de la recherche médicale. Des outils efficaces de coordination scientifique ont été créés : les Cancéropôles, taillés sur mesure pour répondre avec réactivité et pragmatisme aux besoins des chercheurs et des cliniciens à l’échelle de grandes régions.

La nouvelle loi de programmation de la recherche 2021-2030 permet d’envisager de nouveaux moyens. Ils s’inscriront dans le cadre d’une stratégie de lutte contre les cancers non plus quinquennale, mais décennale, et donc plus ambitieuse. L’approche territoriale reste un marqueur de cette stratégie, parce qu’elle a fait ses preuves. Chaque patient est différent, chaque cancer est différent, chaque traitement le devient. De même, chaque territoire est différent dans sa façon d’aborder les cancers, de par les prévalences observées, les ressources scientifiques et cliniques en présence. C’est tout l’intérêt d’un Canceropôle que de faire de ces ressources une communauté, et de la mobiliser sur des priorités qui émergent de son terrain. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, par exemple, l’action structurante Single Cell a permis de jouer collectif avec des moyens disponibles rapidement pour se positionner au bon moment sur une technologie de rupture, conduisant une équipe azuréenne à être la seule française sélectionnée sur le projet mondial de la Fondation Chan Zuckerberg, Human Cell Atlas. Une action du même type se décline désormais sur les organoïdes.

Chaque territoire porte ainsi l’espoir de ses avancées qui vont profiter à la communauté nationale et internationale, scientifique, académique, clinique mais aussi industrielle. S’agissant des collaborations entre la recherche médicale et l’industrie, nous ne sommes plus et ne devons plus être dans une relation « anges et démons ». La crise actuelle l’a bien montré. Chaque vaccin occidental est le fruit d’une collaboration entre l’industrie et la recherche académique. S’ouvrir à l’open innovation, partager en amont les expertises mais aussi les risques, sont des convictions établies dans notre Canceropôle. Détecter tôt les projets à forts potentiels de valorisation, les propulser en jouant collectif avec les acteurs de l’écosystème, permet de maximiser les chances de voir des résultats rapidement convertis en technologies diagnostiques et thérapeutiques dans l’intérêt du patient. La start-up Yukin Therapeutics ou le programme Atlas, tous deux accompagnés par le Canceropôle, sont exemplaires de ces partenariats science/industrie annonciateurs de traitements innovants des mélanomes et lymphomes. Aux nouveaux espoirs dans nos territoires, aux nouveaux espoirs des collaborations académiques et industrielles, viennent s’ajouter… les nouveaux espoirs de la recherche. Je parle de nos jeunes chercheurs et chercheuses. Nos pépites !

En Provence-Alpes-Côte d’Azur et ailleurs, en cancérologie comme dans d’autres domaines de la recherche médicale, des success stories sur le modèle de Stéphane Bancel (Moderna) ou Emmanuelle Charpentier (Nobel de chimie 2020) se préparent. On dit la France en décrochage sur ses universités, mais tout montre qu’elle sait former et bien former des chercheurs de très haut niveau, et des innovateurs hors du commun. Comment leur donner envie de rester ? La revalorisation des rémunérations, prévue dans la nouvelle loi de programmation de la recherche, est un début. Car si le cancer n’est pas une guerre, l’attractivité et la souveraineté scientifique de notre pays sont bel et bien des batailles. Aujourd’hui, la recherche médicale française en cancérologie est l’une des meilleures au monde. Ne nous satisfaisons pas de ce constat et attelons-nous tous ensemble à ce qu’elle le soit davantage.