recherche médicale les idées des acteurs
La recherche clinique française portée par les Groupes Coopérateurs en Oncologie apparaît aujourd’hui fragilisée

Pr Thomas Aparicio, Cécile Girault & Claire Dubois

Vice-Président de la Fédération francophone de cancérologie digestive (FFCD), Président du réseau des Groupes coopérateurs en oncologie (GCO), Directrice de la FFCD & Directrice du réseau des GCO, Chargée de mission GCO

Grâce aux interactions étroites entre hôpitaux universitaires et non universitaires, établissements privés, centres de lutte contre le cancer, universités, organismes de recherche, groupes coopérateurs en oncologie et industries, la recherche clinique académique française en oncologie a contribué de façon décisive au cours des dernières décennies à l’amélioration de la survie et de la qualité de vie des patients atteints d’un cancer. L’introduction de nouveaux médicaments ou stratégies améliorant l’efficacité, la tolérance et/ou l’impact économique des thérapies anticancéreuses, ont en effet favorisé une meilleure prise en charge des malades et de leur parcours de soins. Le dynamisme et l’excellence de la recherche clinique française en oncologie sont ainsi mondialement reconnus.

La mise au point d’un protocole nécessite de nombreuses compétences pour réussir le pari de la recherche en un temps compté dans de nombreux centres, ce qui nécessite une logistique administrative, financière et médicale coordonnée. Des protocoles de recherche peuvent également demander une synergie avec d’autres pays pour pouvoir répondre rapidement aux questions posées. La singularité de l’activité de recherche clinique des Groupes coopérateurs en oncologie1 réside dans la mise en réseau d’experts et la mutualisation de moyens entre établissements dans un même domaine thérapeutique que sont les tumeurs solides de l’adulte telles que digestives, gynécologiques, thoraciques, localisations tête et cou, les tumeurs cérébrales, les cancers du sang tels que les lymphomes, les cancers de l’enfant et adolescent, les myélomes et gammapathies monoclonales. Les Groupes coopérateurs en oncologie animent ainsi un vaste réseau représentatif de la diversité du soin français puisque 300 établissements de tous types participent à l’effort de recherche académique permettant ainsi aux patients d’accéder à une recherche clinique de qualité sur tout le territoire français dans une équité d’accès quel que soit l’endroit où ils résident. Cela permet également aux équipes soignantes d’être dans un flux continu d’apprentissage des nouvelles stratégies thérapeutiques contribuant ainsi à l’amélioration continue des soins.

Dès 2012, l’Institut national du cancer (INCa) a ainsi labellisé 6 intergroupes ou groupes de recherche académique (tous membres du réseau des Groupes coopérateurs en oncologie2) sur la base de leur professionnalisme et de leur visibilité nationale et internationale, leur capacité à réaliser la recherche clinique stratégique et cognitive, à gérer les essais cliniques et les ressources humaines dévolues à la recherche. À côté des études réalisées par l’industrie du médicament, les Groupes coopérateurs en oncologie réalisent des études de stratégie thérapeutique complémentaires de la recherche industrielle puisque s’attachant tout particulièrement au suivi à long terme des patients, aux pathologies rares et aux sujets âgés. Les Groupes coopérateurs en oncologie s’intéressent ainsi à des études de désescalade de dose, ou à des études de modalité de surveillance de grande envergure et contribuent à réduire considérablement les coûts de santé.

Malgré ce socle porteur, la recherche clinique française portée par les Groupes coopérateurs en oncologie apparaît aujourd’hui fragilisée et fait courir un risque de désengagement des cliniciens à initier des protocoles de recherche en collaboration avec les groupes coopérateurs. En effet, les financements publics accessibles aux Groupes coopérateurs en oncologie via les PHRC-K (Programme hospitalier de recherche clinique national en cancérologie) sont paradoxalement de plus en plus difficiles à obtenir et fragilisent ainsi la mise au point d’essais de stratégie thérapeutique ou d’essais sur des sujets fragiles. À cela s’ajoute une complexification de l’environnement administratif et réglementaire qui tend à allonger les délais moyens de mise en place d’un projet de recherche dans un centre hospitalier – qui nécessite déjà l’accord de plusieurs agences (Comité de protection des personnes, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) et, depuis le décret n° 2020-730 du 15  juin 20203, l’accord de l’Agence régionale de santé pour tout contrat de recherche nécessitant un partenariat avec l’industrie. Il est notable de constater que seule la France s’est dotée d’un tel processus d’autorisation administrative. Dans un contexte de grande compétition internationale, il est à craindre que les futures grandes recherches cliniques stratégiques soient menées par d’autres pays européens, notamment l’Allemagne et l’Espagne qui, comme nous, sont soumis à une obligation de transparence mais pas à l’aléa d’une autorisation administrative.

À l’aube de la Stratégie décennale de lutte contre le cancer (2021-2031) et afin de maintenir une équité d’accès aux traitements ou stratégies innovantes, les Groupes coopérateurs en oncologie espèrent un renforcement des financements publics accessibles aux promoteurs académiques non hospitaliers qu’ils représentent. Ils espèrent et œuvrent pour rentrer dans un cadre d’exception (comme le sont les promoteurs industriels et institutionnels ainsi qu’Unicancer) par rapport au décret n° 2020-730 du 15 juin 2020 qui apparaît en contradiction avec l’attractivité de la recherche clinique française. Dans ces conditions, la dynamique de recherche clinique des Groupes coopérateurs en oncologie, leur capacité à déployer sur le territoire les essais correspondant à la réflexion nationale des spécialistes du domaine, leur permettront de contribuer activement à la nouvelle Stratégie décennale de lutte contre le cancer pilotée par l’INCa. Les Groupes coopérateurs en oncologie représentent un maillage fraternel qu’il faut, « quoi qu’il en coûte », maintenir pour permettre aux 10 000 médecins investigateurs de se sentir reliés dans un objectif bien au-dessus de chacun et qui nous oblige, à savoir la santé de tous.

1 10 groupes et intergroupes de recherche se sont fédérés en 2009 au sein du réseau des Groupes coopérateurs en oncologie (GCO) : L’Association de recherche sur les cancers dont gynécologiques et du Groupe d’investigateurs nationaux pour l’étude des cancers ovariens et du sein (ARCAGY-GINECO), la Fédération francophone de cancérologie digestive (FFCD), le Groupe coopérateur multidisciplinaire en oncologie (GERCOR), le Groupe d’oncologie radiothérapie tête et cou (GORTEC), l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique (IFCT), l’Intergroupe francophone du myélome (IFM), l’Intergroupe coopérateur de neuro-oncologie-association des neuro-oncologues d’expression française (IGCNO-ANOCEF), The Lymphoma Study Association-The Lymphoma Academic Research Organisation (LYSA-LYSARC), la Société française de lutte contre les cancers et les leucémies de l’enfant et de l’adolescent (SFCE).

2 L’Association de recherche sur les cancers dont gynécologiques et du Groupe d’investigateurs nationaux pour l’étude des cancers ovariens et du sein (ARCAGY-GINECO), l’Intergroupe sur les tumeurs digestives réunissant la Fédération francophone de cancérologie digestive (FFCD) et le GERCOR (Groupe coopérateur multidisciplinaire en oncologie), l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique (IFCT), The Lymphoma Study Association-The Lymphoma Academic Research Organisation (LYSA-LYSARC), l’Intergroupe francophone du myélome (IFM), l’Intergroupe ORL regroupant le GORTEC (Groupe d’oncologie radiothérapie tête et cou), le GETTEC (Groupe d’étude des tumeurs de la tête et du cou) et le GERCOR (Groupe coopérateur multidisciplinaire en oncologie). En 2014 et 2015, l’INCa a souhaité poursuivre la labellisation des intergroupes coopérateurs dans d’autres pathologies avec la labellisation de la Société française de lutte contre les cancers et les leucémies de l’Enfant et de l’adolescent (SFCE) et de l’Intergroupe coopérateur de neuro-oncologie-association des neuro-oncologues d’expression française (IGCNO-ANOCEF). À noter qu’il existe d’autres groupes de recherche, non-membres du réseau des Groupes coopérateurs en oncologie, qui ont été labellisés par l’INCa : l’intergroupe INTERSARC sur les sarcomes, le French Breast Cancer Intergroup – UNICANCER-UCBG sur les cancers du sein, l’Intergroupe coopérateur francophone en onco-urologie (ICFuro), le Group for Research on Adult Acute Lymphoblastic Leukemia (GRAAL) et l’Intergroupe coopérateur en oncologie gériatrique (DIALOG).

3 Décret n° 2020-730 du 15 juin 2020 relatif aux avantages offerts par les personnes fabriquant ou commercialisant des produits ou des prestations de santé, NOR : SSAH1933329D.