Interview

Les acteurs de l’assurance santé ont tout intérêt à diversifier leur offre en allant sur trois terrains : simplification des démarches médico-administratives, prévention et prévoyance

Cécile Waquet
Associée chez YCE Partners

Le territoire a acquis ses lettres de noblesse dans le débat sur l’organisation de la santé. L’unanimité des acteurs ne cache-t-elle pas des approches différentes et parfois opposées notamment entre le public et le privé ? Comment concilier unité d’action et pluralité des acteurs ?

Cécile Waquet : Le territoire est effectivement essentiel. Les problèmes de santé de la Creuse ne sont pas les mêmes que ceux de Paris ou des périphéries des grandes villes : la structure démographique, la densité de population, le niveau de chômage, la nature des activités professionnelles les influencent fortement. L’offre de santé n’est pas la même non plus, notamment la densité de professionnels et de structures de santé. Il est donc essentiel de reconnaître le rôle des territoires dans les réponses à apporter aux problèmes de santé. C’était le sens du discours d’investiture du Premier ministre Jean Castex cet été. C’était déjà aussi l’un des objectifs de la loi Hôpital, Patients, Santé, Territoires (loi HPST), portée par la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, en 2009. C’est également dans cet esprit qu’a été créé en 2016 le cadre juridique des communautés professionnelles territoriales de santé et que sont aujourd’hui réhabilités les hôpitaux de proximité.

En pratique, force est de constater que l’objectif n’est pas encore pleinement atteint. Sa réalisation suppose beaucoup de souplesse. Lorsque j’ai travaillé en 2013 avec plusieurs gériatres sur les parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d’autonomie, j’ai constaté qu’il fallait être pragmatique et reconnaître que les territoires pouvaient s’organiser chacun à leur façon pour traiter un problème : la qualité de l’organisation dépend beaucoup des initiatives prises par les hommes et les femmes qui sont sur ce territoire. Ainsi, pour coordonner l’action des différents professionnels de santé autour de la personne âgée, peu importe, finalement, que ce soit, par exemple, un médecin ou un infirmier qui prenne l’initiative : l’essentiel, c’est qu’une dynamique collective et pluridisciplinaire soit créée. C’est pourquoi il est important de laisser beaucoup de souplesse aux acteurs locaux qui, mieux que l’État, connaissent les atouts et les contraintes de leurs territoires. Plutôt que des schémas imposés, on attend surtout de la puissance publique une évaluation des résultats. À cet égard, YCE Partners a lancé récemment YCE D (data), qui, par une analyse des données sur les territoires, peut contribuer à faciliter ce travail.

Pour répondre au deuxième volet de votre question, tous les acteurs sont nécessaires sur un territoire. Il n’y a pas de raison d’opposer public et privé, a fortiori en période de crise. Nous avons vu que les cliniques privées, souvent ignorées au début de la première vague de l’épidémie, ont été mobilisées pendant la seconde : c’est la preuve qu’elles étaient indispensables. Il est positif qu’une coordination entre hôpitaux publics et cliniques privées se soit mise en place. Cette solidarité intra-territoriale entre acteurs limite les transferts de patients d’une région à l’autre. Étant passée du public au privé, j’ai pu constater que, même si les logiques économiques sont différentes, les objectifs poursuivis sont en grande partie les mêmes – pour des établissements de santé, soigner ; pour des organismes d’assureurs, couvrir au mieux les assurés et prévenir les risques ; pour la DRH d’une entreprise privée, prendre soin le mieux possible de la communauté des salariés.

Une mutation importante du secteur des complémentaires santé est actuellement en cours, quel est selon vous l’avenir de l’articulation entre le régime obligatoire et les régimes complémentaires ?

C.W. : Une précision pour commencer : c’est grâce à l’intervention combinée de l’Assurance maladie de base et des organismes d’assurance santé que vous appelez « complémentaire santé » que la France présente le plus faible reste à charge de tous les pays de l’OCDE. Si je préfère parler d’organismes d’assurance santé que de « complémentaires santé », c’est parce que leur mission première n’est pas de venir en complément de l’Assurance maladie de base mais de couvrir les assurés contre le risque de ne pas rester en bonne santé. Cette nuance n’est pas anodine. Certes, de par la réglementation, ces organismes d’assurance, qui peuvent être des sociétés de personnes à but non lucratif (mutuelles, institutions de prévoyance ou groupes paritaires de Protection sociale) ou des sociétés de capitaux (sociétés anonymes d’assurance), viennent en complément de la Sécurité sociale, tout particulièrement en entreprise où depuis 2015 ils sont devenus obligatoires.

Il ne faut toutefois pas oublier que la plupart de ces acteurs ont préexisté à la Sécurité sociale et qu’ils ne se contentent pas de rembourser des soins : beaucoup d’entre eux proposent aussi des services de prévention et d’accompagnement ayant pour objectif de permettre aux assurés, au-delà de la couverture du risque maladie, de se maintenir le plus longtemps en bonne santé. Ces services sont malheureusement encore trop peu utilisés et donc méconnus. C’est dommage parce qu’ils répondent à de réelles attentes dans une société de la longévité où l’espérance de vie en bonne santé stagne depuis plusieurs années, où les solutions innovantes de prévention et d’accompagnement se multiplient et où les esprits sont mûrs pour les utiliser.

Les organismes d’assurance santé ont jusqu’ici été considérés comme des « complémentaires » ou des « annexes » de l’Assurance maladie de base, encadrés par des normes de plus en plus contraignantes et soumis à une fiscalisation croissante.

Il serait opportun de jeter sur eux un nouveau regard en valorisant le rôle qu’ils peuvent jouer et en facilitant la réalisation de leurs objectifs, qu’ils construisent en étroite relation avec leurs clients, qu’ils connaissent bien. C’est tout l’objet du quatrième scénario à l’étude du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) sur « l’évolution de la place des complémentaires santé ». En tout état de cause, même si l’on décidait la mise en place d’une « Grande Sécu », autre scénario envisagé, dans lequel l’Assurance maladie obligatoire absorberait les organismes d’assurance santé, il resterait de la place pour que ces derniers développent une activité autonome. En effet, compte tenu de sa situation financière, l’Assurance maladie obligatoire ne serait pas en mesure de répondre à toutes les demandes de santé – des assurances privées seraient alors nécessaires, afin de garantir l’accès à certains services de santé. Le champ serait sans doute alors plus restreint.

C’est la raison pour laquelle les acteurs de l’assurance santé ont tout intérêt à diversifier leur offre en allant sur trois terrains : simplification des démarches médico-administratives, prévention et prévoyance. La prévoyance, entendue ici comme la couverture des pertes de revenus (notamment en cas d’arrêt de travail pour maladie, incapacité ou invalidité) est d’ailleurs une assurance appelée à prendre de l’importance puisque les causes d’arrêt de travail se diversifient (salariés aidant un proche dépendant, garde d’enfants…), de même que la question de la perte de revenu avec la précarité croissante et le chômage partiel. L’articulation entre assureurs publics et privés est donc appelée à évoluer et les acteurs privés ont toute leur place à occuper.

Suite de l’interview la semaine prochaine…