Interview

Nous avons été capables en deux jours seulement de trouver des locaux adaptés à cette vaccination en masse, d’organiser le circuit, sécuriser le dispositif, recruter les personnels et communiquer sur la campagne de vaccination

Chantal Carroger
Directrice Générale du CHU de Besançon

Le Nord-Est de la France et la Bourgogne-Franche-Comté connaissent un épisode COVID fort. Quelles leçons en retenez-vous pour votre établissement ?

Chantal Carroger : Oui, les régions du Nord-Est et de la Bourgogne-Franche-Comté sont particulièrement touchées par l’épidémie sans que l’on sache vraiment pourquoi. (Régions frontalières qui connaissent de forts mouvements de population ?). À ce jour, il est encore trop tôt pour tirer toutes les conséquences de cette épidémie dans nos hôpitaux puisque malheureusement la situation ne s’améliore pas en particulier dans le département du Doubs qui, à la date du 7 janvier, a un taux d’incidence de 301/100 000 habitants alors qu’au niveau national, il est de 143/100 000 habitants. Je pense qu’il faut différencier la première vague de la deuxième dans la mesure où, fin février 2020, la croissance de cette épidémie était inconnue de tous les professionnels que nous sommes, et que sans délai et avec beaucoup d’efficacité les établissements de santé se sont jetés dans la bataille en arrêtant toute activité de soins non urgente. La population, sidérée, est restée chez elle limitant ainsi les passages aux urgences et les risques d’engorgement des services. Ce fut le cas pour le CHU de Besançon qui, en quelques jours, est passé de 40 lits de réanimation à 92. Lors de la deuxième vague, nous étions davantage préparés et avions tiré les conséquences de l’organisation de la première mais, malgré tout, nous avons, au CHU de Besançon, subi une importante déprogrammation des activités pour faire face à l’afflux des patients COVID et non COVID. Aujourd’hui encore, notre taux de déprogrammation de l’activité programmée est de 60 %. Même si la cohésion des équipes reste de mise, il n’empêche que les relations sont plus crispées cet automne en raison de la durée de cette crise mettant les « nerfs à vif » des professionnels contraints d’exercer leur profession selon un mode dégradé. Jamais les hôpitaux français n’ont eu à gérer une organisation en plan blanc pendant 6 mois. La troisième vague est annoncée alors même que la situation reste très tendue. Plusieurs fois par semaine, la cellule de crise adapte les capacités en lits du CHU pour répondre à la demande. Jusqu’à quand ? Sur le plan externe, la crise a prouvé qu’entre l’ARS, la Préfecture et le CHU, tous les acteurs se sont mobilisés donnant du sens à la transversalité de l’action publique.

La notion de territoire de santé est au cœur de la réflexion sur l’organisation du système de santé, comment cela s’est passé dans votre région ?

C.C. : Je pense que si les GHT n’avaient pas existé, la collaboration entre les établissements de santé publics aurait été moins efficace pour lutter contre l’épidémie. Les équipes médicales, paramédicales et les directions se connaissent et se rencontrent régulièrement depuis près de cinq ans pour faire vivre le projet médical et faciliter grandement la prise en charge coordonnée des patients. Nous avons pu l’observer tant au niveau de l’organisation des transferts des cas les plus graves vers le CHU qu’au niveau de la sortie des patients dans les SSR les plus proches. Nous avons aussi démontré, dans notre GHT Centre Franche-Comté, que nous pouvions travailler efficacement dans l’intérêt des patients sans pour autant avoir recours aux fusions d’établissements. Enfin, sous l’égide de l’ARS, des visioconférences ont été mises en place permettant aux établissements pivots d’organiser des transferts inter-régionaux et de partager des informations pour une meilleure coordination au sein du territoire.

Comment la collaboration publique/privée s’est manifestée ?

C.C. : Là encore il faut distinguer deux périodes : lors de la première vague, les deux cliniques de Besançon ont été des alliés précieux du CHU tant pour proposer des lits pour les patients sortis de la phase aigüe de la maladie que pour l’aide apportée par des professionnels médecins et paramédicaux qui sont venus conforter les équipes hospitalières. Pour la seconde vague, malgré notre insistance, les professionnels des cliniques, en ce début d’année, n’ont toujours pas répondu présent. C’est bien dommage car combattre le virus est l’affaire de tous, pas uniquement une préoccupation et une responsabilité réservées aux hospitaliers !

Quel est l’état d’esprit des personnels en ce début d’année ?

C.C. : Je ne sais pas si comme on l’entend un peu partout, les personnels sont tous épuisés, ce que je sais c’est que tous sont las de cette épidémie qui n’en finit pas. Les étudiants voudraient apprendre leurs futurs métiers, les professeurs enseigner leurs disciplines, les chirurgiens et anesthésistes reprendre le chemin des blocs, les médecins exercer leurs spécialités, les soignants retrouver leurs services d’origine et les directions prévoir et accompagner de nouveaux projets. Tous redoutent la prochaine vague annoncée et savent qu’ils devront encore faire preuve de courage, de cohésion, de ténacité, d’inventivité pour assurer encore et encore leurs missions et accomplir leurs devoirs au service de la population qui, les a soutenus uniquement le temps d’un printemps.

Pouvez-vous faire le point sur la vaccination dans votre établissement ?

C.C. : Nous avons reçu 4 875 doses le mardi 5 janvier à 16h10 alors que la livraison était prévue le 12 janvier. Dès le mercredi, nous avons distribué les vaccins pour les EHPAD du flux A et démarré la vaccination des personnels, information datant du dimanche 3 janvier. Vendredi, nous avions déjà vacciné 378 personnes et distribués près de 3 000 doses dans les EHPAD sur 70 sites. Nous avons été capables en deux jours seulement de trouver des locaux adaptés à cette vaccination en masse, d’organiser le circuit, sécuriser le dispositif, recruter les personnels et communiquer sur la campagne de vaccination. Bravo à tous les professionnels du CHU de Besançon mobilisés pour vaincre l’épidémie ! Bravo à tous les acteurs du territoire qui se sont coordonnés : Merci à la population de leur confiance.